Chapitre 3 : Voleur de Ledan

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Règle une : Ne pas tuer ;
Règle deuxième : Ne pas voler les pauvres ;
Règle troisième : Ne pas se faire prendre ;
Règle quatrième : Ni se faire pendre ;
Règle cinquième : Ne pas dénoncer les confrères.

-Extrait du Code oral de la guilde des voleurs de Ledan

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, seixième dan d’Arntayo

Ledan, une ville réputée pour son artisanat lié au cuir et au textile vivant sous l’œil attentif d’un chapitre de l’ordre de la lame ardente à cause de sa position dans la moitié Nord du royaume de Plenovny. Sa population est d’environ cent cinquante cinq mille habitants selon le dernier recensement impérial. Elle est composée essentiellement d’humains et de quelques milliers de demi-elfes ainsi que de quelques centaines d’orques et d’elfes. Enfin, l’accès aisé au royaume elfe de Forishny garantit une certaine qualité des produits d’un point de vue esthétique grâce aux importations. C’est donc un carrefour commercial important pour les biens venant de Forishny, essentiellement les fourrures et les poissons du Nord de ce royaume et, dans une moindre mesure, le bois de qualité. De plus, son lien direct avec Pavan, la capitale elfique, via la voie impériale Nord-Est assure des revenus commerciaux importants. Par ailleurs, Ledan se situe sur le fleuve Loshy qui lui assure un lien par bateau avec Kapirsky, la capitale impériale et elle se situe donc au sein d’un flux très important de marchandises.

La caravane traversa silencieusement les portes de la ville. Personne n’osait prononcer un mot, personne n’en avait envie. Ils avaient tous la mine grave, ils savaient au moment où ils ont croisé le paladin et son funeste cortège qu’ils n’avaient nulle part où rentrer désormais. Ceux qui retourneront au village seront simplement interrogés et peut-être exécutés pour le ” bien commun ” ou ils ne retrouveront qu’un champ de ruines calcinées. Steshin et Oronay quittèrent la caravane pour rejoindre l’auberge la plus proche afin d’y louer une chambre avec deux lits pour la nuit qui venait tout juste de tomber.

Située dans une ruelle proche de la place du marché, l’auberge de ” Tie Skatastshats ” était d’une qualité correcte, surtout par rapport au prix de ses chambres. Elle était fréquentée par des marchands de passage et quelques voyageurs malgré son nom et le fait qu’elle ne proposait pas de repas forçant de fait la clientèle à se restaurer dans une taverne proche aussi bien qualitativement que géographiquement, ” Tie Lutstshats “.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, dixseptième dan d’Arntayo

Les deux anciens conspirateurs se réveillèrent le lendemain matin et comprirent qu’à présent, ils n’étaient plus en danger immédiat. Ils se demandèrent intérieurement quoi faire à présent, dans le silence le plus total. L’espion entama le dialogue après un long bâillement.

-On devrait pouvoir souffler pendant quelques temps même si je préférerais mettre un maximum de distance entre moi et ces cinglés de la lame ardente.
-Trouvons une proie à chasser. Rien de tel qu’une bonne traque pour se détendre.

D’un autre côté, je vois pas vraiment à quoi je m’attendais.

-En attendant, nos bourses sont presque vides. On devrait trouver un moyen de gagner quelques sous.

Steshin soupira un grand coup en palpant sa bourse et prit un air pensif en repensant au petit village qu’il venait de quitter.

-Au village, le milicien t’a bien dit qu’une guilde des voleurs s’était installée dans cette ville, non ? La garde urbaine doit offrir une prime pour des éliminations ou des captures.
-Pas faux, le mercenaire.

Ils se levèrent de leur lit, prirent leur équipement et quittèrent leur chambre.

J’oubliais que les gens de son peuple ne se contentent pas que de piller. Il leur arrive de s’enrôler comme mercenaire ou d’accepter des contrats de chasseur de prime… Hum… Ce qui revient à tuer pour de l’argent ou le plaisir dans tous les cas en fait…

* * *

Avis de recherche pour :

Les membres de la guilde des voleurs ou quelque soit leur nom.

Ce sont d’odieux criminels rançonnant les honnêtes gens pour leur seul profit personnel. Notre seigneur, le duc Febatsnok, exige désormais qu’ils soient bannis définitivement de notre magnifique cité.

Une prime de 1 siregy sera attribuée par annulaire, le quatrième doigt, gauche. Ce dernier porte une marque de brûlure bien particulière typique de cette guilde. Toute tentative de fraude sera punie d’un séjour au donjon.

* * *

-Ça va être intéressant.

Le visage d’Oronay se fendit d’un petit sourire en coin et une lueur apparut dans son regard, la même que celle animant les prédateurs en chasse ce qui n’était pas des plus rassurant pour Steshin.

Le baron offre une récompense assez élevée pour de simples voleurs, avec une siregy on peut se nourrir durant cinq dano sans trop de mal. Ils doivent lui mener la vie dure.

Steshin prit un sourire sarcastique amusé avant de faire signe à son compère qu’il était temps de laisser le panneau d’affichage pour se mettre en chasse. Ils commencèrent par interroger les passants sans obtenir de réponse satisfaisante au-delà des habituelles rumeurs avant de réfléchir aux endroits où une bande de voleurs pourraient se terrer.

Ledan, comme bien d’autres villes, était divisée en plusieurs quartiers de taille variable. Bien qu’ils disposaient tous de logements, chacun s’était suffisamment spécialisé dans un domaine pour les différencier.

