Le Conte de la Sorcière des Bois 43. La peur est l’ambroisie

13 mins

Les sorcières sont par essence dévouées à une solitude acharnée et ne goûtent pas plus la compagnie d’autrui que celle de leurs congénères. La rencontre de deux sorcières équivaut à la fusion de deux astres, et de cette entrevue résulte généralement le chaos destructeur.

Dans le sein secret des Gorges Sans-Nom, en ce lieu abîmé par le désespoir, effacé de mémoires d’ancêtres, par le hasard d’un jour égaré dans le temps, les dimensions se heurtaient dans un choc silencieux.

L’esprit de Nellis se contorsionnait en un sac-de-nœuds inextricable cousu de pensées emberlificotées, alors qu’elle contemplait, béate et horrifiée, l’image vivante de sa Némésis. Nazukahi, la sorcière-vampire, terreur de son temps, digne héritière du Fléau Suprême d’Antan, monstre parmi les montres, reine des pires engeances que les deux mondes, ancien et nouveau, n’aient jamais portées.

« Comment ?

 Comment quoi ? » questionna l’abîme ricanant.

Nellis sentit l’ensemble de ses cicatrices se rouvrir en simultané, dénudant des séquelles longtemps enfouies et les soumettant à la morsure de la lumière. Elle se dressa sur ses deux jambes molles. La réalité lui souriait derrière le voile d’illusions. Une foule de questions se bousculaient contre sa raison, mais sa volonté choisit de les écarter. Tout en elle devait impérativement se consacrer à dénicher l’instrument pour défaire son ennemie. Retracer le parcours de ses erreurs ne l’aiderait pas dans sa situation. Par ailleurs des plus ironiques. Alors même qu’elle avait enduré un long périple, par monts et par vaux, pour la traquer, voilà que sa proie venait à elle de son propre chef, grimée en prédateur. L’occasion était trop belle. Son instinct farouche l’enjoignait ardemment de se jeter au cou de la vampire et d’employer ses serres à l’égorger jusqu’à ce qu’elle vomisse sang et tripes. Mort ô combien indigne pour une sorcière, miséricorde pour cette dernière.

Nellis jeta de côté la peur débilitante qu’elle avait embrassée quand le fantôme s’était drapé du réel. Au prix d’une succession de profondes inspirations, elle regagna toute la concentration nécessaire au plongeon dans les courants de magie. L’effroi absolu l’engloutit lorsqu’elle constata que ces courants, depuis toujours ouverts, lui étaient désormais interdits. Voilà qu’elle se retrouvait, bien malgré elle, coupée du monde des esprits, et ce au pire moment. Son pouvoir s’étiolait en un tableau vague dont sa conscience peinait à dépeindre les contours. Elle se souvenait parfaitement du léger picotement dans ses doigts, de la sensation de se savoir capable d’embraser une forêt toute entière d’un simple claquement, mais impossible de se rappeler par quel foutu miracle elle y parvenait. La mèche au bout de ses griffes s’était éteinte. Ce sentiment d’impuissance, si dérangeant, l’enrageait à la limite de la folie, sans pour autant que cette rage ne réveille quoi que ce soit.

Nazukahi éclata d’un rire de harpie. « Eh bien, eh bien ! Notre sorcière aurait-elle oublié quelque chose ? » Le crève-yeux sur son épaule croassa ; bien que dépourvu de langue autant que d’yeux.

La silhouette de la petite fille réapparut, toujours enrobée de sa couverture brumeuse. Un, deux, trois, lune !

