Le Conte de la Sorcière des Bois 52. Le dieu qui miaulait

12 mins

Parcourus les vallons encaissés, achevés les sentiers crépus, grimpés les monticules, bravés les précipices, enjambés les gouffres, contournés les inlassables culs-de-sac, falaises infranchissables et abîmes sans fond. Nos aventuriers contemplaient la conclusion de leur aventure, trop éreintés et écorchés pour se réjouir. L’ombre morcelée du soleil timide couvé par ses nuées noires projetait l’ombre impériale du Seratusor, laquelle dévorait leurs propres ombres. Fièvre, crampes, contusions, entailles, ampoules à n’en plus savoir les compter, chacun trimballait son lot de douleurs et personne ne lambinait – pas même Jilam.

Le temps d’un rapide et frugal repas suivi d’un éphémère repos, ils remirent au dos leurs paquetages, si légers en comparaison de leurs angoisses.

« Nous approchons ! », annonça Quo. Ses cornes rougeoyaient dans la pénombre immuable qui habillait ces contrées et liait jours et nuits en une unique entité mutante. La démone pointa du doigt une crinière de scories serpentant le long d’une crête de coq coiffant l’horizon écorché.

« Qu’est-ce que c’est !? demanda Silène, hurlant par-dessus les vociférations du vent.

Le portail ! Nous y sommes ! »

Les yeux du bois discernaient le tracé d’un sentier en tortillons, bout de ficelle chatouillant la bedaine du volcan. Les oreilles pointues captaient les ronronnements du Seratusor malgré la bise déchaînée.

« Prenez garde ! Il sait que nous sommes là ! Ses yeux nous guettent ! »

Jilam avala sa salive. Il avait beau lutter désespérément contre la fatigue depuis des jours, elle n’éloignait la peur que partiellement. Des guirlandes de givre décoraient son manteau rapiécé mille fois et la fourrure abîmée de son bonnet ; et pourtant une douce chaleur embrassait sa figure, gardant ses pauvres os à l’abri du gel. Son attention se porta sur Nellis. Son amour vibra dans les recoins de l’épuisement. Sa bien-aimée avait refusé sa magie aux autres mais s’était gardée d’avouer qu’elle la réservait à son mari. Jilam aurait pu s’en plaindre, si seulement il en avait la force – ou le désir. Le pouvoir de son épouse enveloppait son corps comme des écailles de dragon. Plus aucune illusion ne voilait son orgueil depuis longtemps épuisé. Le jeune mortel savait que, sans cette aide, jamais son corps fragile n’aurait résisté aux affres de leur périlleuse ascension.

La troupe allait pour rencontrer son destin quand Quo les interrompit : « Autre chose ! Devant lui, ne mentionnez jamais son compagnon ! Clair ?!

Pourquoi ça !? l’interrogea Reyn, les traits enfouis dans les tréfonds de sa capuche.

Il est notoire qu’ils se sont disputés ! Il y a de ça trois ou quatre mille lunes de sang je dirais ! Ils ne se parlent plus depuis ! La moindre mention à l’un de l’existence de l’autre les plonge tous deux dans une colère noire ! La moindre erreur et il nous dévorera sans quémander son reste !

Si notre ami se sent seul, on pourra toujours l’appâter par notre délicieuse compagnie ! » plaisanta Reyn.

Et Tête-de-Pie de lui balancer : « Ouais, plutôt sûre que ta couenne de ronchonne lui casserait les dents ! »

À mesure qu’ils grimpaient la crête abrupte, la ligne de rochers emprunta l’aspect d’une rangée de dents noires trop usées ou mal soignées. Au sommet du promontoire, ils s’arrêtèrent au pied de deux hautes statues taillées dans la pierre de lave au cœur de nulle part. Celle de gauche représentait un démon sous sa forme humanoïde, des cornes torsadées évoquant une tiare posées sur une figure dont la beauté corrompue par la décrépitude de la roche larmoyait de fêlures. La seconde accaparait les traits d’une créature souple et élancée, effroyable dans sa splendeur, et dont les amples ailes déployées évoquaient une immense toile projetée par les vents. C’était la première démonifée que Jilam observait. Il n’était pas seul dans ce cas et s’étonna devant la grimace de Nellis.

