Le Dernier Brûleur d’Étoiles – La Voix du Mirage, chapitre 11

7 mins

Il me fallut quelques instants pour accuser le coup. Galahad observait ma réaction ; je sentais son regard peser sur moi. Une fois la surprise passée, aussi étrange que cela puisse paraître, j’acceptai assez bien l’idée d’être passé dans un autre uni­vers. Je pouvais ainsi expliquer les changements et évènements étranges qui m’étaient arrivés ces derniers jours.

Cette révélation entraîna évidemment d’autres interrogations. Comment l’existence de cet autre univers était-elle possible ? Où se situait-il par rapport à celui que je connaissais ? Comment avais-je fait pour passer d’un univers à l’autre ? Pourquoi moi, pourquoi maintenant ? Tant de questions que j’aurais voulu poser à Galahad si je ne m’étais pas senti aussi épuisé.

– Je crois que ça suffira pour ce soir, déclara Galahad avec un sourire. Tu auras la suite plus tard, je te le promets.

Je ne répondis pas et m’allongeai près du feu. J’essayai de garder les yeux ouverts ; je ne voulais pas dormir, je voulais comprendre ce qui m’arrivait. Mais ce fut peine perdue ; j’étais tellement fatigué que je m’endormis en l’espace de quelques minutes.

Je ne rêvai pas cette nuit. Je dormis d’un sommeil profond, je n’entendis pas les chuchotements qui m’avaient accompagné toute la journée. Quand Galahad me réveilla, je me sentais plus reposé, et la fraîcheur de l’aube me donnait presque envie de me mettre en marche, même si je ne savais pas où nous nous rendions.

– Tiens, me dit Galahad en me tendant quelques fruits secs qu’il avait pris à l’auberge. Ce sera probablement notre seul repas de la journée, car je n’ai pratiquement plus de provisions.

– Vous avez monté la garde toute la nuit ? demandai-je.

Galahad ne répondit pas. Je ne m’en formalisai pas ; je commen­çais à avoir l’habitude de poser des questions et de n’obtenir aucune réponse.

Après avoir mangé, nous nous mîmes en chemin. À nouveau, les murmures s’élevèrent autour de moi, mais cette fois, je ne commis pas l’erreur d’en parler à Galahad. Cependant, je ne pus m’empê­cher de l’interroger :

– Galahad, vous aviez encore des choses à me raconter hier soir, non ? Vous m’aviez promis de…

– Pas maintenant, m’interrompit-il. Nous parlerons plus tard. Pour l’instant, le plus important est de trouver de quoi manger. Nous avons encore trois ou quatre jours à passer dans la forêt avant d’atteindre Wahkan.

En disant ces mots, il se baissa et ramassa une branche d’arbre légèrement courbée.

– Ça fera un arc parfait, dit-il après l’avoir examinée. Gwenvael, essaie de trouver quelques branches droites et fines pendant que je m’occupe de ce bout de bois.

« Et c’est reparti », pensai-je. « Gwenvael fais ci, Gwenvael fais ça… Si tu savais ce qu’il aimerait te dire, Gwenvael »… Galahad, qui s’était assis, leva les yeux vers moi. J’eus la désagréable impression qu’il lisait dans mes pensées ; aussi, je m’empressai de tourner les talons et de m’éloigner pour chercher ce qu’il voulait.

Quand je revins avec quatre branches qui correspondaient à ce dont il avait besoin, il me montra l’arc qu’il avait fabriqué.

– Où avez-vous trouvé la corde ? lui demandai-je en lui tendant les branches.

– Je l’avais avec moi. Un voyageur ne doit jamais partir sans cer­tains accessoires : un couteau, de l’eau, un peu de provisions comme de la viande séchée, une corde, deux petites pierres à feu et un flacon d’un alcool un peu spécial. Dans la mesure du possible, il emporte également une épée, un sabre, une dague, une hache ou un arc et des flèches. Rares sont ceux qui voyagent sans être armés. Les routes sont peu sûres en ce moment, et les brigands abondent.

– Pourquoi un voyageur doit-il emmener de l’alcool ? voulus-je savoir. Pour se réchauffer ? « Ou pour tromper l’ennui », pensai-je, mais je ne le dis pas.

– Celui-là n’est pas pour boire, c’est pour les blessures. Oh, pas pour ce genre de blessure, ajouta-t-il avec amusement alors que je regardai l’endroit où il m’avait frappé de son épée. Celle-ci est tout à fait superficielle. Je veux parler des blessures profondes, et en particulier celles qui sont faites par une arme couverte de poison. Cet alcool est assez efficace contre ça.