« Que… Qu’est-ce que tu m’as fait ? » cracha Nellis d’une voix écartelée entre fureur et angoisse. Nazukahi posa nonchalamment une main maternelle sur l’épaule du spectre nain. « Moi, je connais une petite elfe qui aimait jouer. »

Le regard de notre sorcière ricochait frénétiquement entre l’enfant-fantôme et la sorcière-vampire. « Vois-tu, poursuivit cette dernière, quand nous t’avons accueillie chez nous, la curiosité nous démangeait. J’étais alors sa proie de la même façon que tu es la nôtre aujourd’hui. Te rappelles-tu la nuit de ton arrivée chez moi ? La perle de pierre bleue que tu avais au cou ? Nous constatons que tu ne le portes plus. Eh bien, une nuit, nous t’avons fait boire une infusion mijotée avec des feuilles de mort-aux-rêves, te souviens-tu ? C’était pour t’aider à combattre les vilains cauchemars et t’offrir un repos mérité après toutes ces souffrances endurées. Pendant que tu dormais du sommeil du brave, nous t’avons subtilisée le bijou afin de l’étudier. Et nous avons vu les souvenirs qu’il renfermait. Quel trésor enfoui dans un si petit objet ! Et laissé bêtement pendu à la vue de tous. Cette nuit-là, j’ai vidé la pierre de ses souvenirs. En gage pour notre bonté. Tu n’y as vu que du feu pas vrai ? Pas une seule fois, malgré ces lunes et ces lunes passées, tu n’as cherché à plonger dans tes vieux souvenirs. Auquel cas, tu aurais constaté par toi-même que la pierre était aussi vide que ta caboche. Pauvre Nellis. Si longtemps, tu as conservé un vulgaire caillou comme le plus précieux de tes trésors, persuadée qu’il renfermait ton âme. Comme tu dois te sentir bien sotte. »

Les jambes de Nellis cédèrent brutalement sous le poids de son dénuement.

Nazukah chassa d’un geste l’illusion de la gamine. « Je t’ai simplement pris quelque chose dont tu ne te servais pas. Traite-moi de voleuse si tu veux. Mais si voleuse nous sommes, alors qu’est-ce que tu es, toi ? »

Se rappelant son don de métamorphose, l’elfe voulut revêtir ses ailes blanches et s’enfuir. Mais avant que la première plume ne lui pousse, Nazukahi claqua des doigts et des bras de roc la ceinturèrent brutalement. Ses os grognèrent. Notre sorcière tourna un regard terrifié et heurta le visage du troll de pierre, les paupières descellées, ouvertes sur deux orbites luisant d’un vert malsain. La face vérolée par le temps chantait des émotions contraires, du chagrin à la colère en passant par le désir. Des perles de folie suintaient par les pores du fossile. Nellis lutta pour s’arracher à l’étreinte de granite sans que le troll pétrifié ne s’émeuve de ses efforts futiles.

« Allons, allons, petite souris, cesse de gigoter. » Nazukahi transpirait de triomphe.

Le crève-yeux croassa avant de décoller et venir se poser sur le crâne de la statue vivante. La sorcière-vampire s’approcha de la sorcière-elfe, d’une démarche lente et précise, pour ne pas dire précieuse, comme si elle cherchait à profiter du moindre instant du moment. Son index et son majeur flattaient l’une de ses canines de nacre. C’était-là un toc que Nellis se rappelait avoir eu l’occasion de noter par le passé. Les souvenirs s’agitaient sous forme d’ombres dans son esprit sens dessus dessous tandis que son cœur s’acharnait à battre malgré le carcan qui l’oppressait.

Notre sorcière n’en croyait pas sa raison : elle avait été vaincue. D’autant plus avec une aisance déconcertante d’humiliation. Couchée sur le dos, le ventre à nu, n’attendant plus que le coup de grâce. Que pouvait-il lui arriver de pire ?

« Ne te lamente pas trop sur toi-même, la railla sa défaite du timbre ivre de la victoire. Même toi tu ne pouvais affronter les maîtres des Gorges sur leurs domaines. Vois-tu, certains affirment que ce sont de puissants esprits. Puissants, je l’ignore, mais fous à lier, certainement. Encore que nous ignorons comment lier un esprit. Ils sont têtus. Autant que toi. Il faut savoir les brosser dans le sens du poil sinon ils se hérissent. C’est d’un ennui. Et il n’y a rien que j’exècre davantage que l’ennui. »