Le petit marché, un quartier majoritairement commerçant situé dans la partie Nord de la ville, incluant la porte Nord du mur d’enceinte. On y trouve principalement les produits venant des villages alentours disposés au cœur d’un marché à ciel ouvert. De plus, ce quartier dispose de tout le nécessaire pour approvisionner ces mêmes villages avec tout le matériel dont ils ont besoin.

Les halles, à nouveau un quartier commerçant mais situé dans la partie Est de la ville cette fois. Il s’agit d’un arrêt quasi obligatoire pour tous les marchands allant et venant sur la voie impériale Nord-Est. On y trouve par conséquent un grand marché situé dans un bâtiment ainsi que d’excellentes auberges et tavernes. Il est également possible d’y payer des services allant d’une protection par des mercenaires aux plaisirs charnels dans de bons établissements. Ce quartier a aussi la particularité d’avoir le plus grand nombre de résidents demi-elfe de toute la ville ce qui n’est généralement pas pour déplaire aux voyageurs de passages.

Les ateliers, un quartier artisanal spécialisé dans la production de biens à base de cuir et de matière textile situé dans la partie Ouest de la ville. Il ne possède pas de marché ou de place car les acheteurs ont davantage l’habitude de passer commande directement aux artisans. Ce quartier ne comporte que des tavernes et des entrepôts, en plus des ateliers et des résidences.

La vieille ville, c’est le plus ancien quartier de la cité. Il dispose toujours des remparts d’origine plus par désir d’immortaliser les débuts que par réelle utilité. Il est désormais principalement résidentiel avec quelques demeures de belle taille et comporte tout de même quelques commerces ainsi que le premier cimetière. Le manoir du duc dirigeant la province s’y trouve également. Ce quartier se situe au centre de la ville mais la plupart des voyageurs préfèrent éviter cette partie de la ville à cause de sa réputation devenant de plus en plus malsaine, en particulier autour des résidences abandonnées et du bordel.

Le quartier des mages est également un quartier résidentiel mais ayant la particularité d’être devenu une zone exclusive aux mages suite à l’arrivée de la lame ardente en ville. Ils s’agit du seul quartier pouvant accueillir les résidences et commerces de nature magique ou appartenant aux mages depuis que l’ordre religieux ait usé de son influence en ce sens. Il occupe la partie Sud Sud-Est de la ville et est adjacent à la citadelle de la lame ardente qui le surveille d’un œil inquisiteur tout en étant séparé par la route de la porte Sud.

La citadelle de la lame ardente, une place forte inexpugnable dédiée à la lutte contre les forces démoniaques, elle est par conséquent réservée aux seuls membres de l’ordre. Elle est suffisamment bien armée pour tenir un siège et même raser le reste de la ville si nécessaire. Ses défenseurs sont suffisamment fervents pour en arriver à ce malheureux extrême.

Les bas quartiers sont un regroupement de plusieurs petits quartiers résidentiels de qualité tout juste correcte pour survivre tout en proposant tous les commerces et services nécessaires à la vie des habitants en y incluant différentes sortes de plaisirs. Par ailleurs, certains établissements sont victimes d’une réputation des plus sombres et pourraient l’avoir largement mérité mais ils semblent, dans ce cas, bénéficier de la cécité de la garde urbaine. Ces bas quartiers sont logés dans la partie Nord-Ouest de Ledan, entre le quartier du petit marché et celui des halles.

La prison, ce n’est pas véritablement un quartier mais davantage une colline vierge de toute construction à l’exception du donjon surplombant le quartier des mages. Il est d’ailleurs coincé entre ce dernier et le quartier des halles. Il est courant d’y voir exposé les condamnés à mort après leur exécution et ce durant de longues périodes.

* * *

Comment fonctionne un voleur ? Il dérobe des biens de valeur et cherche à les revendre pour du profit mais il ne peut pas le faire dans la boutique d’à coté. Il a besoin d’un revendeur discret que le propriétaire du bien dérobé ne visitera jamais…

Steshin et Oronay s’étaient assis sur un muret servant à délimiter la place du marché en attendant de décider de la marche à suivre. Le premier avait un air pensif particulièrement marqué alors que le second jouait avec une pomme qu’il venait d’acheter tout en prenant une pose quelque peu étrange.

…Un revendeur qui pourrait avoir un autre métier comme couverture, artisan ou vendeur de bibelots par exemple. Si possible quelque chose que les gardes n’iraient pas inspecter. Hum… Peut être qu’une partie de la garde trempe également dedans… Je devrais peut-être creuser de ce côté là… Enfin le revendeur d’abord, bref, un endroit louche où personne ne voudrait fouiller…

Après de longues minuto, Steshin fut interrompu dans ses réflexions par une pomme tombant sur sa botte, il se souvint alors que le propriétaire de ce fruit était également un habile chasseur ou tout du moins un tueur professionnel. Ce qui ne l’incita pas vraiment à lui demander conseil en fin de compte.

-Comment faites-vous les varvarisho pour traquer quelqu’un ?
-Pour attraper une proie il est nécessaire de connaître ses habitudes, notamment comment elle se nourrit.
-Allons voir des commerces louches dans un endroit louche dans ce cas. Direction les bas quartiers.

Steshin se leva du muret, il s’épousseta le pantalon et il partit d’un pas sûr.

-C’est de l’autre côté !

Oronay le lui avait hurlé avant de mordre dans son fruit. L’espion repartit alors dans le sens indiqué, le visage légèrement fermé. Ce qui ne l’empêcha pas de lui lancer une parole à voix basse lorsqu’il passa à son niveau.