Je le regardai, incrédule. Mais quel était ce monde dans lequel j’étais tombé ? Un monde de fous, de moyenâgeux barbares. C’était la seule description qui me venait à l’esprit.

Galahad achevait sa première flèche. Au bout de l’une des branches que je lui avais données, il avait attaché, à l’aide d’un mor­ceau de corde, une petite pierre taillée en forme de pointe. À l’autre bout de la branche, il avait esquissé une encoche avec son couteau. Il me tendit la flèche pour que je puisse l’observer.

– C’est une flèche de fortune, se justifia-t-il. Elle n’est pas par­faite, mais elle pourra nous servir.

– Comment avez-vous taillé la pierre ?

– Je ne l’ai pas taillée. Mes nombreux voyages m’ont appris à emporter un peu plus que le strict nécessaire. J’ai acheté ces pierres (il m’en montra deux autres) sur un marché. Elles ne sont pas de première qualité, mais elles dépannent en cas de besoin.

Il fabriqua rapidement deux autres flèches, puis se releva.

– Maintenant, il ne nous reste plus qu’à trouver une proie, déclara-t-il.

– On ne peut pas manger plutôt des fruits, ou des choses comme ça ? demandai-je.

Même si j’aimais bien la viande, je n’étais pas un partisan de la chasse, et l’idée de traquer un animal, quel qu’il fût, n’était pas fran­chement à mon goût.

Galahad me jeta un regard à la fois froid et plein de mépris. Je n’insistai pas. De toute façon, nous n’avions pas croisé beaucoup d’animaux depuis que nous étions dans la forêt.

Le soir tombait quand Galahad posa sa main sur mon bras.

– Là, murmura-t-il.

Il désigna un arbre au large tronc, à la base duquel se trouvait un trou assez bien camouflé, que seuls des yeux de chasseurs auraient pu repérer.

– Écoute. Il y a des petits. L’oiseau doit être parti chercher de quoi les nourrir.

Et, en effet, quelques minutes plus tard, un oiseau ressemblant à une perdrix arriva près du tronc.

Nous étions à une vingtaine de mètres de l’arbre, et l’oiseau ne nous avait pas remarqués. Sans un bruit, Galahad saisit son arc et encocha une flèche. Alors qu’il tendait le bras, je reculai. Mes pas firent bruisser les feuilles mortes, et aussitôt, l’oiseau déguerpit. Galahad se retourna vers moi, furieux.

– Tu le fais exprès, ou quoi ?! gronda-t-il à voix basse.

Je me retins de lui répondre par l’affirmative.

Il me toisa pendant quelques secondes qui semblèrent durer des heures, puis se tourna à nouveau vers l’arbre. L’oiseau était revenu, mais il était sur le qui-vive. À nouveau, Galahad tendit son arc ; et cette fois, il tira.

Je dus contenir un cri de dégoût. Galahad avait bien visé, et l’oi­seau n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’il était déjà mort.

– Parfait, déclara Galahad. Ces oiseaux-là s’occupent à deux des petits ; je pense que celui-ci est le mâle. Les oisillons ne mourront pas de faim.

Il regarda rapidement le ciel.

– Nous allons nous arrêter ici. Il est déjà tard. Va chercher l’oi­seau pendant que je prépare le feu.

Je m’exécutai, mais arrivé près de l’oiseau mort, j’eus la nausée. Du sang coulait sur son plumage clair, et je ne pouvais m’empêcher de penser aux oisillons qui continuaient de piailler.

– Et alors, tu rêves ? me lança Galahad.

Je me baissai et ramassai l’oiseau. La flèche avait dû l’atteindre en plein cœur. Je me dépêchai de m’en débarrasser et de le poser devant Galahad.

– Parce que tu comptes le manger avec les plumes ? me lança-t-il d’un ton moitié agacé, moitié moqueur. Dépêche-toi de le préparer.

Il me regarda m’occuper de l’oiseau sans me proposer son aide, comme s’il savait que cela me dégoûtait et qu’il prenait plaisir à ce spectacle.

Je dus avouer que le repas fut plutôt bon, mais à ce prix, j’aurais tout aussi bien pu m’en passer.

– Tu vas veiller pendant le début de la nuit, le temps que je me repose un peu, me dit Galahad après manger. S’il y a quelque chose d’anormal, tu me réveilles.

J’acquiesçai en silence. Je me moquais presque de tomber nez à nez avec un animal sauvage. J’aurais voulu être à l’orphelinat, et comparé à Galahad, j’en venais presque à regretter Dewis. La grande aventure n’était décidément pas pour moi.

