Chapitre 3.3 – L’impératrice (La prophétie des morts antiques)

6 mins

La matinée était maintenant bien avancée et elles n’avaient pas dormi de la nuit. Mathilde s’écria soudain:

— J’ai oublié le chat, il est enfermé depuis hier soir! Et Pauline, et le groupe, il ne faut pas qu’ils aillent sur le chantier, ils vont trouver les rivalises et tous l’attirail de la police! Et moi qui pense au chat! Tu vois, heureusement que je n’ai pas d’enfants, je n’ai vraiment pas le sens des priorités.

— Ne t’inquiète pas pour ça, j’ai déjà envoyé mes instructions pendant que tu étais à l’hôpital. Mon assistante va prendre en charge le groupe, ce matin ils iront visiter le musée de l’Arles antique. Pour le moment, ils ne sont au courant de rien, mais il faudra bien leur expliquer. Pour ton chat, on peut passer là où tu loges, tu en profiteras pour te refaire une tête.

— C’est vraiment à ce point-là? demanda Mathilde en essayant de se regarder dans le miroir de courtoisie de son pare-soleil. 

Elle avait du sang séché dans les cheveux, des cernes noirs sous les yeux. Ses vêtements étaient couverts de terre et sa dernière douche remontait à plus de 24 heures. Un petit détour par son gîte ne serait sans doute pas superflu. Quand son hôtesse la vit arriver, elle manqua de pousser un cri de stupeur. Elle semblait à la fois effrayée et soulagée.

— J’étais sûre qu’il vous était arrivé quelque chose! Je ne vous ai pas vu revenir hier soir et puis votre chat il s’est mis à miauler comme si on l’écorchait vif. J’ai dû le prendre avec moi pour qu’il se calme.

— Ne vous inquiétez pas, je vais bien. Je vais prendre un douche et ça ira mieux après. Mais vous pourriez nous trouver un petit quelque chose à manger pour mon amie et moi. On n’a pas dormi et rien mangé depuis hier soir, ça nous ferait du bien.

Elle accepta bien volontiers et proposa même de leur monter un plateau dans la chambre plutôt que de les servir dans la salle-à-manger. Quand elle entra dans sa chambre Mathilde dut faire face à la curiosité inquiète du chat. Il se mit à renifler chaque centimètres de sa peau et prit un air dégouté en sentant le sang. Puis il se désintéressa d’elle, puisque manifestement, elle était entière et se tourna vers Nicole qu’il sembla adopter dans l’instant. Elle le caressait distraitement en regardant autour d’elle. 

— Tu n’es pas trop bien installée ici pour enquêter correctement.

— Pour être honnête je n’ai pas louer un bureau de détective mais une chambre pleine de charme pour passer quelques jours de vacances au calme.

— Je ne sais pas pourquoi mais tu me fais l’effet d’une femme qui ne reste jamais loin des ennuis qui la rattrapent, je me trompe.

— De moins en moins ces dernier temps, tu as raison. Je crois que je vais devoir m’y faire.

— Et ça n’a pas l’air de trop te déranger.

— Tu as l’air bien sûre de toi.

Mathilde observait Nicole. Elle avait une soixantaine d’années qu’elle portait comme si elle n’en avait que quarante. Dynamique, déterminée, elle encadrait jeunes et étudiants avec une rigueur bienveillante. Avec ses cheveux rassemblés en chignon, elle lui faisant penser à une statue grecque ou romaine. Une de ces matrones respectées des cités antiques. Il ne lui manquait plus qu’un manteau accroché sur l’épaule et l’illusion serait parfaite.

— A quoi tu penses?

— Je pense à notre enquête. Tu pourrais me parler un peu de Tristan. Et de sa découverte. Tu penses vraiment que sa mort est liée aux fouilles qu’il faisait? Tu ne lui connaît pas d’ennemis par ailleurs?

Nicole s’absorba dans ses réflexions quelques minutes que Mathilde mit à profit pour passer à la salle de bain. Quand elle revint dans la chambre, un joli plateau bien garni avait été monté et Nicole grignotait un muffin, les yeux toujours dans le vague.

— Je n’arrive toujours pas à y croire. C’est moi qui l’ai fait venir sur le chantier, je me sens responsable.

— Parles-moi de lui.

— C’était un de mes étudiants, à Nice. Il était brillant. Il était parti finir sa thèse en Italie. Il avait étudié les villae romaines du Sud de la Gaule et du Nord de l’Italie. On était restés en contact, et il m’a toujours rendu service malgré sa notoriété grandissante dans le milieu, je crois qu’il avait gardé une certaine nostalgie de ses premières années d’études. Enfin, je l’aimais beaucoup et il ne méritait pas ça, c’était un chouette gars et un archéologue très prometteur.

— Qu’est-ce qui fait la différence dans votre domaine?

— Oh il faut de la chance c’est sûr, mais il faut aussi l’intuition de choisir les bons chantiers. Alors, on n’a pas toujours le choix mais savoir où fouiller, ça fait intervenir pleins d’informations différentes. Ce qu’il y a autour, mais aussi une grande connaissance de la période. Et lui, il avait du flair.

— Mais, ici c’est toi qui a décidé de creuser, de faire ce chantier? Comment ça s’est passé?