Ce disant, elle leva les pans de sa tunique afin de s’accroupir, son visage figé comme la mort à un souffle de celui de Nellis.  « Ton corps les intéresse follement, mais ils n’ont nul besoin de ton âme. Celle-là m’appartient. »

Un lancinant frisson dévora notre sorcière. La vampire râpa ses longues griffes contre le sol, imitant le crissement de la craie sur l’ardoise. Le crève-yeux répondit à l’odieux bruit. Les glaives au bout des doigts, taillés pour l’éventration, désignèrent la bedaine durcie. Un sourire conquérant enlaça la terreur vacillante. La paume monstrueuse caressa l’abdomen, avec une infinie tendresse, comme s’il renfermait l’œuvre de la nature. Puis les phalanges vicieuses dénouèrent la ceinture maintenant les pans du manteau qu’ils écartèrent de même délicatement. Les griffes muées en aiguilles s’attelèrent à détricoter la chemise de laine, maillon par maillon. Affairée à son ouvrage, Nazukahi se mordillait les lèvres, se délectant de la peur peignant par couches les traits de sa victime.

Quand enfin le dernier maillon céda, la vampire souleva l’ultime couche de tissu protégeant la chair. Au lieu du nombril, une figure macabre la salua. Nazukahi se dévora les lèvres. Sa langue lécha le sang noir dégoulinant sur son menton. L’heureuse folie explosa en hilarité démente.

L’effroi déniait à Nellis le droit de s’évanouir.

Cependant, au cœur des ténèbres de la terreur, une lueur de malice s’alluma, et au fond d’elle, notre sorcière réprima un rictus.

Percluse de spasmes, la vampire enroba le visage sculpté de ses caresses. « Nous nous retrouvons, enfin. Ma chérie. Tu n’as pas changé, malgré le temps passé. Ah tu es si belle ! » Elle se pencha pour effleurer d’un baiser les lèvres d’ébène. Croassement lugubre. Sa langue goûta la saveur du bois sur ses lèvres. Son regard harponna Nellis, dénudant sa conscience jusqu’aux os ébranlés de son être enfoui. Puis elle revint au masque. Tout en le pouponnant, elle l’analysait.

« Impressionnant, susurra-t-elle à la figure de bois impassible. Oui. Vraiment impressionnant. Chaque sillon est identique. Le grain, le ponçage. Le soupçon de teint des pommettes que nul autre ne peut discerner. Et pourtant… » Ses iris et ses pupilles, reflets de nuit à la surface d’amandes sanguines, scintillèrent d’un sinistre éclat. « Rien ne peut imiter la saveur des choses. Un goût est unique. Il n’est pas une chose en ce monde qui ne détienne une saveur semblable. J’ai beau embrasser ces lèvres, identiques à celles captives de ma mémoire, leur saveur m’est étrangère. »

Ses serres se plantèrent dans les orbites de bois. Nellis grimaça en sentant leurs pointes lui labourer le ventre à travers les orifices. Ses intestins se serrèrent.

Nazukahi lui balança sa haine en pleine face. « Croyais-tu vraiment pouvoir nous duper ? Avec cet embryon de pâle copie. Quel affront à notre grandeur ! Et quelle bêtise de ta part, sorcière. Tu ne mérites pas ta réputation ! Pauvre sotte que tu es. »

Et sur ces mots, elle arracha le masque, offrant en échange à Nellis une large estafilade au-dessus du nombril. Durant un moment, elle scruta la figure taillée dans l’écorce, son propre visage sculpté par le dégoût. Puis elle cracha sur le masque, le jeta au sol et le piétina. Le bois vola en échardes. Nazukahi s’évertua à le réduire en copeaux, et de copeaux en poussière. Niché sur son troll, le crève-yeux battit des ailes comme pour applaudir la prestation.

Une fois apaisée sa furie, la sorcière-vampire rameuta son attention sur Nellis, petite souris captive des bras du monstre de pierre aux yeux de chair. D’un geste maniéré, Nazukahi épousseta sa tunique aux apparats somptueux, et c’est sous les traits et avec la voix d’une ire difficilement contenue qu’elle interpela sa congénère. « Où est-elle ? Où est Ma’karima ? Nous la sentons. Elle est ici. Tout près. Qu’en as-tu fait ? Parle peste ! » En une fraction de souffle, ses phalanges, identiques à des barbelés, se retrouvèrent à écraser le visage de l’elfe.

