Petites amours > 16. La robe rouge

4 mins

Mariane m’a donné rendez-vous au Lausanne-Moudon. Elle est en train de siroter un Spritz sur la terrasse de la brasserie lorsque j’arrive. Elle est très rock, son pantalon en agneau sombre, comme une seconde peau, épouse ses magnifiques cuisses. Elle porte des escarpins Manolo Blahnik rouges, un pull col en V échancré. Un bracelet avec une tête de mort parsemée de diamants noirs orne son poignet. Son visage est pâle, très fin. Elle ressemble à une danseuse de ballet, éthérée, comme tombée du ciel. Elle se tient droite sur sa chaise, élégante, sûre d’elle. Elle me tend la main, je place la mienne sur son épaule et l’embrasse. Mon geste semble la surprendre, elle tressaille légèrement.

Nous ne nous connaissons pas ; quelques messages et nous avons décidé de nous rencontrer. Pourquoi attendre.
Elle est pétillante, ses paroles sont gaies et frivoles. Elle vit l’instant intensément. Seuls ses yeux, qu’elle noie dans les miens, paraissent tristes.
Nous parlons de tout et de rien, sans verser dans le small talk. L’injustice l’insupporte, elle me reprend plusieurs fois sur certains sujets, je mets mon machisme naturel en veille.
Soudain elle se lève de table :

– Qui m’aime me suive, envoie-t-elle à la cantonade.

Je me dépêche de payer la note. Elle ne tourne pas la tête pour voir si je la suis.

Nous nous retrouvons chez-elle à Ouchy. Elle me demande d’enlever mes chaussures. Son chat se frotte au bas de mon pantalon en y abandonnant ses poils.
Je m’installe dans le sofa Ikea. Elle s’assied à distance, ne m’offre pas à boire, me regarde sans rien dire. Je lui demande si elle veut écouter de la musique. Elle me dit que je peux me connecter aux enceintes de sa chaine stéréo avec mon smart phone.
Je lui passe un morceau de malouf, du Cheikh Raymond, qu’elle semble apprécier.
Le soukouss de Fally Ipupa l’agace très vite. Je me lève aux premières notes d’Okaman, le zouk love de Monique Seka et l’invite à danser. Elle bouge bien, se colle contre moi et suit mon rythme. Elle semble si heureuse que j’hésite à l’embrasser de peur de rompre la magie du moment.

– Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas dansé.

Elle part dans sa chambre, je la vois se dévêtir et enfiler, nue, une robe rouge, moulante, avec un profond décolleté dans le dos.

– Je ne l’ai jamais encore portée, j’attendais le moment et me demandais s’il allait venir.

Nous reprenons notre corps à corps, cette fois sur le Froti Frota de Doc Gyneco. Mes mains descendent sur le haut de ses fesses, je l’attire contre moi, glisse ma jambe droite entre les siennes, elle s’agrippe comme un lierre. Nous terminons en nage, notre sueur se mélange, devient méandre, Mariane caresse ma poitrine ruisselante, l’embrasse, m’embrasse. Ses lèvres sont fermes, elles ont un goût de fraise.

– Aide moi à déplier le canapé-lit.

Dans sa chambre son lit n’a qu’une place.
Elle me déshabille entièrement. Observe mon corps nu. Sa robe carmin glisse sur le sol. Elle m’invite à m’allonger, se couche sur moi, me recouvre complètement. Nous restons plusieurs minutes sans bouger. Je passe ma main dans ses cheveux, ses larmes coulent sur mon épaule.

– Fais-moi l’amour, maintenant.

Elle est en cristal, je crains de la blesser. J’effleure sa peau de mes lèvres, du bout de mes doigts et lentement, délicatement devient son amant.

La source qui jaillit de ses yeux ne s’est toujours pas tarie, elle inonde son visage, irrigue mon torse pour se perdre dans les replis vagues du drap.

– D’où vient cette peine, je lui demande.

– Un crabe me dévore les os, je me bats depuis des années mais n’y crois plus. Il me rattrape toujours, quoi que je fasse.

Je la serre fort, caresse ses cheveux, longtemps. Elle s’endort d’un sommeil léger.
Le réveil est difficile. Affairée, elle me prépare rapidement un café et nous nous séparons sans rien nous promettre. Elle m’embrasse à peine, part sans me regarder.

Nous nous retrouvons à Milan, je lui ai proposé de m’accompagner à un rendez-vous d’affaires. La réunion est agréable mais la négociation compliquée. Elle me trouve un peu dur et me le fait remarquer. Me reprends plusieurs fois. Je la laisse faire, trouve son attitude cocasse ce qui l’exaspère.

– Je n’ai pas aimé ton ton paternaliste, tes provocations, ton comportement en général avec tes partenaires. Je pense que tu es un con.

Ses remarques me touchent, je ne réagis pas, elle est à vif, je sens qu’elle a envie de s’en aller. Je lui propose d’aller prendre l’apéritif, ce qu’elle accepte, presque à contrecœur.
Nous nous perdons dans Milan, elle refuse de prendre ma main malgré mes tentatives répétées et tombons enfin sur un bar qui nous semble sympathique.
Au troisième verre de Prosecco, elle semble enfin se relaxer.

– Tu es un con sympathique, mais n’en reste pas moins un con.

J’ai envie de lui prouver le contraire, mes sentiments se bousculent. Elle paraît si fragile, j’ai peur de la heurter et reste dans la légèreté. Elle me plaît, les mots ne sortent pas. Son mal dépasse tout, annihile mes velléités romantiques.
Le barman à la tête patibulaire et au gabarit de lutteur romain nous propose sans discontinuer des morceaux de parmesan, de la mortadelle, du jambon de parme, des tapas plus alléchantes les uns que les autres.
Nous mangeons tant que nous abandonnons l’idée d’aller dîner.
La musique est entraînante et nous mettons à danser, elle me repousse à chaque fois que je tente de me rapprocher. Elle est ailleurs.

– C’est la dernière nuit que nous passerons ensemble, me dit-elle avant de nous coucher.

Son pyjama en satin est un rempart que je n’essaie pas de franchir. Sentant mon désarroi, elle consent à l’enlever.

– Prends-moi, tu pourras ainsi dormir… ce que je fais doucement, tendrement, avec amour.

Le lendemain matin, nous décidons de rentrer tout de suite, sans visiter la ville. Ma Jeep fait un bruit inquiétant et je dois trouver un garagiste avant de reprendre l’autoroute.
Mariane s’impatiente, me dit qu’elle a envie de prendre le train.
Le mécano milanais, qui ausculte le moteur d’un air sceptique, finit par me dire qu’il doit s’agir d’un manque d’huile. Il me la fait payer à prix d’or.
Je reprends la route, le bruit est toujours aussi fort. La voiture tient bon jusqu’à Lausanne.
Je dépose Mariane chez elle, il est tard. Elle ne me propose pas de prendre un verre.
Je la serre dans mes bras, très fort, je sens que c’est un adieu.

Etonnamment nous restons en contact, elle n’arrive plus à vivre, passe d’un homme à l’autre, le temps s’échappe de son corps. Nos échanges s’espacent, elle ne répond plus, mes vœux de fin d’année restent lettre morte… J’imagine qu’enfin elle a trouvé l’homme qu’elle recherche.

Les mois passent, je repense à cette robe rouge et écris son nom sur un moteur de recherche… Un faire part annonce son décès.
Mes yeux deviennent rivière. 

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