Chap 4

9 mins

Zane

J’ai un putain de mal de crâne ce matin, à tel point que j’arrive à peine à ouvrir un œil. On est dimanche si je ne me trompe pas, je peux alors rester pieuter toute la journée si cela me chante. Le seul hic, c’est que j’aimerais bien savoir si je me trouve dans ma chambre ou dans l’une des piaules de la baraque où j’ai fait la fête la veille. Parce que s’il y a bien un truc que je ne supporte pas, c’est de me réveiller à côté d’une nana dont je suis certain de ne pas me souvenir de son prénom ni de l’endroit où l’on a couché ensemble.

Mes yeux refusant toujours de s’ouvrir, je tends le bras pour tâter s’il y a quelqu’un près de moi dans le plumard. Si les sensations de ma main droite sont bonnes, il semblerait que je sois bien seul. Pas de corps nu à mes côtés, le drap est froid également. À cette constatation, mon cerveau m’implore de me rendormir, ce que j’accepte sans rechigner.

— Putain, on est dimanche merde ! Personne n’a de respect pour ça ? crié-je en entendant mon téléphone sonné au moment où je m’apprêtais à tomber dans un coma salvateur. Rien à foutre, je laisse cet engin de malheur finir de brailler pour reprendre mon activité, dormir, mais ce con recommence de plus belle. La gueule dans le cul, les yeux toujours collés, je cherche mon portable en me guidant au son horripilant qu’il émet. Une fois la main mise dessus, je décroche sans savoir de qui il s’agit et réponds de la voix la plus désagréable possible.

— Ouais ?

— Bonjour fils. Je suppose que la soirée a été bonne ?

Karma de merde, il ne manquait plus que lui. Qu’est-ce qu’il me veut pour m’appeler de si bon matin ?

— Très, père ! Sinon, que me vaut l’honneur de ton appel à cette heure un jour dominical ?

Son ricanement à l’autre bout du téléphone me donne envie de péter un truc, toutefois, je ne suis pas encore suffisamment réveillé pour en avoir la force.

— Je ne suis pas certain que l’on puisse dire que 14 h 45 soit tôt, mais passons. Je reçois à dîner le gouverneur Jones ainsi que sa femme et sa fille vendredi prochain. Pour une fois, fais-moi l’honneur de ressentir de la fierté pour toi, viens habiller convenablement.

— Merci pour cette gentille invitation, malheureusement j’ai autre chose de prévu. Tu penses bien que je suis absolument dévasté de ne pas pouvoir jouer mon rôle de parfait fils à papa.

Si j’en crois le silence qui me donne la réplique à l’autre bout de la ligne, même avec politesse, mon sarcasme passe mal. Papounet doit bouillir dans son costume qui pue le fric. Étant un enfant bien attentionné, je m’inquiète aussitôt et m’empresse de lui demander :

— Tu ne peux pas répondre parce que tu traverses un tunnel, ou tu viens de t’étouffer avec ton orgueil ?

— Ce n’était pas une question, mais un ordre ! Avant que tu essaies de me faire faux bond petit con, rappelle-toi juste que je suis en train de sauver une fois de plus ton cul de l’une de tes foutues bagarres qui a envoyé un gars sur le billard pour se refaire le nez.

Enfoiré puissance mille ! Il me tient par les couilles avec les conneries que j’accumule. Il en a conscience et s’en amuse. Je n’ai pas le choix et capitule tout en ravalant ma fierté.

— OK, c’est bon !

— Merci fils, je savais que je pouvais compter sur toi.

Une fois sa répartie prononcée, il raccroche sans plus de cérémonie.

Plus que bien réveillé maintenant, j’ai au moins la satisfaction de m’apercevoir que je me trouve dans mon appart, à côté de la fac. En revanche, comment suis-je arrivé jusqu’ici ? Ça reste un mystère que j’ai la flemme d’élucider, j’ai déjà eu ma dose de prise de tête.

La journée s’est déroulée dans une espèce de brouillard léthargique où mon esprit et mon corps étaient la plupart du temps en totale contradiction. En considérant le fait que j’étais bien alcoolisé de la veille, je m’étonne de ne pas m’être recouché après le réveil que m’a gentiment offert mon paternel. Heureusement, il existe un truc nommé café. Ce breuvage magique m’a tenu compagnie tout l’après-midi. Grâce à lui, j’ai récupéré la plupart de mes neurones à la fin de celle-ci. Par contre, vu l’état de Reggie lorsqu’il m’a répondu quand je l’ai appelé pour notre virée de cette nuit, je suis surpris de le voir au taquet et tout frais à mes côtés dans ma bagnole. Comment fait-il ?

— On en démolit combien ce soir, mon pote ?