« C’est la première fois que tu en vois une toi aussi ? » lui chuchota-t-il à l’oreille. Pour toute réponse, il eut droit à un froncement aigu de sourcils.

La vérité était chaque fois la même pour Nellis. Si un jour sa route avait croisé celle d’une de ces créatures, elle ne s’en rappelait tout simplement pas. Et n’avait aucun moyen de s’en souvenir, car c’était Nazukahi qui détenait cette mémoire.

Le leurre de son ennemie avait mieux fonctionné que le sien. Il l’avait dupé durant plus de vingt ans.

Une vulgaire pierre, hein ?

« Ne sont-ce pas là des merveilles ?! s’exclama Quo, en pamoison face aux deux sculptures.

Ouais, bah moi, j’y rajouterai bien un détail ou deux ! Comme les crocs, et les cadavres d’enfants aux pieds ! » Reyn cracha son dégoût au pied de la démonifée de pierre.

La démone posa son regard borgne sur la reine des Rats, les traits affectés de colère chagrinée. Elle s’approcha, l’elfe recula de deux pas, la démone avança d’un. « Nous sommes des monstres, Reyn, tu as parfaitement raison ! Mais nous sommes aussi tellement, tellement plus que cela ! Si seulement tu pouvais le voir !

Ce que je vois, c’est ce que j’ai vu ! trancha l’elfe aux cheveux cendrés. La mort, l’odeur du sang, les clans en deuil ! Le reste n’existe pas ! »

Ce fut Silène qui répondit à la place de Quo. « Et si tu prenais tes grands airs pour te taire au lieu de nous bassiner ! »

Sur ces mots, tout le monde se tut, et pendant longtemps on n’entendit plus que les sanglots du vent et les reniflements du volcan. L’attente était aussi pesante que la fatigue et le froid, sauf pour Jilam, qui ne souffrait que de la fatigue.

« Hé Quo-Quo ! héla Tête-de-Pie. Il est passé où ton Sphinxouné !?

Parti chasser les rats sans doute ! Il ne saurait donc tarder ! » lui rétorqua Silène.

Quo dissimula un rictus. L’elfe chamane s’était beaucoup rapprochée de la démone depuis le début de l’aventure. C’était d’autant plus impressionnant que leur relation partait de très loin, de très très loin. Leur première rencontre s’était résumée à Quo flanquant une belle peur à Silène, laquelle avait ensuite pris grand soin de garder ses distances. Les efforts de la démone pour gagner la confiance de celle qui parle aux esprits avaient fini par payer, et à entendre comment Silène prenait désormais sa défense face aux deux Rats Chevelus, cela lui faisait chaud à ses cœurs froids de prédateur-né.

Quo ne pouvait cependant leur en vouloir, à aucun d’eux, de nourrir cette méfiance tenace à son égard, qu’importe qu’elle en soit blessée. Reyn et Tête-de-Pie avaient raison de douter de ses intentions, comme Silène avait raison de lui accorder sa confiance. Comment l’évoquer autrement ? Comment l’évoquer, simplement ?

« On attend quoi alors ?! » s’impatienta Reyn, trépignant de frissons sous son visombre. Elle fit mine de passer entre les deux statues marquant le portail. Quo l’arrêta alors que son pied s’apprêtait à glisser par-delà la frontière invisible reliant les socles de pierre noire.

« Retire ta main. » L’elfe se tenait prête à dégainer sa dague.

La démone obéit mais ne bougea pas d’un pouce. « Si tu franchis le portail, tu seras dévorée. » Toutes deux étaient assez proches pour s’entendre par-dessus le vent sans crier.

