Le Conte de la Sorcière des Bois 34. Dilemmes et coups fourrés

11 mins

Il est étrange de penser quand on y pense. Et nos pensées sont souvent étranges. Elles ne coïncident pas toujours avec la situation. Par exemple, alors que Jilam s’apprêtait à se faire dénoyauter le trognon, une seule idée lui traversait l’esprit : Bizarre, ça sent bon le sapin. La gueule du mammours, loin d’une haleine fétide propre aux mangeurs de viande, exhalait l’entêtant parfum du conifère. Le mammours devait mâcher de l’écorce et des branchages comme tout ursidé qui se respecte. Des dents blanches et une haleine fraîche ; il existait pire cadre pour mourir. Déchiqueté par des mâchoires difformes aux crocs jaunis rongés par les carries, voilà un trépas humiliant. À contrario, la gueule du mammours paraissait presque accueillante.

Voilà ce à quoi songeait Jilam. Toute une philosophie enfermée dans un battement.

Alors qu’elle affrontait le puissant mâle, sentant l’épuisement poindre, et bien que ce jeu l’amusât follement, assurée que Tête-de-Pie avait décampé sans heurts, Reyn prit à son tour la poudre d’escampette, non sans laisser au mammours un petit souvenir cinglant sur la truffe. Elle n’avait pas tardé à retrouver la fée-lutin, puis les deux Rats Chevelus étaient tombés sur Quo et Silène.

Les mammours s’étaient dispersés le long de la Voie Silencieuse. L’air vibrait des échos déchirants de leur lutte intestine.

Nos quatre compères – ne devrions-nous pas plutôt parler de commères ? – se trouvaient en aval, serrés dans la niche formées par deux rochers, et avaient conscience de la précarité de leur situation. Tant qu’elles arpentaient le col, la mort les guetterait à chaque pas. Avant tout, elles devaient retrouver la trace de la sorcière, de son époux et de leurs compagnons à fourrure. Quo avait entraperçu Jilam s’enfuir vers l’amont du défilé avant de le perdre de vue. En revanche, personne n’avait eu vent de Nellis, ni de Mú ou Mousse-qui-pique. Sans la sorcière, leurs chances étaient maigres ; même Reyn devait se l’avouer. Seuls ses sortilèges les sortiraient de ce mauvais pas. Mais les mammours grouillaient de partout ; et le boucan du combat de titans allait certainement sous peu attirer d’autres dangers. Le temps leur était désespérément compté.

Quelqu’un devait partir seul à la recherche des disparus pendant que les autres tâcheraient de se faire souris. Inutile de tous se jeter dans la gueule du silence. « Vas-y toi. Ton flair les débusquera vite-fait, lança Reyn à Quo.

J’aimerais bien, mais le mammours m’a salement amochée. » La démone écarta sa cape, révélant ses jambes. Un sang vert s’écoulait de deux plaies rectilignes coupées en travers des deux cuisses. Les profonds sillons mettaient l’os à nu, on voyait clairement les nœuds de tendons. Silène écarquilla les yeux, les traits pétris d’horreur. « J’ai marché sur une griffe, lâcha Quo tout sourire. »

C’est aussi à cette manie de plaisanter dans les pires contextes que Reyn se méfiait de la démone. « Ce n’est rien pour les gens de ton espèce.

Pourquoi tu n’y vas pas toi ? l’alpagua Tête-de-Pie. Tu vois bien que Quo n’est pas en état. Et elle pourra toujours nous défendre si un mammours se pointe.

Ouais, t’as vu dans quel état ils l’ont mise. »

Quo écouta leur dispute sans l’ombre d’une émotion, d’un air détaché, vaguement amusé, pendant que Silène sortait de sa sacoche des pansements d’écorce imprégnée de sève cicatrisante et s’attelait à bander sa blessure. « Merci beaucoup, ma chère, mais ce n’est pas nécessaire. Me régénérer nécessitera néanmoins un peu de temps. Mieux vaut que tu y ailles, Reyn.

Toi, ne me dis pas ce que je dois faire », grogna l’elfe, la pointe de sa lance-arc, luisante de sang mauve, dirigée contre la démone.

Tête-de-Pie afficha une grimace outrée tandis que Quo conservait son marbre habituel. Silène se taisait et continuait de s’activer sur la jambe de la démone impassible.

