Du néant au frisson. Chapitre 55.

6 mins

Eliya

Je suis arrivé devant le cabinet pile-poil à l’heure. Les autres attendaient déjà devant. Je fuyais le regard d’Antoine. Je ne me sentais pas bien, j’avais toujours ce mal de tête omniprésent, et surtout une boule au ventre. Je savais qu’on serait mis en situation, et même s’il n’était pas là, j’avais peur de perdre mes moyens. De ne pas être à la hauteur, de répondre de travers. J’avais peur de tout gâcher. 

Monsieur Morov est venu nous chercher, et on s’installa dans son bureau, disposés à nos places habituelles. Il nous présenta sa collègue, Justine Allicante, elle se chargerait d’énoncer les éventuelles questions que la défense pourrait nous poser. 

— Bien, nous allons commencer, comme vous le savez, le juge entendra monsieur Collins, dans un premier temps. Dans un second temps, les lettres des témoins seront lues, par un officier judiciaire. Ensuite, nous entendrons les experts et enfin ce sera notre tour. Il faut définir un ordre de passage. Ma collègue et moi-même avons prédéfini un ordre, et si vous y voyez une objection, nous pourrons en parler. 

Sa collègue se leva de son fauteuil, s’installa devant nous. 

— Alors nous avons trouvé judicieux d’interroger monsieur Guerin Antoine en premier. 

Je le sentis se raidir à côté de moi. 

— Pourquoi moi en premier ? 

— Vous êtes le blessé le plus grave encore en vie, désolé pour mademoiselle Lopez, et Ropi, pour la brutalité de mes mots, mais jeudi personne ne vous ménagera. 

J’acquiesçais d’un signe de tête et Maria fit de même. Je n’arrivais pas à me concentrer, j’avais des paroles de tout le monde qui tournaient en boucle dans ma tête. 

— Ensuite, nous avons pensé que Ropi Eliya devrait témoigner, juste après. 

Tout le monde tourna la tête vers moi, et ce fut la goutte de trop. Je me suis levé et j’ai quitté le bureau en courant. 

J’ai entendu vaguement monsieur Morov, dire à Antoine ne pas me suivre. Je suis sorti aussi vite que j’ai pu, une fois dehors le ciel était sombre, le vent s’était levé. Je me suis accroupie par terre, tentant de refouler la crise d’angoisse que je sentais monter. Je n’avais pas pensé à sortir avec mon sac, je n’avais rien à avaler, pour que la crise passe. Alors je me suis laissé glisser le long du mur, jusqu’à me retrouver assise par terre. J’ai fermé les yeux, et en les réouvrant, j’ai cité cinq choses visibles, quatre choses que j’entendais, trois que je pouvais sentir, deux que je pouvais toucher, une qui me plaisait. Et j’ai recommencé, jusqu’à ce que je sente la crise passer. Quelques minutes après que je sois, sorti monsieur Morov m’a rejoint dehors, un verre d’eau à la main. 

— Buvez, vous êtes très pâle. 

— Merci…

— Je comprends que ça puisse être éprouvant. Surtout que ce matin, vous avez déjà dû faire face, à certaines contraintes. 

— Je ne sais absolument pas comment, vous arrivez à gérer ça au quotidien. 

— C’est très simple, je ne suis jamais la victime. 

Il me sourit, avec un regard compatissant. 

— Merci, aussi de n’avoir laissé sortir aucune autre personne pour venir à mon « secours », lui dis-je, tout en mimant des guillemets

— Vous êtes sortis, parce que c’était trop pour vous. Laisser sortir un membre de l’accident ne me semblait pas judicieux. Dans ce genre de situation, il vaut mieux une personne, dont vous n’êtes pas trop proche. 

C’était à mon tour de lui sourire. Il avait raison, je n’aurai eu envie de ne voir personne d’autre, à part lui. Je lui trouvais un air réconfortant, malgré ce que j’estimais être un jeune âge, il avait beaucoup d’empathie, et de professionnalisme. 

— Vous êtes prêtes à retourner à l’intérieur. 

Il me tendit la main pour que je me relève. Je la saisis en la serrant de toutes mes forces. 

— Oui, il le faut. 

Je le suivis, à l’intérieur de son cabinet, et m’arrêta devant l’entrée de son bureau. Avant qu’il n’ouvre la porte, je lui dis ;

— Et si le jour du procès je réagis comme ça ? 

Il se retourna vers moi, et toujours avec son côté bienveillant, il me répondit ; 

— Maître Allicante et moi-même sommes là, pour pallier à ce genre d’éventualités. C’est notre boulot de vous préparer au mieux pour ce procès. Et ne vous inquiétez pas, j’ai toute confiance en vous. Une fois qu’il sera en face de vous, je sais que votre colère prendra le dessus. C’est elle qui vous maintiendra la tête hors de l’eau pour tout le procès. 

Sur ces paroles, il m’ouvrit la porte, et me laissa entrer la première. J’ai repris la place que j’avais, sans croiser le regard de personne, et encore moins d’Antoine. J’ai levé la tête vers maître Allicante, qui me faisait son plus beau sourire. 

— Bien, nous allons reprendre. Comme je le disais, mademoiselle Ropi, nous pensons qu’il serait préférable de vous faire témoigner en second. Ensuite, ce sera le tour de Lopez Maria, Brunet Julien et enfin Renard Johane. Est-ce que l’un de vous a une objection à émettre ? 

