Ma mère, féministe de la première heure, s’est faite un point d’honneur, contrairement à mes trois sœurs, de m’apprendre à cuisiner, à raccommoder les boutons de mes chemises, faire les ourlets de mes pantalons, tricoter, laver le linge et le repasser. Elle m’a enseigné l’art de recevoir, la composition florale et les multiples façons de plier une serviette de table.
Cet apprentissage me comblait de joie. Ma mère constituait mon horizon, était mon tout.
Mon père s’efforça, tant bien que mal, de prendre le contrepied de cette éducation qu’il considérait comme trop féminine. Il m’encouragea à faire de la voile, de l’équitation, à me battre. M’emmena à la chasse, m’apprit l’art de vider un sanglier et de plumer une outarde. Me transmit sa détermination et son sens de l’honneur. Etre et se comporter comme un homme… Vaste sujet, surtout lorsque l’on grandit en Afrique du Nord. Mon père était élégant, galant, fort et belliqueux. Ma mère était sa reine, son fils sa fierté. Ses filles demeuraient un mystère, il les aimait certainement, peut-être un peu moins que ses braques allemands.
Les femmes ont toujours joué un rôle essentiel dans ma vie. Ma mère, raisonnablement castratrice, m’a gardé sous sa coupe pendant de nombreuses années. Ma grand-mère maternelle, dragon que je vénérais, mes sœurs que j’ignorais mais qui étaient là. Mon ex-épouse, une artiste, qui m’a donné un fils. Les quelques amours qui ont marqué ma vie et qui m’ont rendu heureux, certainement plus intelligent et sensible.
Depuis quelques années cependant je papillonne, reviens occasionnellement m’abreuver à l’eau d’une même source, pour mieux repartir. Je n’arrive plus à me fixer et m’interroge, que se passe-t-il ?
Désormais, il devient difficile voire impossible de courtiser une femme sur son lieu de travail ou dans un contexte professionnel. Je n’ai rien en commun avec un Harvey Weinstein, ne suis, ni ne me comporte comme un porc (un porcelet parfois !), cependant le terrain est miné et pour éviter tout éventuel abus de pouvoir, tout geste ou compliment qui pourraient être mal interprétés sont étouffés, le niveau de testostérone est maintenu au plus bas, toute phéromone masquée par un déodorant puissant et les « afterworks » systématiquement déclinés. La « liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » évoquée, entre autres, par Catherine Deneuve a finalement été démolie par la mouvance #metoo et sa justice expéditive, véritable inquisition pouvant détruire une carrière sur simple délation d’un comportement inadéquat.
Ne fréquentant ni les bars, ni les boites de nuits, ni les prostituées, je me suis replié sur les sites de rencontres et là, c’est du frontal, le #metoo n’a qu’à bien se tenir.
Les dames de 39 à 55 ans sont devenues ma spécialité (j’ai 50 ans), tout milieu social, quoiqu’il semblerait que les enseignantes, docteures, cadres supérieures soient plus attirées par le contenu peu licencieux de mes chats. Je me tiens bien, cela plait et ouvre la porte au premier rendez-vous, habituellement dans un bar à vin ou à cocktails.
Si ce cap est franchi, le deuxième rendez-vous est plus ambitieux et après le dîner, le café se prend souvent chez l’une ou l’autre des parties.
Ces femmes, éduquées et très charmantes, sont d’une immense variété. Intelligentes, déterminées, fortes, elles se sont libérées, parfois difficilement, souvent au prix de sacrifices, du joug d’un mari pesant. Elles veulent rattraper le temps et s’adonnent à une sexualité débridée, exempte de tabous… tout cela, évidemment, pour mon plus grand plaisir.
Alors pourquoi ce papillonnage ? Ce d’autant plus que des liens d’amitié se créent et que des envies de vivre ensemble percent… Ramona était certes égocentrique, Anne-Marie trop gentille, Sara excentrique, Rosabel exigeante, Anna insatiable. Il y avait aussi Maria, Ana (avec un seul n), Barbara, Léa, Verena qui étaient des amours et d’autres encore comme Marie-Christine, Ariane, Arianna, Kalina, qui se sont très vite lassées de mon inconstance.
Que m’arrive-t-il ? Je ne supporte plus la routine, les contraintes, les complications. L’apparition du moindre sentiment m’effraie. Dès qu’une relation s’installe, je m’échappe et retourne à mon territoire de chasse électronique. Le rush de la conquête, de trouver toujours mieux m’obnubile… Elle doit être belle (bien sûr), intelligente, cultivée, élégante, svelte, professionnellement accomplie, sans enfants ou hors du nid, des hanches étroites, une peau élastique, la liste n’en finit plus.
Cette quête sans fin me frustre car je suis seul, seul pour être disponible et ne pas rater celle qui aura toutes les qualités et qui n’existe que dans mon imaginaire.
Mon fantasme se nourrit de cette addiction… Demain j’arrête !