La maison était immense. Probablement une des plus grandes qu’avait jamais vu Tarik de près. Elle semblait aussi biscornue et sortie d’un autre siècle. En fait elle était étrange, mais étrange dans le bon sens. Ça n’avait pas l’air inconfortable ou effrayant. C’était juste… vraiment bizarre. Il y avait toute une partie assez basse, avec des murs en grosses pierres apparentes assez brutes. Les portes et les fenêtres étaient arrondies sur le haut, peintes dans un bleu soutenu. Le toit n’avait pas tuiles mais semblait être fait de… paille ? L’ensemble n’était pas droit, car il y avait une succession de murs et de toits de tailles différentes, comme si des extensions avaient été rajoutées au fur et à mesure des années en fonction des besoins. L’autre partie, un peu plus grande et collée à la première était dans un tout autre style. Déjà, les murs étaient bien plus hauts. La partie habitable devait s’étendre sur au moins 2 ou 3 étages. Les murs étaient faits de pierres eux aussi, mais celles-ci étaient droites, lisses, bien taillées et s’emboitaient parfaitement les unes aux autres. Tout était carré, plus sobre, le toit était sombre car recouvert d’ardoises. C’était comme si on avait pris deux maisons complètement différentes et qu’on les avait collées l’une à l’autre.
Stéphanie était au moins aussi ébahie et silencieuse que Tarik. Christian ne s’en formalisa pas, il devait avoir l’habitude de l’effet que procurait sa demeure. D’ailleurs, il ne tarda pas à s’expliquer que l’apparence atypique de celle-ci.
– Cette partie est la plus ancienne, désigna-t-il en montrant le coté au toit de chaume, mais l’autre moitié de la maison à brulé il y a très longtemps. Les propriétaires de l’époque ont conservé ce qui restait de la bâtisse d’origine et on fait reconstruire et agrandir la partie détruite. Quand on a visité la maison, Bérénice et moi avons craqué immédiatement. Elle ne ressemble à aucune autre.
Ça, Tarik voulait bien le croire. Stéphanie hocha la tête avec enthousiasme et Christian se mit en marche. Il se dirigea vers la « vieille » maison, à l’extrémité ouest de celle-ci. Il y avait une porte palière à cet endroit. Christian fouilla dans la poche de sa veste et tendit un petit trousseau à l’adolescent qui le regarda sans réagir.
– Tiens. C’est chez toi maintenant.
Chez… lui ? Est-ce que cet homme avait perdu la tête ? Était-il vraiment en train de donner les clés de sa maison à un ado à problème qu’il ne connaissait absolument pas ?! Tarik jeta un coup d’œil incertain à l’assistante sociale qui le rassura d’un sourire et lui offrit un mouvement de tête engageant. Reprenant un peu contenance, Tarik s’empara du trousseau entreprit d’ouvrir la porte. Le barillet n’émit aucune résistance et céda au premier tour de clé.
Contrastant complètement avec l’extérieur, ils pénétrèrent dans une pièce aux murs blancs et neufs. Tout semblait avoir été refait du sol au plafond depuis peu. La pièce était grande selon les critères de Tarik. Elle faisait au moins 30m2. Elle était entièrement meublée. Il y avait un coin cuisine avec tout le nécessaire : frigo, plaques de cuisson, évier, four micro-onde, lave-vaisselle et machine à laver, surplombés d’un plan de travail imitation bois clair. Une table ronde était entourée de 4 chaises. Il y avait quelques meubles hauts vitrés qui laissait voir la vaisselle qu’ils contenaient. De l’autre côté se trouvait un canapé en face duquel trônait un meuble télé sur lequel se trouvait et bien… une télé, à écran plat, pas très grande mais largement suffisante. Il y avait entre les deux espace deux autres portes. Christian l’invita à les ouvrir. L’une donnait sur une chambre qui contenait un lit double et une grande armoire. L’autre desservait une salle d’eau qui comprenait la douche, les toilettes et un meuble qui soutenait un lavabo. Et c’était tout. Tarik avait du mal à comprendre. Aussi Christian lui vint-il en aide devant son désarroi évident.
– Comme je te le disait : C’est chez toi. Ton appartement. Tu as ta propre entrée indépendante comme ça tu pourras faire comme tu le souhaites.
– C’est incroyable, commenta madame Virelle et Tarik était bien d’accord avec ça.
– Vous… vous êtes sérieux ? Demanda d’ailleurs ce dernier, pas certain qu’on était pas en train de lui faire une mauvaise blague.