La rage se pétrifia ; puis se dissipa aussi soudainement qu’elle avait jailli. Nazukahi s’attela alors à détailler chaque pouce des traits de Nellis comme s’il s’agissait d’un maître ouvrage. La joie peignit de nouveau son front fardé de suie. La bouche se découpa en courbe acérée. « Dis-nous, quel est donc ce feu qui t’arrache les joues, te ronge les entrailles ? C’est qu’elle nous brûle les doigts ! Oh oui, elle nous brûle. Et cette vision qui nous enflamme. Et ces pommettes, polies comme l’opale parfaite. »

La reine d’effroi se pencha jusqu’à ce que ses lèvres d’encre luisantes épousent celles de la petite souris, captive de ses serres. Une bise glaciale glissa dans la gorge de Nellis, se muant en serpent de givre et s’insinuant au travers de ses poumons pour venir mordre son cœur survivant.

Quand le bourreau daigna à sa victime le droit de respirer, notre sorcière ne trouva qu’un souffle plus douloureux que des ronces avalées. Sa personnalité réduite à une touffe d’herbe dans la main de Nazukahi.

« Ne joue donc pas les effarouchées. Regarde-toi. J’ignorais que je te faisais tant d’effet. Je doute que ton humain de compagnie t’ait un jour embrassé de la sorte. » La vampire frémit sous l’assaut d’un vent absent tout en se pourléchant les babines. « Hum… Oui, ton goût nous avait manqués. »  Nellis sentit son estomac escalader son œsophage alors que ses entrailles dévalaient jusque dans ses mollets. Elle observait son propre corps sous les traits d’une ombre vacillant entre deux précipices.

La propre ombre de Nazukahi l’engloutit. Elle pouvait sentir les relents de rouille de son haleine. « Ce visage ne sied guère à ton minois. Et si tu me le confiais. » La vampire tendit une main serviable. Notre sorcière ferma les paupières et des larmes se mirent à rouler sur ses joues qui n’étaient pas siennes.

Le bourreau emprunta les traits de la compassion. « Allons, ça doit être un calvaire à supporter. Pire de jour en jour. À quoi bon toute cette souffrance alors qu’il serait si aisé de la jeter ? Voyons. Cesse tout de suite ces sottises. Qu’attends-tu ? Nul, pas même toi, ne mérite un tel sort. »

Les griffes nacrées récoltèrent les larmes à même les joues. « Ma bien-aimée, poursuivit la voix nourrie d’affection. Qu’avons-nous partagé ensemble ? Si peu de temps et néanmoins tant de souvenirs. Gâchés par la cupidité et le larcin. Mais je te pardonne, ma tendre chair. Esprit de mon esprit. Nous t’offrons une seconde chance. L’occasion d’absoudre tes péchés. Cette douleur qui t’emprisonne, tu te l’infliges parce que tu es consciente au fond de toi que tu la mérites. Ma pauvre, pauvre petite sœur. Confie-la nous. De toute mon âme, nous désirons t’aider. Je ne supporte pas de te voir dans cet état, de voir le chagrin enlaidir une telle beauté. »

Les lèvres noires plantèrent un baiser sur chacune des paupières rongées par le sel. Nellis sentit ses yeux dessous se changer en glaçons. « Qu’ont donc vu ces doux yeux ?… Des êtres tels que nous dépassons l’entendement du commun. Même les dieux nous craignent. Tu dois t’abandonner à l’essence de ton pouvoir au lieu de te laisser brider par ces sentiments que tu chéris mais qui, loin de te donner vie, t’enferment et te torturent dans le carcan d’une longue agonie. La grandeur d’une sorcière réside dans sa liberté. Et il n’est plus grande liberté au monde que la peur que l’on inflige aux autres. »