-La ferme…

* * *

Ils écumèrent les bas quartiers à la recherche d’un établissement susceptible d’abriter un marché noir et après une longue matinée ils finirent par trouver quelqu’un qui les guida à la boutique d’un boulanger, d’un lugubre boulanger. Même en milieu de journée il ne semblait pas y avoir âme qui vive à l’exception d’un employé particulièrement patibulaire qui pourrait très bien être une statue gardienne. Il toisa les nouveaux arrivants d’un œil sévère sans faire le moindre mouvement.

Ils traversèrent la cuisine inoccupée jusqu’à une arrière salle qui ressemblait d’avantage à la boutique d’un antiquaire d’objets maudits qu’à une salle de stockage. Des objets de nature diverse et variée étaient posés ici et là, certains semblaient avoir énormément de valeur. Ils furent accueillis par un homme d’âge moyen arborant un visage méfiant, il s’adressa à eux d’une voix claire, ce qui lui donna un côté quelque peu menaçant au vu de la pièce. Comme s’ils n’étaient plus que des souris dans un piège se refermant.

-Gudan messieurs, je ne pense pas que nous nous soyons déjà rencontrés. Vous êtes là pour ?
-Gudan monsieur, nous serions intéressés par quelques informations.
-Oh ! Et que voulez-vous savoir ? Je vous préviens, cela peut vous coûter très cher.

Le visage de l’homme s’éclaircit et il arborait désormais un air mi-amusé mi-curieux. Oronay préféra lui répondre avec une voix grave presque menaçante tout en affichant une mine patibulaire.

-Nous avons largement les moyens de payer.
-Nous voudrions savoir si…

L’espion fut interrompu par l’arrivée inopportune d’un jeune homme svelte qui entra dans la pièce d’un air triomphal, un petit sac bien garni dans la main droite.

-R’garde-moi ça ! Ça c’est une belle prise !
-Je suis en pleine affaire, attend dans la cuisine !

La réponse fut aussi sèche que du vieux parchemin. Le regard de Steshin se posa sur l’annulaire gauche du nouveau venu et il y remarqua une marque de brûlure bien étrange. Il se prépara à lui couper toute retraite lorsque les regards d’Oronay et du jeune homme se croisèrent. Sans perdre un instant le mage tenta d’assommer l’autre à mains nues mais son poing fut esquivé et finit dans une balance dorée posée sur une caisse. Ce jeune voleur fila à toute allure poursuivi par l’espion.

Après quelques rues, Steshin sentait qu’il ne pouvait gagner en terme de capacité physique face à ce filou chevronné. Il devait faire preuve d’ingéniosité dans sa course pour compenser l’écart qui se creusait régulièrement en empruntant de meilleures trajectoires tout en faisant attention à ne pas être leurré par sa cible. Cette poursuite traversa une petite partie des bas quartiers, jusqu’à ce que le voleur s’engouffre dans un tunnel d’égout traversant le quartier.

Désormais il n’était plus possible pour Steshin de rattraper sa cible autrement que par une ultime pointe de vitesse sur l’étroit passage séparant le mur du creuset central dans lequel s’écoulait les eaux usagées. Malgré l’odeur infecte venant de la coulée d’ordures et d’excréments qui s’écoulait le long du creuset et la faible luminosité, bien qu’existant grâce à de petites grilles disposées à intervalle régulier au plafond et donnant sur les rues, il parvint à gagner du terrain jusqu’à qu’il se prenne le pied dans une fissure au sol. Et, de par son élan, il glissa violemment sur quelques metro, jusqu’au croisement suivant et il finit entièrement trempé dans les ordures, une claque à son ego pour seule blessure.

* * *

Un frisson de dégoût parcourut le dos de Steshin, sa propre odeur était devenue si infecte qu’il avait l’impression de sentir ses narines brûler à chaque inspiration. Bien qu’ayant perdu la trace du voleur, il continua dans la même direction et finit par trouver une sortie après une petite marche.

Enfin une sortie ! Je n’en peux plus de cette odeur… De mon odeur… Voyons où est-ce que ça débouche… Hum… un rempart à l’intérieur de la ville, un manoir et quelques maisons… Hum… Ça doit être la vieille ville. Retour à l’auberge…

Il soupira avant de repartir d’un pas lent et lourd appuyé par un air abattu vers son lit qui l’attendait. Après quelques minuto, il remarqua un étang et jugea qu’il valait mieux sentir la vase que les ordures malgré le regard stupéfait, voire outré des passants. Il repartit ensuite en direction de l’auberge du même entrain maussade en laissant une auréole d’eau crasseuse dans l’étang, ce qui n’améliorera sans doute pas la réputation du quartier.

Il finit par rentrer à l’auberge après une marche qui lui sembla une éternité et fut à moitié surprit d’y retrouver son compagnon de route. Il remarqua que sa bourse avait légèrement gagné en volume.

-Alors cette chasse ?
-La ferme.

Il partit en direction de la salle des bains pour chasser sa répugnante odeur en laissant Oronay sans réponse précise.

Cette odeur est insoutenable, j’ai l’impression d’être un poisson mort. Cette journée est bien dans la continuité des précédentes… Pfff… Encore quelque chose qui a mal tourné et l’autre tire son épingle du jeu en se conduisant comme une brute… Pfff… Je dois être maudit. Je ne vois pas d’autre explication. Pfff…

Après qu’il eut enfin réussi à faire disparaître les dernières traces de ses mésaventures à grand coup d’eau et de savon, il retourna dans sa chambre et s’allongea sur son lit sans même prêter attention au mage-guerrier.