Reyn n’avait jamais accepté que Quo les accompagne, qu’importe qu’elle fût leur guide en ces territoires inconnus. À ses yeux, les démons étaient les progénitures du Mal, pondues par les enfers noirs ; et après avoir entendu le récit de Garlik, elle était persuadée que Quo et ses congénères descendaient du Fléau Suprême d’Antan au même titre que leurs cousines démonifées.

« Vieille carne de rongeur ! s’emporta la fée-lutin dont le visage brillait de sueurs froides. Quand je t’ai rencontrée, tu disais déjà des trolls qu’ils étaient la pire racaille de notre monde, pire encore que les humains, et puis Bagon est arrivé et tu as revu ton jugement. Tu es pareille devant un repas, butée jusqu’à la moelle, jusqu’à ce que tu goûtes et que tu dévores tout. Tu parles d’un chef. Tu y vas et puis c’est tout. Pas le temps de tailler le bout de gras. »

Reyn tourna le dos à ses trois camarades sans rien dire. « Bonne chance. Ne t’en fais pas. Je veille sur elles. » Pivotant brusquement, elle se heurta au sourire magnanime de Quo. Elle serra à s’en briser les doigts le manche de sa lance-arc et s’en alla à pas vifs malgré l’imprudence d’une telle foulée.

Elle comptait sur le vacarme des mammours pour obturer le vacarme qu’elle devait produire pour les oreilles indigènes. Sur ses épaules flottait son manteau de visombre, régressé une simple fourrure douillette car bien inutile en ce lieu où tout était aveugle.

Partout, la neige était tâchée de sang mauve que le gel figeait déjà. Les flaques se changeaient en mares à mesure que Reyn grimpait le col. Elle atteignit la plateforme entre falaise et précipice, épicentre du carnage. De grosses touffes de fourrure décoraient le sentier, évoquant des flambeaux mortuaires. Trois carcasses de mammours, salement éventrées, fumaient dans la neige souillée, les tripes à l’air dans l’attente des charognards qui ne sauraient tarder.

La puanteur de viscères noyait toutes les autres odeurs, et en l’absence de vent, elle se plantait dans l’air. La traqueuse invétérée repéra cependant les traces de Jilam parmi les cratères de la bataille.  À quoi sert de courir si c’est pour laisser traîner une piste que même un enfant peut suivre ?

Elle ne tarda pas à apercevoir l’orée violette de la pinède. Malgré la fatigue, elle accéléra. Rapidement, son regard aguerri analysa la situation.

Nellis s’était évaporée en brume, et tout ce que les mammours obtinrent de leur acharnement fut de se flanquer une bonne raclée entre eux. Puis le brouillard ensorcelé se condensa pour devenir une prison de glace. La sorcière écouta avec attention et une lourde angoisse, qu’elle tâchait d’étouffer, les pensées des deux êtres s’éteindre une par une.

Et tandis qu’elle contemplait sa funeste œuvre, son esprit égaré reçut de plein fouet les terreurs combinées de Jilam et de Mú. Mais à peine dirigea-t-elle son regard vers le bosquet qu’un souffle chaud lui caressa le cou. Elle se métamorphosa brusquement et esquiva de justesse un vif coup de patte. Le troisième mammours avait surgi du néant. Ses pensées focalisées ailleurs, la sorcière n’avait pu appréhender son approche. Elle allait s’empresser de gagner de l’altitude quand le mastodonte, empruntant le réflexe d’un lagopède, bondit sur ses pattes arrière. Elle piailla de douleur dans une volée de plumes et entama une voltige sauvage qui s’acheva sur une chute amortie dans la neige. En un clignement d’yeux, la chouette redevint elfe. Nellis jeta son dégoût sur son bras sanglant lacéré. Écartant la souffrance cuisante, elle eut tout juste le temps de formuler un bref sort car le mammours chargeait déjà. Mais quand le monstre abattit ses pattes avant sur la silhouette recroquevillée, celle-ci se vaporisa.

La bête se figea, attentive au moindre bruissement d’air. Elle pouvait entendre ses congénères captifs de la glace, leurs plaintes sourdes tandis que s’effaçait en eux la dernière once de vie. Un froid vif dans la panse la surprit. Elle sentit ses viscères déchiquetées se répandre à l’intérieur, puis elle se mit à convulser, noyée par son propre sang. Un ultime spasme et le mammours se pétrifia.

La sorcière émergea en boitant de derrière la sépulture de glace, le bras inerte pendant de son épaule, la colère tirant ses traits. Elle resta un moment ainsi, à observer la dépouille empalée sur trois énormes pics gelés, sans qu’aucune autre image ou pensée ne traverse son esprit.

Le gong dans la poitrine de Jilam sonna le glas une seconde fois. Ses pensées s’effacèrent… et la gueule béante avec.

Quelque chose de plus attrayant que lui avait attiré l’attention du mammours. Peut-être était-ce en rapport avec la lance plantée dans la panse laineuse du monstre ? Les yeux hagards du jeune homme discernèrent une traînée de feu. L’ombre embrasée enjamba le mastodonte comme s’il s’agissait d’une simple haie. La bête déchaîna ses griffes, qui ne parvinrent à cueillir qu’une poignée d’aiguilles mauves. Une pomme de pin noire comme le charbon rebondit sur son crâne entre ses deux larges oreilles velues. Le spectre rouge arracha la lance de la fourrure brune d’où s’échappa un ruisseau mauve, puis rebondit agilement sur ses pieds, juste à temps pour éviter une autre baffe mortelle. En pareille situation, tout animal aurait rugi sous le coup de l’agacement et de la douleur. Le mammours se contenta de claquer des mâchoires. Le bruit sec sonna plus effroyable aux oreilles de Jilam que le plus ténébreux des hurlements sauvages.

Reyn agrippa un Jilam éberlué par le col et le secoua violemment jusqu’à ce que son regard daigne enfin s’allumer. « Déracine-toi trognon ! Décampe ! » Et l’époux de la sorcière d’obéir promptement.

À l’ombre des pins violets, Reyn combattait vaillamment le mammours qui avait manqué croquer Jilam. Le mastodonte, ivre de rage et de douleur, désirait maintenant goûter à l’elfe ; mais le nouveau poisson se révélait bien moins aisé à ferrer que le précédent. Reyn luttait en dépit de la fatigue croissante qui alourdissait ses muscles et émoussait ses réflexes.

Alors qu’elle venait d’éviter de peu d’être encornée, elle dérapa sur une plaque de givre. Le mammours saisit l’occasion pour charger. L’elfe perçut quelque chose, une ombre, atterrir sur le museau retroussé. Une queue touffue s’enroula autour d’une des longues défenses courbées.

Le mastodonte piétinait le sol, envoûté par une démence sauvage. Sans prononcer un râle, la bête furieuse décapita d’un coup de gueule le pauvre pin rabougri à sa portée avant de le réduire en copeaux mâchés. Le monstre se dressa ensuite sur ses pattes arrière. Son ombre s’étendit brusquement bien au-delà de celles des pauvres arbres recroquevillés sur leurs racines. Reyn raccorda sa lance-arc et tira ses trois ultimes flèches. Elle pesta intérieurement d’avoir oublié son second carquois auprès de Tête-de-Pie.

« Pisse-de-dieu ! » Sur ce juron, elle reprit en main sa lance avant de la brandir comme un javelot. La pointe se planta dans la panse offerte du mastodonte, à l’endroit hypothétique du cœur. Le mammours tituba mais demeura debout.

« Toi, mon salopiaud, t’as la couenne sacrément épaisse. »

L’engeance retomba sur ses quatre lourdes pattes velues, brisant en deux la lance-arc en bois de vieux chêne comme s’il s’agissait de vulgaire bouleau-à-papier, puis chargea de nouveau sans crier gare et malgré l’impressionnant flot de sang qu’elle semait dans son sillage. Surprise, Reyn tenta de reculer mais trébucha avant de basculer en arrière. La pointe d’une défense embrassa son visage qui sentit le souffle tiède à l’haleine de sapin. Habilement, elle transforma sa chute en galipette et se retrouva accroupie. D’un bond souple, elle s’épargna de finir broyée sous l’étau d’une patte. Cette dernière s’enfonça profondément dans le sol. Du trou béant surgit une flopée de toisons noires et violettes arborant cornes et longues oreilles. Le mammours venait de mettre à jour un terrier de lièvres cornus.

Espèce endémique de la Voie Silencieuse, le lièvre cornu constituait la proie favorite du mammours. Il vivait en famille dans des terriers profonds. Aveugle comme le mammours et le crève-yeux, il se repérait dans l’espace grâce à ses longues oreilles et ses cornes biscornues, et égalait peu ou prou la taille d’un léporursidé du bois.