« Je ne vais pas croupir ici en attendant que ton monstre se montre alors que le sort de mon clan est en jeu. À chaque temps perdu on prend le risque de rentrer au bois et de trouver un désert. Hors de question de moisir davantage.

Crois-tu que je ne me soucie pas du sort du bois et de ses vies ?

Diantre ! Es-tu sorcière ? Tu lis dans mes pensées. »

La raillerie heurta la démone plus gravement que n’importe quelle lame. Ses paupières s’abaissèrent. « Chaque fois que je ferme les yeux pour méditer, sais-tu ce que je vois ? C’est toujours la même image qui s’offre à moi. Je contemple une plaine grise sans fin sous un ciel de fumées. Il n’y a nulle vie qui peuple la plaine, rien que le vide et le silence. J’appelle mais ma voix s’est éteinte. Je suis seule, la vie a été dévorée mais la mort obstinée refuse de me prendre. Je contemple le vide sans bouger, j’écoute le silence. Impossible pour de fermer les yeux. Je dois supporter ce fardeau immobile, en silence, jusqu’à ce que la lune me réveille. »

Personne d’autre que Reyn n’avait entendu le récit à cause du vent hurlant. L’elfe resta longtemps impassible, les mâchoires serrées, retenant ses mots, ou plutôt incapable d’avouer leur désertion.

Un bruissement dans la bise sifflante détourna l’attention générale. Une ombre traversa en rafale le groupe avant de s’aplatir entre les statues. Le démon et la démonifée ne bronchèrent pas quand le météore frappa le sol dans un bruyant fracas. Jilam tomba sur les fesses pendant que Reyn et Quo s’éloignaient à vive allure, dégringolant la pente au risque de se vautrer.

Chacun récupéra son souffle.

Les grandes ailes sombres luisaient de vert et d’argent sous l’œil morne du Seigneur du Zénith. Leur envergure offrait un parapluie aux imposantes sculptures.

Deux larges yeux en amande, de vraies émeraudes scintillant de pureté, se posèrent sur nos voyageurs étourdis – les transpercèrent plutôt. Des ailes de corbeau attachées à un corps de lion, un visage évoquant une panthère d’érèbe, des serres d’aigle à l’arrière-train et devant : des pattes de tigre aux incomparables griffes bleutées, une collerette style cobra, une queue de lézard, mais fourchue à l’image des oiseaux, deux impressionnantes canines taillées dans l’onyx flattant le museau, et pour couronner l’ensemble bâtard : une tiare ceignant un crâne démesuré comparé au reste du corps.

La créature, par les joyaux nichés dans ses orbites, paraissait voir au-delà de la réalité. Sa présence dégageait une aura incomparable, étouffante de mystère et embrasée d’une puissance inégalée. Passé, présent et avenir ne semblaient faire qu’un dans le regard du Sphinx.

Lorsque le timbre rauque retentit, évoquant des cuivres qui s’entrechoquent, le vent se tut.

« Démon ! Que fabriques-tu donc ici, du mauvais côté de la montagne ? T’es-tu trompé de chemin ? Quelque langue odieuse t’aurait fourvoyé ? »

 Quo s’avança au-devant du monstre mythique sans qu’aucune crainte visible ne soit inscrite sur son visage ou dans sa démarche.

« Pitié, miséricorde, Ô Vénéré d’Entre les Vénérables ! » Sa voix était méconnaissable, à la fois plus grave et plus aigüe, un subtil équilibre entre frayeur et déférence. « Il est vrai que la longue route pour mener jusque chez nos amies m’a joué des tours ! L’ennui du voyage m’a fait abuser de la liqueur de châtaigne ! » Elle hurlait avec clarté bien que la bise se soit tue, car les Sphinx disposaient d’une très mauvaise ouïe, et celui-ci était réputé pour être sourd comme un pot.

Le Sphinx poussa un ronronnement et la montagne se mit à trembler sur ses gonds. « Nous n’aimons pas ces breuvages de fruits broyés et macérés. » Le dégoût retroussa son museau félin.