-Ça s’est terminé comment ?

Le varvarish n’eut droit qu’à un grognement irrité pour réponse mais cela ne lui convenait pas.

-Tu as bien dû apprendre quelque chose non ?

Il eut un grognement plus qu’irrité suivi d’un soupir pour nouvelle réponse. Cette fois-ci il comprit qu’il n’obtiendrait rien de plus.

-Tais-toi imbécile.

La journée se termina sans autre parole, l’air alourdi par une tension presque palpable entre les deux hommes.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, Dixhuitième dan d’Arntayo

Steshin se réveilla en premier et préféra rester allongé en silence dans la pénombre, sur son lit, pour profiter au mieux du silence nocturne enveloppant chaleureusement son humeur maussade due à ses récents déboires. Le réveil de son compagnon de route ne fit que le plonger davantage dans sa mélancolie.

Après un repas avalé sans le moindre entrain, ils prirent le chemin de la vieille ville et ils interrogèrent des mendiants de façon plus ou moins ” courtoise “. Malgré l’ignorance de ces derniers sur le sujet qui intéressait les deux ex-comploteurs, l’un d’eux finit par donner une piste intéressante. Apparemment une ancienne demeure, abandonnée de longue date qui plus est, est souvent visitée par de louches individus. Ils décidèrent alors de visiter cette demeure mais de nuit. En attendant, ils préférèrent attendre à l’auberge pour prendre un peu plus de repos avec un éventuel combat.

La nuit arrivant, ils prirent alors la route de cette bâtisse délabrée située dans le vieux quartier de Ledan. En passant le corps de garde marquant la séparation entre le bourg originel et l’un des quartiers construits autour ultérieurement, Steshin et Oronay plus particulièrement furent toisés avec insistance par quatre fantassins de la lame ardente n’appréciant visiblement guère les mages. Mais leur mépris n’était pas suffisant pour les arrêter ou peut-être ne le pouvaient-ils pas. La présence en ville de ce genre de troupes n’était en rien rassurante…

Si la garde urbaine s’en remet à la lame pour une partie de la surveillance de la ville c’est que le sénéchal du duc a dû perdre en influence auprès de son maître. Sans doute son incapacité à éradiquer la guilde des voleurs y est pour quelque chose. Intéressant. Hum… Donc l’ordre de la lame ardente a dû en profiter pour augmenter son autorité dans le duché. D’où la présence de leur forteresse, qui au vu de son ancienneté probable ne doit posséder pour seule défense que le mur d’origine délimitant le quartier adjacent. Maintenant leur objectif doit être de placer totalement le duc sous leur coupe.

En avançant dans le quartier, Steshin aperçut ce qu’il aurait dû remarquer la première fois qu’il y mit les pieds. Il vit un corps de garde et un mur cerclant ce qui semblait être une colline, les deux étaient couverts de bannières affichant une lame flamboyante sur fond rouge écarlate, l’emblème de l’ordre sacré de la lame ardente.

En continuant, il aperçut au détour d’une rue l’étang dans lequel il s’était nettoyé après son léger incident de la veille. Il prit alors conscience qu’il n’avait pas débouché dans ce quartier par hasard. Bien que distant de plusieurs rues les uns des autres, le tunnel des égouts, l’étang et sa cible actuelle sont plutôt bien alignés d’une certaine manière. Les égouts assurant une fuite rapide et l’étang pouvant servir de cachette pour des biens volés, à condition qu’ils ne craignent pas l’eau.

Steshin sortit de ses réflexions après un coup de coude de la part d’Oronay. Ce dernier fit un mouvement de tête en direction d’une bâtisse tombant quasiment en ruine et appuya son mouvement d’une question.

-Est-ce qu’on est au bon endroit ?

Steshin lui répondit après un petit temps d’hésitation en se basant sur la description du mendiant.

-Il n’y a qu’un moyen de réellement savoir.

Oronay prit alors son bâton de mage et avança d’un pas décidé jusqu’à ce qu’il soit stoppé par un bras bien familier et une voix l’interrogeant sur un ton inquiet.

-Où vas-tu comme ça ?
-Enfoncer la porte. Et voir qui y vit.

Il avait répondu d’un ton ferme dénotant une parfaite assurance dans ses capacités.

La rue dans laquelle ils se tenaient était baignée dans les ténèbres nocturnes d’un ciel nuageux laissant transparaître par moment quelques rayons de la Mona. On n’y entendait que les cris d’une fille de joie faisant son office dans l’une des chambres d’une demeure proche, probablement un bordel distingué mais discret au vu des demeures voisines. Après ces quelques setoio passées sans parole et sans mouvement, Steshin reprit la parole.

-Si c’est bel et bien la bâtisse, alors ils doivent s’attendre à une arrivée en force. De la garde par exemple.

Oronay comprit le raisonnement et les implications qui en découlaient. Il sembla alors moins empressé à l’idée de se jeter dans la gueule du loup. Son compagnon en profita pour renchérir quelque peu.

-Nous ferions mieux de nous trouver une cachette pour observer les environs et préparer un plan.