Une douzaine de spécimens s’égayaient sous la truffe du mammours enragé, toujours dans un silence de trépas. Les lagopèdes terrifiés, après avoir été brutalement expulsés de leur chaumière, s’éparpillaient à toute allure. Leurs bonds gigantesques leur permettaient d’esquiver les griffes du prédateur.

Leur apparition furtive offrit à Reyn une distraction suffisante pour s’éloigner du mastodonte. Hélas, ses jambes, aussi vives et agiles fussent-elles, ne pouvaient rivaliser à la course avec les puissantes et souples pattes du mammours.

Ce dernier gagnait du terrain quand, sans prévenir, il fut saisi d’une saccade de spasmes, puis s’effondra sur le flanc, sans presque un bruit sinon un soupir de neige étouffé.

L’elfe, incrédule, s’approcha lentement, le poignard dégainé, Mú tapi dans son ombre. Elle décocha un coup de pied dans la panse de fourrure, suivi de plusieurs autres sans que la carcasse ne bronche. Elle décela une respiration, lente et irrégulière. La bête dormait d’un sommeil agité. Une foule de questions s’amassait dans son esprit quand elle vit émerger de sous le colosse laineux deux oreilles noires et un pelage mi-vert mi-brun. Un sourire jusqu’aux deux oreilles anima son visage. Elle cueillit le museau rose entre ses deux paumes et remercia chaleureusement Mousse-qui-pique, le Terrasseur de Mammours.

L’elfe et les deux mammifères tendirent leur ouïe. Le silence de retour exhalait un sifflement lugubre.

Jilam luttait de toutes ses forces pour battre le vent. Si la peur ne donne pas des ailes, elle confère néanmoins une seconde vie aux jambes mourantes. Il avait perdu de vue Reyn et Mú et essayait désespérément de rejoindre Nellis mais, dans sa folle course, il ne l’avait point trouvée. Par quel miracle de bêtise avait-il pu se perdre sur un chemin droit ?

Il s’arrêta pour respirer avant que son cœur n’implose. Il se tenait haletant au milieu d’un champ de fleurs de gel et avait pleine vue sur la Voie Silencieuse en contrebas. Il était seul. Du moins le pensait-il. Son regard flou balaya frénétiquement les alentours. Une vive douleur monta en lui. Les pétales de givre lui avaient tailladé les vêtements et la peau sans qu’il ne le remarque. Un autre don de la peur. Mais si elle vous retire la douleur, elle n’épanche pas pour autant le sang, et Jilam saignait un peu trop abondamment à son goût. Il dégaina son mouchoir pour panser la vilaine plaie à la cuisse droite. Tu n’es qu’un idiot, se répétait-il, songeant que Nellis s’était certainement débarrassée des mammours depuis une pelle et devait pester après lui. Il entendait déjà ses remontrances.

C’est alors qu’il aperçut la nuée ; funeste nuée qui se rapprochait inéluctablement, et qu’une longue plainte accompagnait.

Manquait plus que ça, pesta-t-elle intérieurement, un sourcil dressé à l’encontre du sombre cumulus qui grossissait à vue d’œil, semblable à un abcès crevant l’horizon.

Les crève-yeux, rendus fous par l’appel de la chair qui remue et sème le tapage, se précipitaient à tire-d’aile, désireux de participer à la curée. Nellis n’avait d’autre choix que de décimer la volée mortelle qui fondait sur le défilé. Un grondement sourd attira son attention. Une vague d’effroi la saisit et étrangla la sérénité froide qu’elle conservait jusqu’alors. Jilam !

Le gargouillement étranglé, comme un bruit de gorge, émanait de sous pieds, il en avait la certitude. Le Mausolée du Roi grommelait dans son sommeil. Le puissant râle frappa de plein fouet et déchira le silence tourmenté tandis que les massifs voisins répétaient la rumeur de son courroux à leurs amis lointains.

Abasourdi, Jilam contempla un morceau de bidoche de la montagne se détacher de son squelette. Une colonne blanche s’éleva au ciel. Le monde trembla sur ses gonds, qui un par un se détachèrent comme les boutons d’une chemise arrachée. L’avalanche prit la forme d’un serpent. Sa gueule sifflante broyait les rochers. La terre elle-même s’effaçait sur son passage. Le râle devint hurlement. On aurait dit que le ciel se déchirait et tombait en lambeaux, écrasant les pauvres âmes sous sa voûte brisée.

