Le Dernier Brûleur d’Étoiles – La Voix du Mirage, chapitre 15

6 mins

Encore des révélations dans ce chapitre… Bonne lecture !

Pendant quelques minutes, les deux hommes n’avaient plus échangé une parole. Puis, Yuma avait proposé d’une voix étrangement aiguë d’aller chercher des boissons. J’attendais qu’il revienne, le dos au mur, mon cerveau menaçant d’exploser. J’avais tout d’abord été surpris que Galahad prenne ma défense. Et puis, il y avait eu cette phrase, et le silence qui l’avait suivie. « Ce jeune homme est bel et bien un Brûleur d’Étoiles. » Je n’avais jamais entendu parler de ça auparavant. Comment pouvais-je ignorer ce que j’étais ? Cela n’avait aucun sens. Je repensai alors à l’explication que Galahad avait donnée de mes bleus sur le corps. Des marques de torture. Oui, je m’étais endormi sans rien, j’avais rêvé que j’étais torturé, et je m’étais réveillé couvert de blessures. Ce rêve m’avait semblé particulièrement réel, mais ce n’était pas la première fois…

Le retour de Yuma me tira de mes pensées et, à nouveau, je me concentrai pour ne pas perdre une miette de la conversation. J’en­tendis le bruit de verres que l’on posait sur une table. Puis le prince reprit la parole.

– À présent, je comprends mieux pourquoi vous pensiez que Gwenvael pouvait être l’Orenda. Pardonnez-moi d’avoir douté, mais l’absence d’un Mirage à ses côtés m’a empêché de l’identifier.

– Il est vrai que j’aurais dû commencer par ce point, admit Galahad. Mais j’avais d’abord besoin d’entendre ce que tu savais.

– Maintenant, je peux concevoir qu’il y ait une possibilité pour qu’il soit l’Orenda ; mais comment être certain qu’il s’agit de lui, et pas d’un autre ? Les Brûleurs d’Étoiles auraient pris soin de le ca­cher, ils ne l’auraient pas laissé vagabonder au risque de le voir tom­ber dans les griffes de Gurwan…

– Je crois que peu de Brûleurs d’Étoiles sont d’accord sur l’iden­tité de l’Orenda. Les écrits à ce sujet donnent lieu à de multiples interprétations. Ils pensent que l’Orenda est l’un des leurs, sans quoi les prophéties n’auraient aucun sens, mais ils ignorent encore lequel.

– Alors puis-je vous demander pourquoi vous croyez qu’il s’agit de Gwenvael plutôt qu’un autre ?

– Weids le pensait. C’est pour cela qu’il s’est sacrifié et l’a envoyé dans les mondes d’Eden. Depuis la naissance de Gwenvael, il n’a eu de cesse de répéter à son peuple que cet enfant était différent. Pra­tiquement personne n’a voulu le croire, hormis quelques-uns bien sûr, mais moi, j’ai en lui une confiance absolue.

– Étant donné les circonstances, votre avis sur Weids n’est peut-être pas très objectif… Ne vous a-t-il pas aidé, autrefois ?

Galahad parut hésiter, mais il se ressaisit et contourna la ques­tion de Yuma.

– Il n’empêche que Weids n’est pas de ceux qui agissent à la lé­gère. Toutes les décisions qu’il a pu prendre ont été longuement ré­fléchies. Et s’il pense que Gwenvael est l’Orenda en personne, je suis prêt à le croire, même sans preuves.

– Weids vous a-t-il dit si Gwenvael avait des pouvoirs… disons… dignes de l’Orenda ?

À nouveau, je perçus dans la voix de Galahad une pointe d’infime hésitation.

– Non, concéda-t-il. Il ne m’en a pas parlé, et je dois avouer que je n’ai rien remarqué de spécial non plus – hormis le fait qu’il soit séparé de son Mirage et qu’il survive.

– C’est pour cette raison que je m’interrogeais sur la qualité de Brûleur d’Étoiles de Gwenvael – et par conséquent sur sa qualité d’Orenda. Pas de Mirage à ses côtés…

– Il en est un, il n’y a aucun doute là-dessus, rétorqua Galahad. Et, qui plus est, il possède une pierre de lune, comme chaque membre de son peuple.

– Il peut l’avoir volée, ou bien il peut simplement s’agir d’une réplique.

– Non. Je l’ai observée pendant qu’il dormait. J’ai voulu la déta­cher de son cou, mais je n’ai pas réussi, même en utilisant mon épée. Ce qui signifie qu’elle lui appartient et que c’est une vraie. Seul le Brûleur possède le pouvoir de détacher sa pierre. Personne d’autre ne peut le faire.

– De quelle couleur est-elle ? L’avez-vous vu changer de cou­leur ?

– Oui. La première fois que j’ai vu Gwenvael, sa pierre était noire. Et depuis quelques jours, elle est toujours noire, mais teintée de reflets rouges. Ce qui signifie que son Mirage est vivant. Mal en point, mais vivant.

– Mais dans ce cas, où est-il ? Est-il resté dans les mondes d’Eden ?

– Je ne crois pas. Je pense au contraire que le Mirage de Gwenvael n’a jamais quitté Jawahar.