C’est toujours pareil, à chaque fois qu’on se rend à l’un de nos combats clandestins, l’unique truc qui l’intéresse, c’est de miser sur le nombre de mecs qu’on va envoyer à terre. Le pire, c’est qu’à coup sûr il gagne ce con. Étant donné que c’est mon pote, j’entre dans son jeu et lance les paris. Seulement, ce soir, son passe-temps est de me questionner concernant mon plan avec la petite Syntia.

— Alors, dis-moi Zanouné, tu as décidé à quelle sauce tu allais la manger, la sœurette ?

— Pour le moment, j’en suis à la phase d’observation. Tu vois le genre. Je fais en sorte qu’elle remarque que je la surveille et la traque de temps en temps pour lui faire comprendre qu’à tout moment, je peux passer à l’attaque. Parfois, sans qu’elle s’en aperçoive, je me retrouve juste derrière elle, j’effleure son bras, sa nuque, le creux de son dos… Tu vois l’idée ?

— T’es un grand malade ! Sérieux, tu ne peux pas te contenter de la baiser comme les autres et d’aller t’en vanter auprès de son frère ? Simple, rapide, efficace.

Sa suggestion traverse mon esprit à toute vitesse, mais non, c’est trop facile, pas assez fort pour renvoyer la monnaie de sa pièce à ce Bastien Baker de mes deux.

— Crois-moi Reggie, je veux taper bien plus fort. Et puis, elle n’a pas l’air d’être le style de meuf à écarter les cuisses aussi facilement.

— Si tu le dis. Fais gaffe quand même !

***

J’ai commencé mon petit jeu du chat et de la souris avec miss Baker depuis quinze jours. À chaque fois que je l’approche, je ressens sa crainte, lis dans son regard l’angoisse mêlée à une pointe de curiosité. Malgré mon comportement ambigu, elle ne baisse plus les yeux. Elle me tient tête, m’envoyant même balader par moment. Elle ne fait pas partie des filles populaires, elle ne court pas après les sportifs. Parfois, elle se conduit étrangement, comme si quelque chose ou quelqu’un soufflait le chaud et le froid sur elle. Ouais, je sens que je vais bien m’amuser avec la petite Syntia.

Depuis le combat de dimanche soir, je ne passe pas inaperçu dans les couloirs de la fac. Cette fois, ce n’est pas pour mon nom de famille ou ma belle gueule. Je mettrais ma main à couper que c’est dû à la jolie entaille que je me coltine sur la pommette droite. Lorsque je suis arrivé lundi matin à l’endroit habituel où l’on se retrouve avec les potes, ces derniers n’ont pas manqué de se foutre de ma tronche quand ils ont vu l’état de mon visage. Bien entendu, Reggie étant là avant moi, il avait déjà déballé tous les détails bien croustillants de ce malencontreux accident. À ma décharge, je n’avais pas complètement décuvé au moment du combat dans l’entrepôt. Ce qui explique pourquoi le petit connard de footballeur, qui a profité de ce moment de faiblesse, va vite s’en mordre les doigts si je le croise sur le campus.

Cette activité nocturne n’a pas de règles écrites comme pour les sports légaux. Malgré cela, elle a des valeurs. Pas d’arme, pas de mise à mort, on combat à la loyale, droit dans les yeux. Le merdeux que j’ai affronté en dernier qui n’est autre que l’un des potes de Bastien et son chien-chien, Ryan, avait une sorte d’attelle en plastique couleur peau à la main droite. Dans l’obscurité, impossible de la remarquer avant que son poing ne m’atteigne. Je ne sais pas si c’est moi qui cherche la merde ou si c’est elle qui me poursuit, toujours est-il que les situations de ce genre s’enchainent dans ma vie.

Le reste de la semaine s’est déroulé de la même manière que les deux précédentes. Me faire chier en cours, préparer ma vengeance contre celui qui a égratigné ma jolie gueule et surtout, surveiller ma proie. En parlant de l’agneau, justement, je la repère installée sur l’herbe non loin du bâtiment principal avec sa copine et un mec qui a l’air d’avoir lu trop de livres à l’eau de rose. Je coupe Livy dans son récit pour les prévenir que je reviens.

— Avant de te barrer comme un voleur beau brun, tu peux peut-être répondre à ma question. Tous les autres sont OK, mais toi tu ne nous as rien dit.

Bien évidemment, je ne comprends pas du tout de quoi elle cause, bien trop occupé à espionner Syntia. Je me contente de la regarder un peu plus longtemps que la normale pour qu’elle saisisse que je n’ai absolument rien écouté. Me connaissant parfaitement, elle fronce les sourcils, pousse un profond soupir et me repose la fameuse question que j’ai loupée :

— Ce soir, tu viens avec nous à la fête des Deltas machin truc ?

Ah, si ce n’est que ça, no soucy.

— Forcément, tant qu’il y a de quoi s’amuser, je suis présent.

Je commence à amorcer mon départ pour aller taquiner un petit peu miss Baker quand la voix de Tao me rappelle un fait que j’aurais préféré oublier.