Ils eurent à peine le temps de se jeter derrière un muret de pierre, vestige d’une ancienne délimitation de parcelle servant encore à indiquer aux passants où ne pas poser les pieds. Ils faillirent se faire prendre par de curieux personnages errant en ville tard la nuit en longeant les murs sans être aussi silencieux qu’ils le pensaient. Toutes ces personnes se réunirent dans l’arrière-cour de la demeure cible. Tout d’abord un homme d’une stature moyenne qui se tenait en son centre puis quatre autres individus aux apparences plus diverses mais affichant toute la même spécificité, elles venaient toutes d’un milieu très pauvre. Ces quatre silhouettes semblaient recevoir des instructions de la première mais elles étaient trop éloignées pour que leur conversation soit audible par Steshin ou Oronay. À la fin de cet échange long et suspect les quatre ombres se dispersèrent et disparurent dans la nuit alors que la première resta quelques instants, scrutant les environs avant de se diriger vers la bâtisse par la porte arrière. Il jeta un rapide coup d’œil par dessus son épaule et il s’y engouffra comme s’il n’avait jamais été là.

Oronay fit un signe de tête à Steshin, lui signifiant qu’il allait tenter de prendre d’assaut la demeure. Ils se dirigèrent alors le plus discrètement possible vers leur objectif et ils se plaquèrent de chaque côté de la porte arrière. Steshin sentait son coeur battre à tout rompre, il sentait une sorte d’euphorie poindre dans ses membres, tout en n’étant pas rassuré à l’idée de devoir s’enfoncer dans un lieu inconnu fait de bois avec un mage-guerrier pyromane. Sa dague constituera sa seule protection et une bien mince qui plus est. Oronay, quant à lui, affichait un sourire carnassier avant d’ouvrir la porte violemment et d’entrer tel une tornade d’acier. Son compagnon lui emboîta le pas à l’aveugle prêt à esquiver une attaque perdue.

En avant ! C’est eux ou nous !

À l’intérieur, l’éclairage était assuré par quelques trop rares rayons de Mona parvenant à se glisser à travers de minuscules ouvertures dans les murs, entre les planches barricadant certaines fenêtres et au travers de lourds rideaux non rapiécés servant d’isolation derrière ces mêmes planches. De l’intérieur cette demeure paraissait si lugubre, presque oppressante avec toutes ces ombres informes et le bois craquant sous chaque pas des deux assaillants. Leurs yeux s’habituèrent, leurs pupilles se dilatèrent rapidement grâce à l’adrénaline et celles de Steshin s’agrandirent légèrement plus que la normale. Ce dernier aperçut une silhouette solitaire et profita du manque d’attention sur sa personne pour le neutraliser en lui plaçant sa dague sous la gorge, Oronay eut juste le temps de stopper sa charge manquant de percuter son compagnon de route par accident. Ce qui ne l’empêcha pas de placer un magnifique crochet dans la mâchoire de l’individu.

Quelques instants plus tard, leur victime était violemment jetée sur une chaise par un certain mage-guerrier bien décidé à le faire parler. Il commença par lui écraser la main entre le dessus d’une table et l’embout de son bâton de mage qui en avait déjà vu d’autres à première vue. Le prisonnier se retint de hurler, il ne voulait pas accorder ce plaisir à ce sauvage sadique d’outre-mer. Oronay lui mit alors un chiffon dans la bouche afin d’étouffer ses cris de douleurs car visiblement il savait ce qu’il faisait.

Pendant ce temps Steshin examinait la pièce, les meubles empoussiérés comme si personne n’était venu depuis des lustres. Mais c’était faux, bel et bien faux. Une armoire attira son attention et il s’en approcha doucement comme si celle-ci allait le dévorer. Il l’examina attentivement afin de trouver un éventuel piège puis concluant qu’elle n’en comportait aucun, il l’ouvrit calmement. Elle ne fit aucun bruit comme si quelqu’un avait pris soin de graisser ses gonds régulièrement. Ou plutôt, une certaine personne qui ne voulait pas attirer l’attention l’avait effectivement fait. Il s’arrêta net lorsqu’il fut surprit par un hurlement étouffé, il se retourna alors en un éclair et sortit de nouveau sa dague, prêt à frapper mais ne vit que le pauvre hère se faire arracher les ongles un à un par Oronay.

Du calme… Tant qu’il n’y a pas de fumée, il ne devrait pas y avoir de problème. J’espère tout du moins. Par contre, j’espère ne jamais être interrogé par ce varvarish car il a l’air de trop s’y connaître.

Oronay retira le chiffon et s’exclama d’une voix autoritaire et menaçante.

-Parle, vermine !

Sa victime martyrisée ne put lui répondre que d’un ton implorant et pitoyable.

-De quoi ? Vous n’avez même pas posé de questions ! Pourquoi me faites-vous cela ? Je ne suis qu’un simple mendiant vivant dans cette ruine. Pitié ne me faites pas de mal…

Ces derniers mots s’étouffèrent dans un sanglot. Oronay lui brisa alors le majeur de la main gauche pour lui signifier qu’il ne croyait en rien à son histoire, provoquant par la même un hurlement. L’homme reprit alors de plus belle.

-D’accord, j’ai volé ces vêtements à un soûlard mais j’avais froid !

Pour toute réponse, Oronay lui brisa l’annulaire de la même main. Il n’était visiblement pas très satisfait des réponses de sa victime.

Steshin détourna le regard légèrement dégoûté et reprit sa fouille de l’armoire qui l’intéressait tant. Ce fut plus qu’il n’en fallait pour confondre l’individu en vérité. Un linge enroulé, un arc de bonne qualité et quelques flèches bien étranges s’y trouvaient. Elles étaient un peu trop lourdes dans la main à cause de l’épais corps de la pointe et de plus elles possédaient une corde à l’extrémité de la pointe. Il appela alors son compère au moment où il brisa successivement l’auriculaire et l’index de sa victime, arrachant cette fois des gémissements et des sanglots.