« Une chance alors ! Car j’ai épuisé tout mon stock ! »

Le monstre grommela. Un roc millénaire chut de son piédestal. Il pointa une griffe bleue, incroyable opale acérée, en direction des compagnons de la démone qu’il avait feint jusqu’ici d’ignorer. « Sont-ce là les offrandes pour le Festival ? Bien maigre butin que voici aligné devant Nous.

Il est vrai ! C’est que la liqueur a la fâcheuse manie d’éveiller l’appétit ! J’avais pourtant pris soin de me munir d’une solide escorte, mais, ô grand hélas, je n’ai jamais su maîtriser mes estomacs ! » La démone adressa à ses compagnons un clin d’œil, mimique prêtant à rire chez un être borgne. « Ô Monarque de Tous les Royaumes, auriez-Vous l’aimable bonté, que dis-je, l’infinie mansuétude de nous offrir, je veux dire à Votre serviteur et ses… chair-à-pattes, le droit de passage sur Vos fastueux domaines ?! C’est que nous sommes déjà bien en retard et nous craignons, enfin je crains que… !

Les questions d’abord », gronda le tonnerre dans un fameux boucan.

Quo s’inclina en empruntant la noblesse d’un prince couplée à la ferveur d’un croyant. « Que suis-je bête! Évidemment, les questions sont importantes, que dis-je, essentielles ! Sans elles pas de réponses, et sans réponses pas de Vérité !

La Vérité discourt par Notre voix. Nous La dictons. Elle est Notre Volonté. Vous autres, petites ailes et cornes ridicules, n’êtes que de misérables langues gavées de l’Odieux Mensonge.

Nous le sommes, il est vrai !

Et ne Nous parle pas de “serviteur”. Nous n’avons que des proies en ce bas-monde. Les moins stupides parmi les bêtes obtiennent le droit d’embrasser Nos coussinets et d’écouter Nos sages discours et Nos glorieux poèmes à défaut de les entendre.

Bien entendu, Véhicule Suprême de Tous les Savoirs. »

L’engeance aux mille nuances d’espèces s’ébroua dans une fragrance de soufre. C’est d’une voix antique et solennelle, forte et pesante, écrasée par le poids des âges, qu’elle déclama les vers suivants :

 

Près de l’étang, parmi la flore fanée

Au cœur mourant de son jardin, le faune

Alangui, la langue de repos affamée

S’étend et s’endort à l’ombre de l’aulne

 

Puis poursuivit-il en prose : « Nous autres, Sphinx, avons créé la poésie et Nous seuls maîtrisons ses complexes arcanes. Nous sommes les véritables dieux de ce monde. Les imposteurs croupissent dans leurs cieux vides du moindre air. Ils n’en manquent pourtant pas pour s’octroyer la parenté de Nos œuvres. »

La poésie jaillit :

 

Les oiseaux nichés dans les vents

Piaillent le Mensonge Odieux

Défèquent sur les serpents

Qui sifflent la Vérité des Dieux

 

Les voyageurs, vermisseaux à l’ombre de ses pattes, l’écoutèrent patiemment dérouler ses vers, prenant soin d’afficher leur plus beau jeu, celui de l’élève qui fait mine de boire les paroles du maître comme si ces mots constituaient son air. Ils devaient être convaincants, car les gemmes oculaires du Sphinx passaient en revue leurs expressions jusqu’à la moindre ride infime.

Quo les avait avertis maintes et maintes fois sans se lasser : pas une seule fausse note avant d’entendre la première énigme ou personne n’aura l’occasion de répondre.

Lorsque le monstre plurimillénaire porta son attention sur lui, Jilam ressentit comme les caresses d’une lame de rasoir sur sa trachée.