Personne ne dit rien. On se contenta de hocher la tête. 

Ils firent asseoir, Antoine sur une chaise, face à nous. Comme au tribunal. Ils lui posèrent, tout un tas de questions, auquel je ne prêtais aucune attention. Je repensais aux mots de maître Morov, votre colère prendra le dessus. 

Quand se fut mon tour, j’inspirai un grand coup, je me levai et m’assied, face aux autres. 

C’est maître Morov, qui prit la parole en premier. 

— Bien, vous êtes bien mademoiselle Ropi Eliya, née le 19 avril 1995, à Orthez ? 

— Oui. 

— Vous êtes actuellement, domicilié au 13 rue des dunes à Orthez même ? 

— Oui. 

— Et vous venez témoigner, en temps que victime de l’accident qui a eu lieu le vendredi 15 janvier 2021, impliquant vos parents, Monsieur Ropi Phillipe, et Ropi Claire. Face à monsieur Collins Georges. 

— Oui. 

— Pouvez-vous, nous parler du jour de l’accident. 

Je sentais ma gorge sèche, j’avalais difficilement ma salive. 

— Eh bien, ce jour-là mes parents étaient sortis faire des courses en centre-ville. Je me souviens avoir demandé à ma mère de me rapporter un livre. 

L’évocation de ce souvenir me fit sourire. 

— Il pleuvait énormément. Au bout d’un moment, vers 16h, n’ayant pas de nouvelles, j’ai commencé à m’inquiéter. J’ai appelé le téléphone de ma mère, puis celui de mon père plusieurs fois. Ce n’est que vers 18h qu’un officier prit mon appel. C’était sur le téléphone de ma mère, il a dû se douter que j’étais sa fille, car ma mère m’avait appelé « Louloutte » sur son téléphone. 

Je marquai une pause dans mon récit, visiblement trop longue.

— Eliya, voulez-vous bien continuer, s’il vous plaît ? 

J’ai relevé la tête vers lui, et je sentais ma colère gonfler, au fond de ma poitrine. 

— L’officier m’a demandé où j’étais, il m’a dit qu’il allait envoyer quelqu’un me chercher. Un accident avez eu lieu. À cet instant, j’ai eu l’impression de perdre pied. Tout s’est mélangé dans ma tête. Je n’avais pas de nouvelles de mes parents, un inconnu avait décroché. Tout était envisageable. Même le fait qu’ils soient morts. Et sans vous mentir, c’est la première chose à laquelle on pense. 

Je n’ai pas eu à attendre longtemps avant qu’une patrouille vienne me chercher. Je me souviens m’être effondré dans les bras d’un officier. J’étais hystérique. Ils m’ont conduit au poste de police. Et c’est à ce moment-là que je l’ai vu. Je ne savais pas qu’il était, mais j’ai croisé monsieur Collins ce jour-là au poste, menotté, saoul, et souriant. 

— Quand avez-vous su que c’était lui ? 

— Quelques jours après, quand il fallut choisir notre avocat, on nous a communiqué, les informations de la partie adverse. Et puis j’ai fait des recherches internet avec Maria. Il fallait que l’on pose un visage sur ce nom. Il fallait qu’on pose un visage, sur le tueur de nos parents. 

— Merci, mademoiselle Ropi, nous n’avons plus de question. 

Les autres ont eu le droit aux mêmes questions que moi, mais j’avais la tête ailleurs, j’étais retourné neuf mois en arrière. Juste avant que mes parents ne partent. Au moment où mon père pressé, attendait ma mère dans la voiture. Plus j’y pensais, plus certains détails auxquels je n’avais pas prêté attention ressurgissaient. Ce jour-là, je n’ai pas embrassé mes parents. Je n’ai pas pris ma mère dans mes bras, pour la remercier de son achat. Je n’ai pas embrassé le front de mon père, concentré sur son émission de télé pour lui souhaiter bonne nuit. J’ai perdu ces moments-là, à cause d’un égoïste.

Notre réunion se finit tard, je n’ai pas écouté un seul mot du débrief. Et comme un robot, j’ai pris mes affaires et suis sorti en suivant les autres. 

— Eliya, tu veux que je reste avec toi ce soir ? me demanda Antoine. 

J’ai relevé la tête vers lui, j’avais l’impression qu’il me parlait une autre langue, mais a plus grande surprise, je réussis à lui articuler une réponse. 

— Non, je suis fatigué je préfère être seule. 

J’ai lâché un « bonne soirée », du bout des lèvres aux autres. Et je suis rentré. 

Sur le chemin, j’ai allumé une cigarette. J’inspirais, et appréciais. 

Ce n’est qu’une fois devant mon immeuble, à la recherche de mes clés, que je l’ai vu. Il était là, adossé contre le mur, à m’attendre patiemment. Celui qui chassait la plupart de mes mauvaises pensées. 

Axel.

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6 Commentaires
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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Très bien décrit, l’angoisse, et qu’est-ce que ça va être le jour du procès!
Bien qu’Axel soit là.

DeJavel O.
2 années il y a

Le prélude à la finale…

DeJavel O.
2 années il y a

Tu m’en donnerais encore 50 que je serais également content !

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