— Ici, c’est le musée d’Arles qui a été chargé de la campagne de fouilles. C’est un chantier préventif. La ville veut construire un parking. Mais comme dans beaucoup de villes du sud, comme Marseille, Nîmes ou Fréjus, dès qu’on creuse on trouve un vestige. Le musée a pensé que c’était peut-être une villa et a fait appel à moi, pour que je supervise les fouilles et que j’organise mon chantier jeune. Pour être honnête j’ai eu l’impression que ça ne les intéressait pas beaucoup.

— Ils doivent s’en mordre les doigts, ça a l’air beaucoup plus intéressant qu’une simple domus.

— Je ne crois pas qu’ils soient au courant de la découverte de Tristan, en tous cas j’ai demandé qu’on fasse les choses discrètement jusqu’à ce qu’on puisse publier dessus. 

— Et tu ne crois pas qu’il ait pu y avoir des fuites? Il y avait plein de monde sur ton chantier.

— Tu as peut-être raison. Bon et maintenant, on fait quoi?

Mathilde voulait contacter Sam et lui demander de commencer les recherches sur Tristan Vernier. 

— C’est qui ce Sam?

— C’est une Sam. Samia, c’est ma collaboratrice, un véritable petit génie de l’informatique. Je ne sais toujours pas pourquoi elle se contente de travailler pour moi, elle pourrait être embaucher par n’importe quelle multinationale et gagner dix fois ce que je peux lui payer. 

— Peut-être que ça lui plait. Tu sais maintenant les jeunes, ils ne cherchent plus à faire carrière à tout prix, ils veulent aussi faire quelque chose qui a du sens pour eux. Regarde, toi c’est pareil, tu aurais pu rester tranquillement dans ton poste à la fac. C’est déjà assez difficile à obtenir. Et tu préfères être détective.

— Oui, mais moi j’ai vécu un chaos indescriptible dans ma vie, c’est ça qui a fait bouger les choses. Mais tu as sans doute raison pour la jeune génération. En tout cas, pour le moment Sam est vraiment ce qui me permet de garder mes enquêtes dans le coup sur le plan de l’informatique, parce que moi j’aime bien ça mais elle est loin de jouer dans la ligue amateur. Je suis sûre qu’elle aura pleins d’infos à nous donner dans très peu de temps.

Elle appela Sam qui tomba des nues en apprenant que sa patronne avait encore fini à l’hôpital et qu’elle était à nouveau sur une enquête de meurtre. Elle la mit au courant des affaires qu’elle gérait en son absence et prit en note ce qu’elle attendait sur Tristan Vernier, leur nouvelle victime. Mathilde se retourna vers Nicole et lui demanda de lui décrire l’ambiance sur le chantier.

— J’ai quatre équipe qui s’occupent des jeunes. Celle de Pauline, avec à sa tête le professeur Yves Bernier. C’est un vieux collègue à moi. Il n’enseigne plus depuis plusieurs années, il est à la retraite mais il me rend service chaque été, il vient sur le chantier. Il est très apprécié des étudiants et des jeunes, et il n’a plus rien à prouver. Il n’est en concurrence avec personne et surtout pas avec Tristan, même s’il n’aimait pas trop ses méthodes. Ce n’est pas la même génération, tu comprends. 

Mathilde acquiesça et Nicole poursuivit.

— Ensuite, il y a Paul, Paul Menier. Il fait des grands discours, il est un peu pompeux, un peu ennuyeux aussi mais il n’est pas vraiment du genre vindicatif. Il fait son travail dans son coin. Il est titulaire de son poste à l’université de Nîmes, il est assuré de finir sa carrière tranquillement, je ne vois pas pourquoi il aurait tué Tristan. Après, nous avons Charline Durandi. Elle, elle a un peu les dents qui rayent le parquet, beaucoup d’ambition, beaucoup de charisme. Mais elle s’entendait bien avec Tristan, peut-être même un peu trop. J’ai cru percevoir un rapprochement entre eux ces derniers jours. Enfin, il y a Jocelyn Bernard. Il est de la même promotion que Tristan et ils se sont toujours mesurés l’un à l’autre, ils étaient toujours en compétition pour les notes, le classement. Et ça n’a pas arrêté dans leurs recherches, ils travaillent presque sur les mêmes sujets. Jocelyn est capable, compétent, mais il n’a jamais eu cette étincelle que j’ai tout de suite vue chez Tristan. Il est plus terne, tu vois, c’est malheureux à dire, mais Tristan lui faisait de l’ombre. Mais je ne crois pas que ce soit un motif suffisant pour un meurtre.

— Ça a pu dégénérer entre eux et puis il faut commencer quelque part.

— Et puis, il y a tous les étudiants, j’écarte les ados, ils n’avaient pas accès au chantier tous seuls.

— Il faut que j’interroge tous ceux qui l’ont côtoyé ces derniers jours. Et puis, j’aimerais être là avec Pauline quand tu leur annoncera et je n’ai pas envie qu’elle l’apprenne par les rumeurs qui ne vont pas tarder à circuler dans votre groupe.

— Très bien, allons-y mais objectivement, cela pourrait être n’importe qui, un voleur que Tristan aurait dérangé, tu ne crois pas.

Mathilde hocha la tête sans conviction. Cela ne cadrait pas avec ce qu’elle avait vu la nuit précédente. Et elle aurait vraiment voulu comprendre ce que Tristan Vernier faisait sur le chantier à une heure aussi tardive. Elle ne croyait pas à une simple volonté de poursuivre un travail qui le passionnait. Il y avait forcément quelque chose de fondamental enfoui sous toute cette terre.

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