Anna posait ses questions de manière très structurée : Situation familiale, professionnelle, sociale. Demande de complément de photos. « Pourquoi ne m’envoies-tu que des photos de face, n’en as-tu aucune de profil ? », « Quelles sont tes attentes ? », « Que recherches-tu ? », « Pourquoi es-tu obligé de passer par un tel site pour rencontrer une femme ? », « Dans quel quartier habites-tu ? », « As-tu une voiture ? Quelle est sa marque ? », « Où es-tu parti en vacances l’été passé ? », etc. etc. etc.
Bien qu’elle ait relevé une faute de grammaire dans l’orthographe de la locution « en train » que j’ai confondue avec le nom masculin « entrain » qui signifie bonne humeur, vivacité ; mes réponses ont dû lui plaire car je suis passé au niveau 2 de sa sélection : La conversation téléphonique.
Je l’appelle donc, à sa demande, entre 19h30 et 20h. « J’aime beaucoup le son de ta voix » me dit-elle et nous entamons une conversation légère et amusante. Anna à un accent presque imperceptible. Elle omet parfois d’utiliser les articles devant les noms : « J’aime beaucoup ski le week-end », « Je travaille dans banque à Genève », « Ma fille a fini université l’année passée ».
Je lui demande si elle est Russe ? « Et alors » me répond-elle ? « Je suis indépendante et ne compte pas sur toi ou sur aucun homme pour me faire vivre », « Comme beaucoup tu as préjugés sur femmes russes », « Vous Suisses avez peur de tout ».
Je la rassure en lui disant que c’est une question comme une autre et que moi-même j’ai des origines extra-genevoises.
Très rapidement j’atteins le niveau 3 de notre relation : Le rendez-vous.
Anna ne veut pas me rencontrer dans un bar mais dans un restaurant. Je lui propose de nous retrouver vendredi soir sur la terrasse du Yacht club de Genève. A mon habitude je suis légèrement en retard. Anna est déjà là, en première ligne, en bordure de lac. Elle porte une robe rouge en portefeuille, la même que sur la photo de son profil. Son décolleté est colossal, j’ai beaucoup de mal à lui parler sans baisser le regard. Elle a des yeux de husky, d’un bleu sibérien. Ses cheveux très blonds, coupés courts sont ramenés en arrière. Ses lèvres sont pulpeuses, rouge sang, bordées d’un léger trait brun foncé. Anna est une femme d’une beauté et d’une force animales, fruit d’une sélection impitoyable que ni le froid, la guerre, les famines, l’isolement n’ont pu anéantir. Une walkyrie poutinienne.
Elle me parle de ses origines « Je descends en ligne droite de la famille du prince Félix Félixovitch Ioussoupov » me dit-elle. Elle m’explique que cette très illustre parenté a été confirmée par analyse génétique. Mon ignorance l’étonne « Mais enfin, le prince Ioussoupov était non seulement l’homme le plus riche de Russie mais aussi l’instigateur de l’assassinat de Raspoutine ».
Je lui présente mes excuses pour ce manque de culture et m’incline profondément pour lui baiser la main. Mon regard s’arrête sur ses pieds, gonflés et ses chevilles épaisses. Certainement la chaleur me dis-je. Je n’ose pas lui demander si son ancêtre était une princesse ou une femme de chambre.
Nous commandons les traditionnels filets de perches lémaniques et une bouteille de sauvignon gris. La conversation est légère et enjouée. Anna a beaucoup de sang. Elle est vive et pinçante, tient son couteau comme un stylo et est très maniérée.
Nous ne prenons pas de dessert mais buvons une vodka cul sec avec notre expresso.
Je lui propose une balade le long du quai. Très vite elle s’arrête pour s’asseoir sur un banc. Elle a mal aux pieds. Je l’embrasse, sa robe portefeuille s’entrouvre, je m’engouffre pour rendre hommage à ses deux coupoles russes et son anneau d’or.