« Il est une étrangeté parmi vous », grogna le Sphinx. Son haleine empestait la graisse calcinée. « Quelque chose ici n’a pas d’odeur. Nous le percevons mais ne pouvons le sentir. À croire que c’est un esprit. »

Son regard vibrant de danger se posa sur Nellis, mais ce fut Jilam qui tressaillit. Les yeux de chouette heurtèrent les joyaux verts. Monstre et sorcière, chacun cherchait à investir les pensées de l’autre.

« Intérrrressant, ronronna la créature dans le fracas d’un éboulis. Currrrrieux. Grrra, oui, currrrrieux. » Puis elle poussa un long feulement évoquant la cacophonie de centaines de bouilloires sur le point d’imploser. Les tympans alentour se fêlèrent.

Alors, comme si tout son intérêt s’était subitement épuisé, elle se détourna et déploya ses grandes ailes. Les plumes, noires et vertes sur l’envers, noires et argentées sur le dessus, scintillaient sous les chatouillis du vent craintif. Le Sphinx s’étira ainsi que l’aurait fait un chat, tendant ses pattes de devant, griffes crissant sur la roche. La gueule s’ouvrit en grand dans un bâillement, révélant une forêt de dents, que dire, des sabres et des faux dont la vue refroidirait le cœur le plus ardent.

Nos aventuriers attendaient, leurs ceintures prêtes à se rompre sous la tension. Quo n’osait plus dire un mot de peur de commettre un impair. Les Gardiens de Morbani étaient connus pour leur duplicité autant que leur susceptibilité. Toutes leurs angoisses se tenaient désormais suspendues aux babines du Sphinx qui, à l’évidence, se délectait de la situation.

« Rrrrra, ils sont rares, maintenant, ceux qui viennent quémander Notre sage savoir. Ils craignent Nos questions de peur des réponses. La cendre que Nous expirons ne saurait être appréciée à sa juste valeur par ceux qui l’inspirent car les ignorants ignorent le goût du diamant.

 

 

Du berceau à l’oubli

Du bourgeon au fantôme

Vie et mort réunies 

Jour et nuit, un seul dôme

 

Esseulée est l’existence d’un dieu. Triste sort pour l’auguste destin. »

Ses lamentations arrachaient des sanglots à l’air comme à la terre. La roche gémissait sous ses coups de pattes tandis qu’il plantait ses griffes et lacérait la montagne, comme le ferait un chat domestique avec un tapis, songea Jilam.

« C’est vérité bien vraie, Ô Sagesse Mémorable ! La terreur me terrassait rien qu’à avoir eu vent de Votre nom ! Et à Vous contempler en personne, Unique dans la diversité, l’effroi jure de me renvoyer à la terre qui m’a engendrée ! Mon œil me brûle atrocement, mes oreilles saignent, mes cœurs s’agitent, la folie dévore mon esprit vide ! Je ne peux me tenir là en Votre présence sans ressentir le désir de mourir, car cela serait juste raison pour cela, du simple fait de souiller votre air par mon souffle et vos pensées par ma stupidité !

Cela serait juste, en effet. Mais ne veux-tu pas entendre Nos énigmes d’abord ? Tu pourras ensuite mourir selon ton souhait.

Suis-je seulement digne de cet honneur, Ô Majestueuse Sérénissime ? »

Le Sphinx gronda et frappa durement le sol qui hurla à s’en déchirer. « Cela, c’est à Nous seuls d’en décider. » Ses pupilles d’émeraude flamboyaient tels des rubis.

Quo sombra dans le mutisme, préférant mimer la statue du démon.

Les vers s’envolèrent dans la bise glacée, plus fluette que le soupir d’un soufflet :

 

Une porte ouverte, sous froides nuits d’hiver

Chaudes lanternes bercées par le vent glacial

Vertes carcasses comblées par les vers

Sang chaud frémillant de terreur fatale

 

Latence. Soupir brûlant, l’haleine pestilentielle du sempiternel. « Qu’en dis-tu, démon ? Est-ce à ton goût ?

Est-ce là Votre énigme, Mirifique Splendeur ? » hasarda Quo.