– Mais pourquoi Weids les aurait-il séparés ? En agissant ainsi, il risquait de les faire mourir tous les deux…

– Il devait penser qu’ils auraient suffisamment de forces pour vivre l’un sans l’autre, du moins pendant quelque temps. Il préférait peut-être prendre ce risque plutôt que de donner une chance à Gurwan de réunir les deux parties de cet être. Ainsi, il n’aurait au­cun moyen de mener à bien ses projets destructeurs, ni d’utiliser l’Orenda à des fins meurtrières.

– Oui, ce raisonnement se tient, admit Yuma. Mais il faudrait tout de même s’assurer que Gwenvael est bel et bien l’Orenda avant de l’utiliser… Avoir une preuve, en fait…

– C’était bien mon intention, et c’est pourquoi je souhaiterais le mener à son peuple, sur l’île, afin de le montrer à maître Mendawahl. Peut-être aura-t-il trouvé quelques informations concernant les prophéties. Mais j’aurais besoin de chevaux, car le voyage jusque Thetwin sera trop long à pieds, et trop dangereux si nous tombons encore sur une bande d’Arzuhls – ou pire.

– Je vous laisserai mes meilleurs coursiers. Cependant, si je puis me permettre, il existe une solution infaillible pour savoir si Gwenvael est bien l’Orenda. Rendez-vous à Ellinor et demandez qu’il soit testé.

– C’est impossible. Les tests sont trop durs et il ne passera pas le premier niveau sans son Mirage. Ni même avec.

– Pourtant, l’Orenda doit bien en être capable. Si Gwenvael ne peut le faire, c’est qu’il n’est pas celui que nous cherchons.

– Il est trop jeune. Des dizaines de Brûleurs d’Étoiles ont essayé, et aucun n’est allé plus loin que le troisième niveau. Certains en sont morts. Si c’est lui, on ne doit pas lui faire prendre le risque.

– Un refus reviendrait à trahir votre roi, Seigneur Galahad.

– Il doit y avoir d’autres solutions, répondit Galahad. Il faut que le roi comprenne qu’une alliance avec les Brûleurs est nécessaire. Je sais qu’il ne les porte pas dans son cœur, mais il doit s’associer avec eux.

Je constatai qu’il avait perdu toute l’assurance dont il avait fait preuve jusqu’ici.

– Vous n’aurez pas le choix, Galahad, répliqua le prince. Les po­pulations sont terrorisées ; plus personne ne peut voyager sans craindre d’être attaqué ; les parents ne peuvent plus laisser leurs enfants seuls car ils sont enlevés dans l’instant même où ils ont le dos tourné ; les éleveurs doivent rentrer leurs troupeaux tous les soirs, sans quoi ils retrouvent toutes leurs bêtes mortes le lende­main ; les habitants de fermes isolées sont obligés de se regrouper pour parer des attaques invisibles et meurtrières ; des gens dispa­raissent tous les jours, et personne ne sait ce qu’il advient d’eux… Les hommes ont peur, Galahad. Les Terres Maudites ne cessent de s’étendre, lentement, mais indiscutablement. Les Ténèbres com­mencent à prendre le pas sur la Lumière ; un Soleil Noir est apparu il y a quelques jours, et seul l’Orenda peut empêcher Jawahar de sombrer dans le chaos qu’il a connu autrefois. Si vous emmenez Gwenvael à Ellinor, les sujets de mon père réclameront un test. Ils préfèreront sacrifier un Brûleur d’Étoiles que des centaines d’entre eux, même si ce choix n’est pas forcément le meilleur.

– Je ne l’emmènerai pas là-bas, rétorqua Galahad.

– Et vous trahirez ainsi la confiance de votre roi ?… Vous avez une mission, Galahad. Vous avez prêté serment de ne pas vous en détourner. Personne ne vous a obligé à le faire, mais maintenant, il vous faut tenir parole.

– C’est exact, soupira Galahad, et je m’acquitterai de mon devoir, bien que je commence à douter du bien-fondé de cette mission. Les Brûleurs d’Étoiles vont finir par nous haïr encore plus que mainte­nant ; ils n’osent plus se montrer, et j’ai peur qu’ils finissent par se dresser contre nous.

– Nous n’avons plus le choix, vous le savez aussi bien que moi. C’est Gurwan, ou nous. Il n’y a pas d’alternative. Pas de place pour les discussions des Brûleurs.

À nouveau, j’entendis Galahad soupirer, mais il ne répondit pas. Les deux hommes durent finir leur verre, puis se souhaitèrent une bonne nuit. La porte du salon s’ouvrit, ils échangèrent encore quelques paroles en marchant dans le couloir ; puis les bruits de leurs pas et leurs voix s’estompèrent, et le silence s’installa.

J’attendis encore quelques minutes, au cas où l’un d’eux aurait oublié quelque chose, puis me décidai à quitter ma cachette. Le cou­loir était plongé dans l’obscurité et j’eus du mal à retrouver ma chambre. J’y parvins après m’être perdu deux ou trois fois ; et quand j’entrai, je cherchai vainement un interrupteur. « C’est pas vrai », pensai-je, « ils n’ont même pas l’électricité »… Et mainte­nant que j’y repensais, je n’avais vu que des chandeliers ; aucun lustre avec des ampoules, seulement des bougies.

Comme au Moyen Âge.

Aventures à suivre mardi prochain !

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