-Regarde ce que j’ai là. Un arc de bonne facture et des flèches un peu spéciales. Et même du matériel de crochetage dans ce morceau de tissu.

Oronay, qui regardait attentivement l’attirail dans les mains de Steshin, agrippa fermement la main gauche de son nouvel ” ami ” d’une main pour lui briser le pouce avec son autre main dans un son qui sembla dilater le temps lui-même. Et lorsqu’il reprit son cours, Oronay avait le visage quasiment collé à celui de son malencontreux prisonnier.

L’expression faciale de ce dernier changea du tout au tout, ses sourcils se froncèrent, sa mâchoire se serra et il n’y avait en définitive plus une once de peur dessus. Oronay regarda par réflexe le sol lorsqu’il entendit quelque chose de lourd tomber et se briser dessus puis se prit une pleine bouffée d’une épaisse fumée blanche. Celle-ci envahit rapidement toute la pièce. L’homme assis en profita pour bousculer son tortionnaire et fila en direction de la porte de devant qui ne lui opposa aucune résistance. Il courut vite, très vite, comme si l’Elad tout entier en avait après lui. Oronay devina rapidement son stratagème, un assez simple en vérité, et le prit en chasse les yeux en larmes et les narines brûlantes. Steshin quant à lui jeta sur le côté ce qui lui encombrait les bras à l’exception de l’arc et d’une unique flèche, les autres l’auraient gêné pour l’instant. Il se lança dans la chasse.

Une fois dehors, il constata qu’Oronay courrait très vite lorsqu’il était furieux et que sa proie était si paniquée qu’elle en oubliait de prendre le temps de rendre la poursuite la plus pénible possible pour son prédateur, ou peut-être est-ce justement quelque chose qui la sauve pour le moment. Steshin ne réfléchit pas davantage, il banda son nouvel arc et tira le plus loin possible devant lui en espérant que son unique tir portera. La flèche ne monta pas très haut et tomba lourdement vers le sol, elle pointa entre les jambes de sa cible et fit un bruit métallique en percutant un pavé. Steshin avait raté sa cible de peu d’après le son mais celle-ci tomba brusquement à la renverse.

Lorsqu’il rejoint le fuyard, Steshin vit qu’il n’avait pas tant raté que ça son tir. La lourde tête de la flèche s’était déployée à l’impact en quatre griffes d’acier dont deux étaient profondément plantées dans le mollet de l’homme qui se faisait présentement refaire la mâchoire par Oronay, gratuitement en plus. Ce dernier le sonna, lui brisa la main droite, arracha le grappin de sa jambe sans la moindre considération, le mit sur son épaule et l’emmena dans la bâtisse qu’ils venaient de quitter en compagnie de l’espion.

-Monte la garde. Je m’occupe de lui faire cracher ce qu’il sait.

De l’extérieur, Steshin entendit des cris étouffés, quelques sanglots et de nombreuses supplications incompréhensibles. Bien différentes cette fois, leur hôte avait finalement atteint ses limites.

Il doit lui faire vivre la pire nuit de son existence. D’un autre côté il l’a bien cherché. Comme ces deux gamins au village ? Non, c’est différent ! Celui-là est un professionnel qui savait à quoi s’attendre ! Pas un enfant qui s’ennuyait dans sa campagne… Est-ce vraiment une raison ? Non mais je ne peux pas non plus…

-M’apitoyer sur toute la misère du monde. La vie est dure, c’est comme ça.

Il termina cette phrase tout bas lorsqu’il sortit de ses pensées qui le torturaient.

-Tu disais quelque chose ?

Steshin regarda surpris le guerrier, son regard passa rapidement de son visage à ses mains car elles étaient couvertes de sang, de beaucoup de sang. Puis son regard repassa à son visage et il parvint à articuler une réponse.

-Rien, je me disais juste que la nuit est plutôt fraîche.
-Trop chaude à mon goût, chez moi il fait bien plus froid en ce moment.
-Il a parlé ?
-Il m’a dit où chercher ses compagnons.
-Comment va t-il ?
-Mort.

Il l’annonça sèchement. Steshin sentit cela comme un couperet s’abattant mais il s’y attendait.

Si il existe une quelconque divinité ici bas, qu’elle ait pitié de son âme après cette discussion.

Ils repartirent tout deux en direction de leur auberge, cela déplaira au patron de devoir leur ouvrir si tard mais tant pis. Ils étaient trop épuisés pour s’en soucier.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, dixneuvième dan d’Arntayo

-Alors ? Qu’a t-il dit sur ses compagnons ?
-Ils ont l’habitude de se réunir dans une taverne des bas quartiers. C’est à moitié une maison de passe.

Il avala une bouchée de pain trempé dans le potage aux légumes avant de poursuivre.

-Apparemment, ils y sont souvent mais il ne m’a pas dit quand précisément. Je propose qu’on y aille et qu’on improvise sur place.

Steshin approuva d’un simple signe de tête et finit son repas tranquillement.

Plus vite nous en aurons fini, plus vite je pourrai me séparer de lui. Mais son plan est trop direct… Mais je n’ai pas mieux à proposer, compte tenu du lieu… Au pire, nous ne risquons pas de mourir, normalement. Leur credo leur interdit. J’espère qu’ils le suivent fidèlement.

Ils partirent nonchalamment en direction des bas-quartiers sous le regard épuisé et rancunier de l’aubergiste qui leur avait ouvert au milieu de la nuit.

* * *

Après une petite marche ils arrivèrent là où débute la partie malfamée de la cité et la plus pauvre également. Cela était évident pour tout un chacun au vu de l’état de décrépitude générale des lieux, les seules routes pavées étant celles reliant les différentes parties du quartier alors que les autres ne sont rien de plus que des chemins de terre battue serpentant entre des structures aux murs abîmés et souvent réparés à la va-vite avec quelques planches ou même tout ce qui traînait pouvant faire l’affaire. De plus, aucun garde n’était visible ce qui n’avait rien de rassurant mais rien d’étonnant non plus.

Steshin et Oronay descendirent un étroit escalier d’une dizaine de marches avant de poser les pieds dans un mélange odorant de boue et de paille. Ils étaient désormais bel et bien en territoire hostile. En s’enfonçant dans le quartier ils ne virent que la misère. Des coupe-jarrets se regardant en chien de faïence, des mendiants quasi-squelettiques et souffreteux, une enfant s’essayant au larcin rouée de coups par une brute, les filles de joie faisant le bonheur des truands dans les ruelles en plein dan, parfois à même ce sol répugnant, et bien entendu que serait un quartier abandonné par les autorités locales sans ses hordes de rats couinant accompagnés des douces odeurs de détritus en décomposition. L’estomac de Steshin se retournait à la vue d’une telle désolation, il serrait la mâchoire de colère au point de lui en faire mal mais parvint tout de même à demander son chemin à la première personne qui ne sembla pas représenter un quelconque danger afin d’en finir le plus rapidement possible.

* * *

Ils finirent par arriver à destination et, étonnamment, une taverne servant de lieu de rassemblement à une guilde criminelle comportait des jeux d’argent, ainsi qu’un étage dédié aux plaisirs de la chair. Même les filles de salle se montraient aguicheuses ou peut-être qu’elles accomplissaient les deux tâches. Au moins, le lieu était relativement propre.

Steshin se dirigea naturellement vers le bar de l’établissement alors qu’Oronay se plaça en sentinelle quelques metro derrière pour surgir sur un éventuel assaillant.

-Alors quel vent amène c’bon seigneur dans mon humble établissement ?

Le tavernier marqua une légère pause au cas où son interlocuteur aurait une envie particulière.

-Le frisson des cartes peut-être ? Ou alors la perspective de pouvoir s’encanailler avec l’une de mes charmantes filles ?

Il termina sa phrase avec un sourire narquois tout en essuyant une chope de terre cuite. Steshin lui répondit alors sur un ton dédaigneux de citadin aisé qu’il n’était pas.

-Je me sens d’humeur joueuse aujourd’hui mais je suis avant tout venu m’entretenir avec quelqu’un.
-Oh ho ! Et qui pourriez-vous bien chercher par ici ?

Steshin reprit d’une voix plus basse et bien plus sérieuse pour ce genre d’affaire.

-Je cherche un ” associé ” ayant des talents pour s’approprier des fonds en toute discrétion.

L’homme qu’il avait en face pointa du menton une table située dans un coin un peu à l’écart de la salle principale.

-Je pense que c’est votre ” associé ” assis à cette table.

Steshin le remercia avec une sunsa, une pièce de bronze, et s’approcha de la table en question.

Une table de jeu, quatre joueurs, une cible. Une approche brutale serait trop risquée, même avec le guerrier pour le soutenir. Jouer la sympathie était donc la meilleure option pour l’instant. Il s’installa à la seule place libre avec un sourire accroché aux lèvres, le plus innocemment du monde au beau milieu d’une partie. Il sentit l’air devenir électrique, les autres joueurs ne le voulaient pas à leur table, leur regard ne trompait pas là-dessus. Au vu de leur réaction, il ne s’était pas trompé de cible, il en était persuadé. Maintenant il doit créer une ouverture pour le capturer même si la taverne pourrait bien être ravagée dans le feu de l’action et dans le feu tout court. Celui-ci s’adressa à lui une fois la partie terminée sans lui prêter le moindre regard avec une voix légèrement chevrotante.

-J’espère que tu as d’quoi payer voyageur. Je n’accepterai pas de bouts de papier comme monnaie, je ne veux que du palpable.

Steshin plaça une siregy en argent sur la table en guise de réponse. Il s’agissait là d’une somme pour le moins conséquente, frappée avec le sceau d’un royaume et valant vingt et une sunsao en bronze. Avec une telle pièce il était possible de s’offrir des mets de luxe ou bien de se nourrir raisonnablement pendant dix dano. Pour un tel jeu il s’agissait d’une mise excessivement élevée. Son interlocuteur sourit également en retour et mélangea les ” cartes “. Steshin prit alors la parole innocemment.

-Je ne connais pas les règles de ce jeu, pourriez-vous me les expliquer ?

L’un des joueurs ria et commenta qu’il était bien téméraire. Une femme, une demi-elfe plutôt, entreprit de lui apprendre rapidement les règles du voleur de Ledan.