Nazukahi admira le reflet de son aura dans le regard d’effroi de Nellis. « J’ai enfanté la peur. Je suis l’araignée qui pond ses œufs dans la dépouille de ses amants. Mes essaims pullulent au gré de mes passions, semant à leur tour d’autres larves de peur. Rien au monde ou dans cet univers ne saurait éteindre ma progéniture. Tout ce que j’ai à faire, c’est attendre. Attendre que la peur grandisse, qu’elle mûrisse, se transforme, et qu’une fois mûre elle vienne d’elle-même à moi, m’implorer de la libérer. Et moi, magnanime, j’exauce son vœu, et c’est avec joie que la peur me confie son âme. Si le sang est le nectar, la peur est l’ambroisie. Si seulement tu acceptais d’y goûter. La nuit t’apparaîtrait sous un tout autre jour. Et l’infini perdrait ses limites. »

Dans son regard, nuit et sang s’accouplaient en un glorieux tourbillon de démence au milieu duquel se débattait Nellis.

L’inanité de raisonner avec un esprit de la sorte s’imposait comme l’évidence au bon sens.

Notre sorcière, une prière muette figée sur les lèvres, adressée au ciel disparu, rencontra le regard vert luisant du troll de pierre. Ces yeux invoquaient une folie étrangement comparable à celle émanant de Nazukahi. Celle de la mort retenue captive par la vie. Un brasier se discernait par-delà, projetant l’ombre du captif. La bouche de roche cousue, depuis longtemps dépossédée de son dernier cri. Pourtant Nellis tremblait des hurlements. Ils lui martelaient le crâne. Leur tintamarre lui évoquait un champ boueux, ravagé par les pluies, attendant désespérément qu’une graine de rêve l’ensemence. Mais de rêve à offrir, Nellis n’en détenait plus. Ni de conscience et bientôt plus de raison. Tout cela, elle l’avait égaré dans le fossé de ses désillusions.

Du dédale sombre dans lequel elle titubait, une lueur surgit brusquement pour embraser l’obscurité. Au même instant, une ombre se jeta sur Nazukahi, et dans un concert de cris aigus, s’attela à lui lacérer le visage.

« Mú ! » hurla Nellis qui sentit le serpent de givre mordant son cœur s’agiter. Une sombre haine ranima son sang gelé qui se mit à bouillonner dans ses artères. Son cœur s’emballa de fureur vive, brisant la mâchoire du serpent.

En l’espace d’un quart de souffle, notre sorcière analysa clairement la scène qu’elle occupait, son esprit assaini mais non purgé, se débattant entre les tentacules du brouillard néfaste. Nazukahi, les traits pétris de rage et labourés de griffures, brandissait Mú par le col de sa fourrure, à deux doigts de lui rompre l’échine.

Elle sentit son instinct se débattre, puis prendre le dessus. Les yeux du troll de pierre se mirent à fondre, dégoulinant sous forme de glue verdâtre. Nellis se libéra de l’étreinte, démembrant au passage la statue vivante. Sans demander son reste, elle bondit sus à Nazukahi, dague dégainée de sa ceinture en main, pointée vers le cœur de son ennemie. Sa vivacité était telle que son ombre resta figée sur place. La vampire cligna des yeux, mordue par le reflet de la lame fulgurante. À peine eut-elle le temps d’esquisser un mouvement du bras. Le métal de la dague laboura le poignet avant de se planter au niveau du cœur gauche… un pouce trop loin. Le sang noir d’encre gicla de la bouche de la vampire, souillant ses belles dents nacrées. Un hurlement strident, si aigu qu’il trancha l’air, déchira la panse du brouillard. Il fut suivi d’un long chuintement pénétrant la chair jusqu’aux os.

Nellis retira précipitamment son arme de son fourreau de poitrine et asséna un vif coup de taille en pleine gorge. Nazukahi démantibula sa tête si violemment que la lame ne récolta qu’une mèche de cheveux. La vampire feula, pupilles et iris fendus. De grosses veines noires de charbon palpitaient à ses tempes et au niveau de sa nuque.

