Le reflet

4 mins

C’est durant l’été 1954 à Herknam Forest, en Louisiane, que tout a commencé. J’étais encore étudiant à l’époque, dans la prestigieuse université Willcorn, située en plein centre d’Herknam. Alors que mon cours sur la nature élémentaire des organismes unicellulaires venait d’être terminé, ma fiévreuse curiosité me poussa à prolonger le cours de manière indépendante. Je partis donc en fin de journée dans la forêt de pin qui encadre la ville pour y récupérer quelques spécimens. Les étangs, disait-on, étaient riches de vies de toutes sortes. Équipé d’éprouvettes, de tubes et de distilles, je commençai mon échantillonnage.

Mais c’est alors qu’un vent lourd se souleva, faisant bruisser les arbres tandis qu’ils se pliaient sous le souffle. Je compris qu’un orage était proche et que je devais rentrer au plus vite mais alors que je rangeais dans ma besace mes ustensiles, je perçu dans l’eau boueuse mon reflet des plus horrible. Malgré la faible torsion de mon corps par les ondulations, celui-ci m’apparut sans ma tête ni mes mains. Je crus d’abord un effet d’optique dû à la fatigue ou à la mauvaise qualité de l’eau, mais plus j’insistais et plus ma raison se dérobait à moi. Quelque chose se gardait de me montrer ma tête et mes mains parmi mon reflet.

Puis, trop absorbé par cette décourageante expérience visuelle, je relevai les yeux devant moi et c’est alors que le décor n’était plus une forêt de pin noirs mais bien un champs de d’herbes sèches dont au centre trônait un monticule qui n’était autre qu’un vieux tertre recouvert par la terre et le temps. Certaines briques de pierres grossières étaient apparentes sous la terre comme un os montrant le nez sous la chaire. Je n’avais point remarqué, mais la nuit était tombée et au centre de cette toile d’obscurité, une seule lueur chaude en un point brillait. Une panique froide me traversa, irisant tout mon dos jusqu’à la racine de mon cuir chevelu. Je devais me faire une raison, reprendre mon souffle, je divaguais. Cela était sûrement des hallucinations dues à l’inhalation accidentelle d’une spore en bord d’étang.

Ma raison revint peu à peu tandis que l’orage éclata le ciel, déversant un torrent violent. Il était fréquent dans cette région du pays, que les pluies soient longues et conséquentes. Je n’ai d’autre choix que de m’abriter sous ce tertre antique. Je passai donc les affreuses ronces noueuses et broussailles qui me barraient le chemin, puis, arrivant jusqu’à un enfoncement obscur, je m’enfonça entre deux stèles taillées d’un bloc chacune. La pièce dans laquelle j’arrivai était fraîche et humide. De la mousse et quelques réseaux de lierres entouraient les blocs empilés soigneusement, pour le reste, elle était complètement vide. Au centre du plafond incurvé en dôme, il y avait un petit trou de la taille d’un poignet, dont la pluie passait au travers. Il y avait un air légèrement étouffé qui circulait ici-bas, un air qui prend aux tripes.

Puis, allant avec retenu au centre, là où la terre était fraîchement battue par la flaque qui s’étendait de plus en plus, un bruit sourd gronda depuis le ciel voilé. Quelque chose était en train d’arriver dehors, une chose titanesque, indescriptible tant le bruit me coucha au sol. Une lueur intensément rouge envahit rapidement la pièce tandis que j’étais couché face contre terre, les mains sur la tête, prosterner face à l’indicible. Le silence, tout devint calme, puis la pierre se mit à battre en son régulier, comme un pouls. La flaque au centre captait ces vibrations et en émanait des cercles concentriques.

L’entrée caveuse de derrière moi s’obstrua tandis qu’une ombre se projeta sur le mur adjacent qui me faisait face. Un humanoïde en apparence se tenait debout dans mon dos. Sa respiration lente me transperçait les tympans. Je sentais tout le poids de cette entité malfaisante broyer ma volonté. Dans quelle contrée interdite avais-je mit les pieds ?

C’est alors qu’il prononça ces mots dans une voix gutturale qu’aucun organe humain ne pouvait produire.

Heyden vispula cyedan cqi undei. Marvelu anke lei venâm ?

Pris de terreur, je continuai de lui tourner le dos sans dire mot. Tout mon corps fut pris de spasmes.

Oro vek ilem ! Noh jak malû !

Il s’approcha de moi et d’une main puissante et osseuse me tourna face à lui. C’est alors que ce visage si l’on peut nommer cela ainsi, m’apparut sans détour. Je ne pouvais dérober mes yeux à cet amas coagulé de suie noir et de pue verdâtre tentaculaire qui grouillait en un chaos cosmique. Je ne saurai être plus enclin à décrire cela tant ma lucidité me perdrait. La chose enfonça ce qui semblait être un œil au plus profond de mon âme. Je sentis presque cette chose m’ausculter de l’intérieur, sondant mon âme sans mesure.

Puis elle lâcha prise me laissant chuter sur le sol, enclin à la démence. Je compris alors que je n’étais pas ce qu’elle cherchait ou attendait en ce lieu. Quoique cela fut, je ne lui souhaiterais nullement d’être trouvé par cette chose nauséeuse et purulente. Alors qu’elle tournait les talons, j’aperçus mon reflet dans la flaque qui cette fois était en possession de ma tête et mes mains. Seulement alors que mes yeux roulaient vers le bas je vis à ma plus grande stupeur qui me fit presque m’évanouir que mes propres mains étaient amputées et dont la coupe était encore fraîche et rougeoyante. Mon cœur s’emballa de plus belle tandis que je courus à toute allure, sortant du tertre maudit pour rejoindre les plaines qui autrefois étaient un marécage.

Dans ma course effrénée je chutai sur une large branche, la tête la première. Mais aucun impact ne se fit sentir, alors je levai mes restes de poignets pour tâter craintivement mon crâne. Rien, le vide, je descendis jusqu’à mon cou et mes funeste poignets n’eurent contact avec rien. Ma tête elle aussi avait été amputée et pourtant je continuais de voir et de respirer.

C’est là que j’ai compris. J’étais devenu mon reflet vu au préalable dans le marécage. Je ne sais comment ni pourquoi, mais quelque instant après je me réveillais à moitié engloutis dans une mare vaseuse avec l’entièreté de mon corps. Je suis reparti en panique sur le sentier menant à Herknam sans chercher à savoir. Maintenant je suis sain et sauf, deux jours se sont écoulés et je couche ces mots pour que cette expérience ne disparaisse pas du monde tandis que mon esprit brumeux engloutit peu à peu ce souvenir, ce rêve, ce reflet.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx