Avant la lecture, si vous souhaitez me soutenir dans mes projets, c’est là https://fr.tipeee.com/l-univers-de-corbeau-nevar
Le lendemain, la journée commençait par un cours intitulé « langue, histoire et civilisations des mondes grecs et romains ». La prof, Madame Gauthier, était une sexagénaire, très élégante, très impressionnante intellectuellement, le genre de professeur qui dit « Oh, vous savez, je ne sais même pas bien lire le linéaire B », comme s’il y avait beaucoup de monde à savoir le lire. Mais forcément, quand en colloques, on rencontre des grands spécialistes dans un domaine, chacun se rend compte de ses propres limites et cela rend un peu modeste sur ses propres compétences. Mais il y a aussi un certain orgueil dans cette modestie. Une fois dans le tramway, en direction du centre-ville, elle avait croisé Clotilde avec qui elle avait discuté, pour finir par lui conseiller de trouver une Bible dans une édition bilingue latin et grec.
Lors du premier cours, Madame Gauthier avait dit que l’ensemble du semestre porterait sur le vin, chez les Grecs et les Romains. Elle avoua très vite aux étudiants sa passion pour le vin, et qu’elle-même prenait des cours d’œnologie, et que de toute façon, comme c’était sa dernière année d’enseignement, elle souhaitait se faire un peu plaisir.
Et alors que le cours tournait autour du culte de Dionysos, des colères d’Alexandre le Grand sous l’emprise de la boisson, des préconisations de ce vieux ronchon de Caton l’Ancien contre l’ivresse des femmes, ou bien encore des peintures étrusques, elle annonça :
« Il va bien falloir que je vous note ce semestre. Je vous donne le choix entre trois modalités d’épreuves. Vous pouvez, traduire un texte en grec ou en latin, portant sur le vin, n’ayant jamais été traduit. Ne vous inquiétez pas, il y en a beaucoup, je pourrai même vous en proposer. Vous pouvez faire un commentaire sur un texte portant sur le vin. Là aussi, je peux vous en proposer. Et enfin, vous pouvez présenter devant la classe un exposé, sur le vin dans un texte antique ou médiéval. Ce n’est pas forcément en latin ou en grec. Mais vous n’allez pas au-delà du Moyen-Âge. La Renaissance, c’est trop facile. »
Et alors que le cours se finissait tranquillement, Clotilde sortit parmi les derniers, ayant une petite idée concernant le texte qu’elle pourrait utiliser. Peut-être un extrait de la Bible justement, de la Genèse, où Noé est ivre après le Déluge.
Pensive, elle croisa Mahaut entourée de ses amis. La discussion semblait animée. Comme s’il y avait une dispute. Mahaut, l’air sombre portait ce jour là un blouson en cuir de motard et un jean noir, déchiré en de multiples endroits. Clotilde devinait alors les différents bouts de cette peau qu’elle avait envie de toucher. Passée maîtresse dans l’art de faire bonne figure en public et d’éviter tout sujet pouvant fâcher, Clotilde alla donc la saluer. Mahaut semblait gênée, et proposa à Clotilde de sortir devant le bâtiment pour fumer, sans attendre de réponse. Dehors elle dit :
« Je suis désolée pour hier.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Et puis, je veux pas te vexer, mais c’est compliqué qu’on se parle devant eux.
— Devant qui ?
— Ben tu sais, mes potes, ça le fait pas tellement. Ils t’aiment pas trop. J’ai pas envie qu’ils soient désagréables avec toi.
— Et alors ?
— Ils t’appellent la facho.
— Pfff, rien à voir, j’suis royaliste. »
Mahaut sourit et la regarda, comme si elle avait en face d’elle la fleur la plus fragile du monde. Elle dit :
« T’es libre ce soir ?
— Oui.
— On peut se voir pour finir l’exposé, je crois que j’ai trouvé des choses intéressantes, et on aura nos trois parties.
— Fort bien.
— Et après, je voudrais t’emmener quelque part.
— Où ça ?
— C’est une surprise. »