Galahad s’endormit rapidement, et lorsque sa respiration devint régulière, les murmures que j’entendais devinrent plus forts. Je sur­sautai. J’étais certain de ressentir une présence. Mais, étrangement, elle ne me semblait pas… humaine. J’hésitai un instant, et finale­ment, je réveillai Galahad.

– Qu’y a-t-il ? grogna-t-il.

– Je…

Non. Mieux valait ne pas lui parler des chuchotements.

– Je… Vous m’aviez promis de m’expliquer ce que je faisais ici, vous vous souvenez ?

– Et c’est pour ça que tu me réveilles ? Tu cherches les ennuis, c’est ça ?

Il n’attendit pas que je lui réponde ; il se tourna de l’autre côté et se rendormit presque aussitôt. Je soupirai et restai assis près du feu, scrutant l’obscurité, m’attendant à chaque seconde à voir surgir des créatures dignes de films d’horreur.

Je ne savais pas quelle heure il était ni combien de temps j’avais veillé quand Galahad se réveilla. Il jeta un coup d’œil vers le ciel.

– On aborde le deuxième tiers de la nuit, m’informa-t-il. Je te laisse dormir jusqu’à l’aube, puis nous repartirons.

Deuxième tiers de la nuit ? Cela devait signifier une ou deux heures du matin ; et pourtant, j’avais l’impression d’avoir monté la garde toute la nuit.

Quand Galahad me réveilla, il faisait encore nuit noire, et il me semblait que je venais tout juste de m’endormir.

– Où voyez-vous l’aube ? demandai-je en bâillant.

– Nulle part. On en est encore loin. Lève-toi et ne fais pas de bruit. Nous devons partir.

Il avait l’air tendu ; il avait éteint le feu, et ses yeux sondaient les alentours, s’arrêtant sur chaque arbre, chaque buisson. Sa main droite ne lâchait pas la garde de son épée, et la gauche était prête à saisir l’arc.

– Que se p…

– Tais-toi.

Après s’être retourné une dernière fois, il me fit signe d’avancer. Je ne voyais rien et je trébuchai sur une racine.

– Tu ne peux pas faire attention ? chuchota Galahad. Viens, suis-moi et dépêche-toi.

Il me saisit par un bras et me traîna à sa suite d’un pas rapide, courant presque, tout en faisant le moins de bruit possible. Je n’osais plus lui demander ce qui se passait, et me contentai, comme lui, de jeter de fréquents coups d’œil en arrière, sans savoir ce qui était censé nous poursuivre.

Nous ne ralentîmes que lorsque le soleil fut assez haut dans le ciel. Galahad paraissait plus détendu, même si tous ses sens res­taient en alerte. Autour de nous, tout était calme, et je me dis que nous avions sans doute semé nos poursuivants – si poursuivants il y avait eus.

J’étais mort de fatigue, je ne sentais plus mes jambes et j’avais du mal à reprendre mon souffle. J’aurais tout donné pour m’arrêter ne fût-ce que cinq minutes, mais comme s’il avait lu dans mon es­prit, Galahad me dit :

– Nous ne nous arrêterons pas maintenant, je préfère que nous attendions ce soir.

Je soupirai, mais je savais qu’il était inutile de protester. Alors je poursuivis mon chemin, ayant de plus en plus de difficultés à rester debout à mesure que nous avancions.

Quand vint le soir, enfin, nous fîmes halte. Nous mangeâmes les restes de l’oiseau de la veille, froids, car Galahad ne voulait pas prendre le risque d’allumer un feu.

– Êtes-vous certain que quelqu’un nous poursuivait ? questionnai-je après le repas. Je n’ai vu personne…

– Je ne sais pas, avoua Galahad. Mais je ressentais une présence. Quelque chose qui était là-bas, et qui n’aurait pas dû y être.

– Ah… et à ce propos, euh… vous vous souvenez que vous aviez promis de…

– Oui, coupa-t-il. Je m’en souviens.

J’attendis qu’il poursuive, mais il ne semblait pas décidé.

– Alors ?… insistai-je.

– Alors, dans quelques jours, nous nous rendrons à Wahkan. C’est une cité dont la bibliothèque est grande. Tu n’auras qu’à cher­cher les informations dont tu as besoin.

Ce n’était pas vraiment ainsi que j’avais vu les choses, mais je n’argumentai pas. Galahad ne me dirait rien, je pouvais le lire au fond de ses yeux.

– Je croyais que tu étais fatigué, me fit-il remarquer.

Ce quisignifiait, en langage galahadien, « tais-toi et dors ». Il n’eut pasbesoin de me le répéter, car la journée – et la nuit dernière – avaitété épuisante, et j’avais plus la tête à dormir qu’à discuter univers.

À suivre mardi prochain 🙂

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