Mú réapparut dans le dos Nazukahi, et d’un coup de mâchoires, lui préleva une oreille scintillante de gemmes. Elle hurla de plus belle, son cri éventrant la terre et déchirant le ciel. Un bouillon d’encre aspergea sa face bestiale consumée de rage et de douleur.

Nellis empoigna la vampire par la gorge. Ses griffes lacérèrent la carotide tandis que ses doigts pressaient avec une telle force qu’elle sentit la trachée imploser au travers des muscles. Le sang noir, visqueux, explosa, lui brûlant le visage. Aveugle, elle se garda néanmoins de lâcher prise. La dague fusa derechef. Mais l’engeance saisit le poignet qui la brandissait.

La peau de Nellis se mit à luire comme un soleil et celle de Nazukahi commença à cracher des volutes de fumée. Cette dernière poussa un long gémissement. Notre sorcière, malgré la douleur, lui décocha un sourire narquois. Si elle devait périr, au moins emporterait-elle son démon avec elle dans les tréfonds.

Même quand Mú fut emporté au loin par le crève-yeux, Nellis ne broncha pas. Son totem, alors que les serres le déchiraient, l’implorait de ne rien lâcher.

C’est alors que ses jambes cédèrent sous elle, comme si elles avaient rencontré une plaque de verglas. Sa mâchoire et son nez embrassèrent durement la roche dont le baiser essaima des étincelles brûlantes dans son crâne. Sa vision demeura trouble un moment. Quand enfin le monde se dévoila, une farandole d’ombres peignait sa vision.

Puis sa respiration se coupa net sous l’action de puissants doigts invisibles lui broyant le larynx. Résistant de toute sa hargne désespérée, se tortillant telle une larve entre un bec prédateur, elle ne réussit en tout et pour tout qu’à s’automutiler. L’étrangleur fantôme disparut aussi soudainement qu’il était apparu, mais pas la douleur qu’il semait derrière lui. Suffocante, convulsive, vomissant une bile sanglante, Nellis entr’aperçut l’ombre fugitive de Nazukahi se détacher de la sienne et s’éloigner, insensible à l’immobilité du corps qui l’insufflait.

Le sang noir et gluant maculait les vêtements et la figure de la vampire sans pour autant s’écouler des plaies nombreuses, pas même de l’affreuse boursoufflure née de l’oreille arrachée par Mú.

La sorcière-vampire ramassa la dague échappée des doigts de Nellis au moment de sa chute, puis jeta à celle-ci un regard écœuré au travers de son masque furibond. La lame se mit à rougir entre ses doigts comme si l’instrument avait honte de son inutilité, avant de se liquéfier, sans que la chaleur cuisante du métal en fusion ne dérange Nazukahi.

 « Pitoyable », cracha-t-elle juste avant d’asséner un coup de pied dans les reins de notre sorcière, dont le cœur fut tranché en deux par la douleur. Du pied, la vampire décolla le visage de l’elfe du sol. La poussière s’attachait au sang et aux larmes tandis que les éclats de graviers perçaient la peau. « Oh mince. Il semblerait que j’ai sali ton beau masque. Laisse-nous t’en débarrasser. »

Sur ces mots, Nazukahi s’accroupit sur le ventre de Nellis, étendue, impuissante, sur le dos, et brandit une main gravée d’affreuses brûlures vers la figure meurtrie qui tressaillit. Le baiser ravageur d’un tison ardent. Une coulée de plomb fondu en plein visage. C’était donc ça. Se faire écorcher vif.

Sous la surface du masque, les visions se chevauchaient. Sa conscience oscillait entre les époques, incapable de départager l’illusion du réel. Du lointain lui parvinrent les pensées paniquées de Mú.

Nellis se détourna de l’horreur et remarqua l’éclat blanc d’une fleur frayant sa témérité entre deux cailloux. Elle tendit le bras afin de la cueillir, mais les pétales à la pureté de neige lui demeuraient inaccessibles.

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