Chapitre 2.2 – La Papesse (La Prophétie des morts antiques)

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Mathilde fut réveillée assez tôt par le bruit de la rue. La fenêtre de sa chambre donnait directement sur une petite ruelle très passante, juste à côté des arènes antiques d’Arles. Qui plus est, il faisait très chaud et elle ne pouvait pas espérer passer la nuit autrement que la fenêtre grande ouverte. Pour ne rien arranger, le chat était resté collé à elle, et elle avait littéralement la jambe droite brûlante comme si elle avait de la fièvre, en se levant.

— C’est pas vrai, tu as juré de me faire venir chèvre ou quoi? C’est quoi ces nouvelles habitudes?

Le chat la regarda avec de grands yeux écarquillés et émit un faible miaulement. On aurait cru un petit chaton abandonné dans une ruelle déserte et pas un mâle en surpoids d’un certain âge.

— Je le crois pas, grommela Mathilde en se levant pour lui donner à manger, c’est un vrai pot de colle maintenant. Je ne vais quand même pas t’amener voir un psy? Remarque on en aurait peut-être bien besoin l’un comme l’autre. Ou alors on continue notre relation dysfonctionnelle? qu’est-ce que tu en penses? 

Elle dit cela en pensant que si elle se mettait à parler seule ou à son chat, il serait peut-être effectivement temps de consulter. Ou de sortir rencontrer de nouvelles personnes, ça non plus ça ne lui ferait pas de mal.

Elle prit la décision d’engager la conversation avec son hôtesse qui lui avait parut sympathique avant de retourner sur le chantier de fouilles, pour voir Pauline mais aussi pour reprendre contact avec Nicole Bouvier. Avant, elle pourrait flâner dans la ville, peut-être faire une visite au théâtre antique et boire un verre à la terrasse d’un café. Tandis que cette perspective la réjouissait, un sourire flottant sur ses lèvres, elle passa en revue la petite chambre qu’elle occupait et son regard tomba sur le carton qui contenait les papiers de Kaplan; et son sourire s’évanouit aussitôt.

Faudrait-il qu’elle trouve un moment dans son programme si alléchant pour commencer à trier les papiers de son vieil ami? Rien ne pressait vraiment, mais le notaire lui avait quand même fait comprendre qu’il faudrait dépouiller toute cette paperasse pour ne pas avoir de mauvaise surprise, comme un enfant caché ou une autre version son testament rédigée une semaine avant sa mort, par exemple. Ce genre d’idée ne lui serait pas venue à l’esprit, mais elle avait jugé judicieux de prendre ces documents avec elle pour ne pas trop laisser les choses trainer. Si c’était pour les reléguer dans un coin maintenant, cela ne servait pas à grand chose de les avoir transportés si loin de chez elle. Elle soupira et ouvrit le couvercle du carton plat qui avait contenu des bottes. Il était assez vaste pour faire tenir des lettres et de grands dossiers, et assez plat pour rentrer dans sa valise. 

Elle décida de procéder sans méthode: elle attrapa une liasse au hasard et la fourra sans son sac sans plus y penser pour le moment. Pour le moment, elle préférait prendre sa douche et se diriger vers la salle commune où elle espérait trouver un bon petit déjeuner. 

Une bonne odeur de café lui chatouilla les narines dès qu’elle sortit de sa chambre ce qui lui parut de bon augure. Cette journée allait bien se passer et elle allait mettre tout de suite sa résolution en pratique: entamer une discussion enjouée avec la jeune femme qui tenait le gîte. Mais après avoir un «bonjour» qui s’étrangla à moitié dans sa gorge, son inspiration n’alla pas plus loin. 

Heureusement, son interlocutrice lui demanda si elle avait passé une bonne nuit, s’excusa encore pour le bruit qui venait de la rue et s’enquit du chat, ce qui lui permit de discuter sans trop d’efforts. Mathilde était vraiment admirative des gens qui avait ce sens inné de la sociabilité. En même temps, se dit-elle, il fallait mieux que ce soit le cas quand on se lançait dans chambres d’hôte ou ce genre de choses. 

— Votre chat s’habitue bien?

— Oui, il vit en appartement, ça ne le change pas beaucoup. Je ne me rappelle pas l’avoir vu mettre une patte dans l’herbe.