– Absolument certain ! J’avais commencé à refaire ce morceau de la maison il y a un moment pour ma fille ainée. Puis finalement elle est partie faire ses études à Bordeaux et s’est installée là-bas, elle n’en a jamais eu besoin. J’avais laissé tomber, puis Morgan a voulu reprendre les travaux pour en faire un genre d’endroit pour faire la fête avec ses amis. Mais de fil en aiguille, ça l’a ennuyé et il a laissé tomber à son tour. Moi, j’étais relancé par contre ! J’ai fini de refaire moi-même à mes heures perdues en me disant que servirait bien pour la venue de la famille en été ou quelque chose comme ça. Puis finalement, avec toi, il trouve un usage bien plus intéressant !
Tarik ne savait pas quoi dire. Il était juste… bouché bée, pendant que Stéphanie flattait les talents de bricoleur de M.Humbert.
– Venez, je vais vous montrer l’atelier.
Les nouveaux venus suivirent le mouvement. Ils sortirent l’appartement pour emprunter une petite porte taillée dans une grande porte de grange, sur la façade de la vieille maison. Ici, le coté vieux de la maison ressortait beaucoup plus. C’était une grande grange à l’aspect brute. Il n’y avait pas d’aménagement, si ce n’était les lampes qui pendaient des poutres brutes de la charpente et des installations de chauffage. Le sol était couvert de sciure de bois et le large espace abritait des machines toutes plus diverses les unes que les autres. La partie du fond voyaient s’entasser du bois, des morceaux travaillés qui devaient être assemblés, des vieux meubles cassés ou défraichis.
– Bienvenue dans mon antre ! fit Christian avec un grand geste de la main. C’est ici que je travaille. Que nous allons travailler, corrigea-t-il à l’attention de Tarik.
Il laissa le temps à l’adolescent et son accompagnatrice de faire le tour.
– Ne t’inquiète pas, je t’expliquerais à quoi servent toutes ces machines et ces outils. Et avant de pouvoir t’en servir, il va falloir apprendre pas mal de choses. J’ai aussi tous les équipements de sécurité nécessaires bien sûr, glissa-t-il pour l’œil expert de Stéphanie.
Celle-ci sembla satisfaite voir même carrément enthousiaste. Alors que Christian rejoignait l’extérieur pour les emmener vers la maison « neuve », elle se pencha vers son protégé.
– Bon sang Tarik, j’espère que tu te rends compte de la chance que tu as, là !
Tarik déglutit et opina du chef. Il était bien d’accord mais bon sang, ce que ça le rendait nerveux ! Tout ça était absolument génial. Mieux que ce qu’il avait imaginé. Mieux que ce qu’il avait espéré ! C’était même tellement génial que c’en devenait trop génial. Il sentait une pression soudaine s’abattre sur ses épaules. Il était incapable de se dire qu’il serait à la hauteur de tout ça. On lui offrait une nouvelle vie loin de toute la merde qu’était son passé, une formation professionnelle, son indépendance, un maitre d’apprentissage qui avait tellement gentil, patient et bienveillant, un appartement, merde ! Il avait intérêt à se montrer digne de tout ça. A prouver qu’il le méritait ! Seulement était-ce le cas ? Bien sûr que non. Ce constat lui nouait l’estomac.
Entre ça et les espoirs professionnels de Madame Virelle, le poids de la responsabilité se faisait durement ressentir. Il se sentait faible. Incapable. Bon à rien. Il allait foirer, c’était obligé. Il foirait toujours. Il prenait les mauvaises décisions. Tout ça, c’était trop beau. Ce n’était pas pour lui. Son cœur accélérait douloureusement et sa gorge se serrait. Il avait l’impression qu’il allait suffoquer. Il fallait qu’il le dise à Madame Virelle. Qu’il lui dise qu’il laissait tomber, qu’il changeait d’avis. Qu’il préférait finalement rentrer au foyer surpeuplé de sa banlieue parisienne grise et sans vie. Ouais, s’enterrer là-bas c’était bien. C’était facile. Tout foutre en l’air et faire n’importe quoi là où personne n’attend rien de vous, c’était beaucoup plus un truc pour lui !
Il s’arrêta brusquement de marcher, attirant l’attention de Stéphanie. Elle vit son regard de panique et écarquilla les yeux face à la situation. Il était sur le point de dire stop, elle le comprit tout de suite. Mais alors qu’il était sur le point d’exploser, la voix de M.Humbert attira son attention.
– Ah, Morgan ! Tu tombes bien ! Viens par là que je te présente à notre nouveau pensionnaire !
Tarik tourna la tête par reflexe et son regard tomba sur une paire de prunelle d’un vert-gris saisissant qui lui vidèrent instantanément le cerveau et le laissèrent complètement muet.
Bien vu la fin, on comprend l’angoisse de Tarik, pas facile quand on est persuadé d’être un raté.
Je crois que ce sera passionnant de suivre sa métamorphose. Si ça marche évidemment.