Elle saisit aussitôt son erreur en entendant la croûte terrestre se fracasser contre son propre socle.

« GRrrraaaH ! Misère, tragédie, les poètes en ce monde sont tous des vers ! Impénétrable trépas. »

Le regard du Sphinx, qui semblait voir par-delà les couches infinies d’horizon, embrassa nos voyageurs qui sentirent comme un nuage de pluie les traverser.

« Comment salue-t-on le soleil ? »

Le vacarme du silence, pénétré par les ronronnements de la montagne.

« C’est simple. Ça commence par un bonjour. Rayons ensemble. »

Quo avait retenu sa leçon et éclata d’un rire entraîné aux notes parfaitement mesurées pour échapper à la vulgarité.

Le Sphinx grommela et son haleine souffla un vent chaud aux visages des aventuriers. « À défaut de poésie, au moins ton cervelet daigne reconnaître une boutade. Ce n’est pas le cas de tes offrandes, hélas. Mais rien ne plus normal pour des ratibois qui mangent la terre.

Et que dirais-tu que je t’enfonce tes ailes dans le fondement ? Ça aussi, ça serait une bonne boutade. »

Tête-de-Pie décocha une violente bourrade à sa cheffe de clan.

Si les mauvaises oreilles du monstre ailé n’avaient par chance rien entendus, en revanche ses yeux acérés ne manquaient rien. « Que signifie cette agitation ? » gronda-t-il. La colère, chez la créature, ne sommeillait jamais. Suintant par tous ses pores, elle menaçait à chaque instant d’éclater.

L’éclat de ses joyaux transperça l’elfe aux cheveux cendrés. Il ronronna. « Qu’as-tu à Nous dire, petite reine de jadis ? » La reine des Rats se figea d’effroi.

Tête-de-Pie, prenant les devants, se leva pour déambuler sous le regard acéré du Sphinx, et parvenue à un pouce de ses orteils se vautra à terre, paumes jointes dressées et tendues en signe de prière. « Pardonnez ma camarade, Ô heu… Maître Incontesté de Tous les Humours ! Elle a été bercée trop près de l’écorce dès sa naissance ! C’est qu’elle tourne vite bouleau ! »

L’aura titanesque charriée par les âges depuis l’aube du monde écrasait la misérable silhouette de la fée-lutin comme le soleil domine tous les astres. Reyn avait empoigné sa dague et s’était positionnée, prête à bondir, quand Nellis, d’un geste discret, la retint. Le Sphinx ne remarqua rien, trop absorbé par l’étrange spécimen affalé juste sous son museau.

Brusquement, l’engeance aux cent et mille histoires bomba le torse et adressa au ciel un rugissement propre à arracher le disque solaire de ses gonds célestes. La terre jurait de s’ouvrir en deux. Chacun des aventuriers croyait son dernier instant venu.

Le Sphinx était secoué de soubresauts et battait des pattes comme s’il se frappait le ventre. Ses ailes s’ébattaient en désordre, ranimant le vent. Puis le titan s’affaissa sous l’effet des spasmes. D’une griffe, il délogea une larme de son émeraude.

« En voilà une bonne grrrrr. “C’est qu’elle tourne vite bouleau.” Pas mal pour un cervelet nourri par les noix. Les poètes sont certainement des vers, mais les bouffons, eux, sont toujours des papillons. Rrrrraaa  Nous n’avions pas autant ri depuis que l’Enfant avait avalé tout rond l’Aîné. Une bien belle boutade que tu Nous a servi, ratibois. Quel nom te donne-t-on dans ton trou ?

Je suis Tête-de-Pie ! J’ai vu le jour aux Fontaines d’Argent ! répondit fièrement mais non sans peur la fée-lutin.

Eh bien, Tête-de-Pie des Fontaines d’Argent, Nous te faisons gré, en récompense de ce fin trait d’esprit, de Notre énigme. »

En voilà une bien belle récompense, merci, songea Nellis, mordue d’ironie.

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