— Il y a un petit jardin derrière, entièrement fermé, si vous voulez je pourrai l’emmener prendre l’air. Ça ne risque rien et si vous voulez j’ai des harnais et des laisses.

— Pourquoi pas, mais je ne sais pas si ça va marcher et puis je ne veux pas que ça vous embête.

— Au contraire, c’est pour ça que dans mon gîte j’accepte les animaux, ça me permet de passer du temps avec eux pendant que leurs propriétaires sont en vadrouille.

— Alors j’accepte volontiers mais je ne garantit pas la coopération de l’animal en question. 

— Vous allez  vous promener en ville aujourd’hui?

— Oui je voulais flâner et peut-être faire une visite ou deux. Et puis je dois voir quelqu’un.

— Vous avez de la famille, des amis ici?

Mathilde appréciait les gens qui étaient capables de converser facilement, mais par contre elle détestait que les discussions tournent à l’interrogatoire, surtout quand les gens à qui elle parlait ne se livraient pas et qu’elle devait dévoiler la moitié de sa vie en quelques phrases. Elle marmonna une réponse inaudible et salua avant de partir. Elle devait encore compléter sa liste pour que cette journée soit parfaite, mais elle se disait que ce serait peut-être moins idyllique que prévu.

En soupirant elle sortit, contourna les arènes devant lesquelles des groupes de touristes commençaient à faire la queue et se dirigea vers le théâtre antique. Là aussi pas mal de monde était déjà sur place. Elle prit malgré tout un billet. L’air déjà chaud du matin, le soleil sur les pierres, le chant des cigales tout aurait pu concourir à ramener Mathilde, en pensée, dans les âges anciens. En fermant les yeux, elle aurait pu imaginer un choeur antique prêt à déclamer des vers de Sophocle. Mais la présence des autres visiteurs, les groupes qui se prenaient en photo, les enfants qui se couraient après dans des vêtements colorés et les multiples langues qui résonnaient ne contribuaient pas beaucoup à lui permettre de se sentir transportée dans une autre époque. Elle repartit.

Elle s’assit à la terrasse d’un café, commanda une orange pressée et se laissa bercer un moment par la foule des passants qui déambulaient sur la place devant laquelle elle était attablée. Elle prit son courage à deux mains et sortit la liasse de papier qu’elle avait emportée avec elle dans son sac. Elle se sentait mal à l’aise à l’idée de plonger dans l’intimité de Kaplan, le vieil ami de ses parents, celui qui avait toujours été pour elle comme un parrain, même s’il ne l’était pas officiellement. Bien sûr dans son métier, elle avait l’habitude de consulter la correspondance ou les papiers officiels de gens qui ne souhaitaient peut-être pas exposer leurs pensées ou leurs turpitudes administratives au premier venu. Mais alors, elle avait moins de scrupules. Elle décida de faire comme si elle était engagée par une tierce personne pour faire ce travail: trier et classer les documents d’une personne décédée, point barre. Finalement, c’était bien ce que lui demandait le notaire.

Elle prit une grande inspiration et consulta les papiers. Elle choisit d’abord quelques lettres qui étaient rangées dans leurs enveloppes et qui étaient destinées à Kaplan. Une carte postale d’une vielle amie. Jamais entendue parler. Une sorte de catalogue de livres anciens qui auraient pu intéresser le bibliophile. Sans intérêt. Une lettre d’amour, assez belle, explicite aussi, qui devait être ancienne bien qu’elle ne soit pas datée. Elle essaya de distinguer le cachet de la poste mais il était très effacé. Il lui aurait fallu une loupe ou un scanner mais elle n’avait bien sûr rien de tout cela. De toute façon à quoi bon? Cette lettre non plus n’avait plus d’importance. Elle en dépouilla quelques autres du même genre avant de tout remettre dans son sac.

Elle fit un saut dans une papeterie et acheta un lot d’enveloppes en papier kraft marron. Avec un gros marqueur noir elle écrivit: “sans intérêt” sur l’une d’entre elles et y plaça les premiers documents qu’elle avait dépouillés. Ce début de classement lui apporta une certaine satisfaction mais la matinée avait été moins plaisante que prévu. En fait, elle se rendit compte que depuis qu’elle était arrivée à Arles, elle n’avait qu’une envie, c’était aller retrouver sa nièce sur son chantier de fouilles. Elle lui envoya un texto, elle arrivait.

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