— Heu, t’es sûr, mec ? Ton père ne t’avait pas obligé à assister à une soirée avec ta future femme, Harper la pimbêche ?

Ma vie est merdique !

— Bordel, j’avais zappé ! Par contre, je serai là samedi soir pour la première grosse orgie de l’année.

Les Alpha Phi Alpha savent organiser de sacrées soirées dans leur fraternité bling-bling. Hors de question que je loupe ça. Une fois les détails calés, je me rends rapidement vers l’endroit où je vais pouvoir me divertir un peu.

— Ça ne serait pas la petite Syntia qui se trouve de nouveau sur mon chemin par le plus grand des hasards ?

Celle-ci tourne au ralenti son visage dans ma direction, me permettant de remarquer pour la première fois le bleu foncé et profond de ses yeux. Putain, si je n’avais pas envie de démolir son frère par son biais, j’aurais adoré qu’elle me suce en plongeant dans ses iris d’ange.

— Moi je dirais plutôt que c’est ton chemin qui a dévié pour empiéter sur le mien.

— Outch, madame est de mauvaise humeur aujourd’hui.

Vu la tronche qu’elle tire, je dois avoir tapé dans le mille, ce qui me motive davantage.

— C’est ça, donc au revoir !

Malheureusement pour elle, j’ai déjà laissé tomber mon postérieur à ses côtés, commençant à sortir le grand jeu.

— Je pense que je vais plutôt en profiter pour faire plus ample connaissance avec toi.

Ce n’est pas elle qui réplique, mais sa pote. Complètement à l’opposé de la personnalité de Syntia le petit ange que je vais faire brûler en enfer.

— Salut Zane, ne t’en fait pas pour elle, elle est dans un jour sans.

— Merci pour l’info, tu es ?

— Ava… Je m’appelle Ava, lui c’est Chris. C’est juste mon binôme en science.

Sympa la meuf, elle ne s’emmerde pas avec la bienséance au moins. Cependant, ce n’est pas elle qui m’intéresse.

— Alors chérie, comment se passent tes premiers pas dans notre super université de Bloomington ?

Je scrute chacune de ses réactions pour être au top quand je mettrais mon plan à exécution. Là, je dois dire que je l’agace fortement si j’en crois ses doigts qui se crispent sur sa robe fluide beige.

— Je ne suis pas ta chérie ! Sérieusement, fous-moi la paix Zane !

Tu rêves ma jolie. Je vais plutôt me comporter en vrai connard pour t’énerver un peu plus. Je tends la main vers elle et lui subtilise le livre qu’elle avait entre les siennes.

— Hum, intéressant. Manuel de médecine, je lis à voix haute. Tu m’as caché que tu étais une tête.

Cette fois, elle pète un plomb, elle plonge sur moi me déséquilibrant au passage. Je me retrouve sur le dos avec sa poitrine écrasée sur mes abdos bandés. Elle grimace légèrement et réussit à récupérer son précieux bouquin. Malheureusement, je n’ai même pas le temps de profiter de ses petits seins chauds sur moi qu’elle se relève aussi vite que si elle avait le feu au cul. Son doux visage de fille sage se transforme en celui de nana agacée lorsque ses yeux rencontrent mes iris couleur onyx.

— Merde à la fin, je ne t’ai rien demandé, je ne sais pas ce que tu attends de moi ! Ce qui est sûr, c’est que de mon côté je veux juste que tu m’oublies. Je ne suis pas intéressée par un plan cul ou une autre connerie du genre !

Même si cette petite conne vient de m’adresser un semblant de vent en présence de ses amis et d’étudiants non loin de nous, je ne lui donne pas la satisfaction de voir mon égo froissé. Je me remets sur mes pieds tout en restant accroupi à son niveau et je ricane, histoire de lui faire comprendre qu’elle n’a pas du tout atteint son but. Une fois que je suis assuré d’avoir toute son attention ainsi que celle de ses potes, j’arrête de jouer les garçons sympathiques et lui envoie en pleine face ce que je pense d’elle.

— Franchement, tu t’es bien regardée ? Pourquoi j’aurais envie de me taper une meuf coincée comme toi quand tout un tas de nanas font la queue pour avoir la possibilité de se trouver ne serait-ce qu’une nuit dans mon lit. Ne prends pas tes rêves pour des réalités, ton cul ne m’intéresse absolument pas !

Sur ce, je me redresse et m’éloigne sans savourer l’effet qu’a eu ma petite tirade sur elle. La seule chose qui me parvient, c’est le son de sa voix étranglée qui m’insulte.

— CONNARD !

Toujours dos à elle, marchant dans le but de rejoindre la bande, je lève mon majeur bien haut, lui répondant d’un ton moqueur :

— Je sais, chérie, tu me l’as déjà dit !

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