Le cri d’agonie avala tous les sons ; il dévora l’air, et s’enfonça jusqu’au fond de la gorge de Jilam. Là où auparavant régnait le silence, tout n’était plus que bruit. Pas une molécule ne se trouvait épargnée par le raffut. Jilam demeurait pétrifié tandis que la montagne convulsait, se déchirait sous ses yeux. La beauté qui piétine l’horreur ; ensemble elles écrasent les fleurs comme la vermine qui s’agglutine au sein des parterres. La terre se meurt, la montagne s’esclaffe.

Mais nul n’avait envie de rire, et surtout pas Nellis. Le pouvoir d’une sorcière dépasse l’entendement du commun des immortels et mortels confondus. Notre sorcière pouvait se targuer de savoir d’une main décrocher la lune et de l’autre éteindre les feux du soleil ; mais elle demeurait bien incapable de tenir les deux astres dans une seule paume. La force phénoménale de ses deux bras soulevait les montagnes, mais faute d’un troisième, il lui était impossible de saisir la gemme. Le ciel, en cet instant, se riait d’elle, narguait son pouvoir soumis à l’impuissance. Abattre les crève-yeux signifiait condamner Jilam. Stopper l’avalanche entraînerait leur mort à tous. La sorcière se tenait à la croisée de deux chemins s’achevant chacun dans le même précipice.

Du coin de l’œil, elle aperçut les mammours qui s’en revenaient sur les traces de leurs congénères. Une troisième voie s’ouvrait ; le même gouffre. La lucidité de Nellis se trouvait écartelée entre deux raisons contraires, ses pensées déchirées ; son esprit se résumait à un charbon s’effritant sous les assauts du brasier. Elle fulminait, en-dehors comme au-dedans.

Elle tourna encore le regard et aperçut au loin une silhouette courant dans sa direction, celle de Reyn, Mousse-qui-pique sur son épaule et Mú sur ses talons. Elle revint au troupeau, puis porta son attention sur la nuée funèbre dont l’ombre géante rampait sur le sol.

À tout cela, elle tourna le dos, replaça son épaule déboîtée, et ignorant les plaintes de sa blessure au bras, se changea en chouette, puis disparut dans le firmament.

Dès le début, et bien avant, son choix était acté.

Jilam, avachi au milieu de son parterre de fleurs de gel, scintillant à la lueur du soleil évanescent, scrutait, les larmes aux yeux et les tympans percés par le râle vibrant, digne de l’agonie d’un dragon, le monstrueux panache blanc s’épanouir. Il vit le ciel et la terre disparaître, consumés par l’immaculé néant, le serpent livide ouvrir sa gueule. Le jeune homme, pétale gelé au sein du parterre, n’entendait plus rien à la raison, et son univers se résumait à cette blancheur dévorante.

C’est alors qu’une main noire aux griffes usées se posa tendrement sur son épaule. Le jeune homme s’éveilla à la vue d’un étendard de cheveux blancs agrafé à la hampe d’une beauté lumineuse de vie, comme une réponse à la splendeur figée des pétales éternels. Nellis, en cet instant, semblait faite de cristal. Elle ne jeta pas un regard à son époux. Sans dire un mot, elle dressa son bras, comme pour saluer la Nature déferlante.

Le serpent siffla, se mua en silhouette fantomatique ; on aurait dit le spectre d’un géant ; et le géant portait sur son chef difforme les empreintes d’une couronne. Le serpent émergea du ventre du géant. Les deux fantômes luttaient l’un contre l’autre, les anneaux du serpent s’enroulant autour du cou du géant. Gueule et bouche s’embrassèrent, la neige s’embrasa et devint cendres.

Jilam ouvrit les yeux sur l’obscurité. Il se tenait en posture fœtale au sein d’un ventre de ténèbres. L’obscurité insufflait une douce tiédeur. Ses poumons crachèrent un souffle chaud. Je vis.

Des bras l’enlacèrent. Une autre respiration se mêla à la sienne.

« Où… Où est-ce qu’on est ?

Chut. Rendors-toi. Rien qu’un moment. Encore un peu. Juste… un peu plus longtemps. »

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