Les règles sont plutôt simples. On commence la partie avec cinq cartes en main et une mise de départ. À chaque tour, tous les joueurs peuvent poser face cachée un certain nombre de cartes, entre zéro et toutes celles leur restant dans la main, avant de les dévoiler en même temps que les autres joueurs. Chacun d’entre eux additionne les valeurs de ses cartes et celui qui a le plus gros score remporte la manche et un cinquième de la mise de chaque autre joueur qu’il ajoute à sa propre mise. Bien entendu, la carte ayant la plus haute valeur est le voleur présent en seulement deux exemplaires. Cet atout permet de remporter une manche peu importe le score des autres. Ce jeu de cartes se joue habituellement avec des cartes simples et l’une d’entre elles, souvent celle de valeur une, est désignée pour être le voleur. Malheureusement, ou pas, ce jeu est interdit par l’ordre sacré de la lame ardente, comme tout les jeux d’argent par ailleurs, et est également mal vu des honnêtes gens car la triche y est autorisée tant qu’on ne se fait pas prendre sur le fait. Il n’y a donc rien d’anormal à ce que chaque joueur dispose de cartes ” supplémentaires ” dans ses manches. La façon de régler les litiges est laissée aux bons soins des joueurs ce qui finit souvent par rendre nécessaire un certain cadre.

La table de Steshin ne possédait pas de jeu de cartes digne de ce nom, mais de simples morceaux de bois avec des valeurs gravées grossièrement dessus. Le résultat était bien loin du travail soigné des nains ou de l’esthétisme des elfes.

Ce jeu a l’air plutôt simple, je devrais pouvoir m’en sortir. De toute façon je n’ai pas besoin de gagner, juste de collecter des informations et gagner un minimum de sympathie pour attraper ce larron. Et pour ça, rien de tel que quelques échanges d’argent.

Placement des mises. On remplaça la siregy de Steshin par vingt pièces noircie en bronze du duché de Ledan et on lui rendit la monnaie, deux sunsao, ça ne correspondait sans doute pas exactement à la valeur de sa pièce mais il ne releva pas. Les pièces de Ledan avaient été introduites par le duc de ce duché il y a une décennie à peine pour signifier la puissance économique de son duché et surtout de Ledan en tant que carrefour commercial au croisement de la voie impériale Nord-Est et du fleuve Loshy. La première voie relie Kapirsky, la capitale impériale, à Pavan la capitale elfique et la seconde voie est un axe fluvial particulièrement important pour le transport de biens entre le Nord et le Sud du continent tout en passant par la capitale, bien entendu. Naturellement ces pièces avaient moins de valeur que celles du royaume dont dépendait ce duché mais elles étaient tout de même une importante marque de prestige pour le duc.

Celui qui avait accueilli presque sèchement Steshin et qui semblait être le chef de table, un homme grand avec le regard désabusé et des doigts couverts de cicatrices, distribua les ” cartes ” à chaque joueur.

Un cinq, deux quatre, un vingt et un voleur. Pas mal, j’ai un atout. Commençons petit pour voir.

Steshin posa le quatre face cachée et profita du très court temps de réflexion des autres pour observer la demi-elfe. Son visage était mince avec des angles osseux et des traits fins, des oreilles à peines plus grandes que celles d’une humaine normale et enfin un regard clair témoignant d’une belle vivacité d’esprit. Néanmoins elle était très mince et plutôt petite même pour une demi-elfe, signe d’une alimentation limitée. Lequel de ses deux parents était d’origine humaine ? Lequel était d’origine elfique ? La principale intéressée remarqua le regard de Steshin et eu un léger sourire en coin disant ” N’y compte même pas “. L’un des deux autres joueurs remporta la manche avec un sept, il resta de marbre en tirant son gain de seize pièces à lui. Steshin ne put s’empêcher de lui jeter un regard et il n’affichait que le visage grave d’un trentenaire en assez bonne forme physique malgré la cicatrice d’une profonde entaille à la joue gauche allant du coin de la lèvre au coin de l’œil, prouvant qu’il a eu une vie mouvementée jusque là.

Cette fois, jouons la sécurité en ne jouant pas du tout histoire de rafler plus au prochain tour.

Cette fois-ci, ce fut le balafré qui joua en premier en posant deux cartes pour un total cumulé de neuf. Tous les autres participants jouèrent et ce fut le chef de table qui l’emporta avec un vingt et il récupéra ainsi seize pièces. Il passa en tête du classement. Ce tour-ci Steshin se sentit plus téméraire et après que le vainqueur précédent retourna un quinze, il dévoila son vingt et son cinq qui lui assurèrent la victoire faisant passer son total de pièces à vingt-neuf.

Ils n’ont plus qu’une ou deux cartes chacun, c’est le moment de jouer mon va-tout.

En tant que vainqueur précédent, Steshin dévoila sa carte en premier et l’apparition du voleur fit son effet, la demi-elfe siffla légèrement signifiant ainsi ” Bien joué, tu as de la chance ! “. Le balafré ne broncha même pas, au vu de son deux c’est compréhensible. Le jeunot auquel il avait à peine accordé de l’attention rit nerveusement. La victoire tendait les bras à Steshin, son plan se déroulait sans accroc jusqu’à que le chef de table dévoile une paire de voleur avec un sourire carnassier, Steshin prit alors un air mécontent et surpris.

C’est impossible ! Il ne peut y en avoir trois, il a triché ! Mais à quel moment ? Je pensais avoir fait suffisamment attention !

La demi-elfe plaça un poignard sous la gorge de Steshin soutenant sa menace d’un regard féroce. Le chef de table tapa des mains avec un petit rire avant d’entamer la conversation sur un ton menaçant.

-Tu ne pensais pas pouvoir nous attraper si facilement, si ?
-Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

Steshin l’affirma avec autant d’aplomb qu’il était possible d’en avoir dans sa situation. Mais avec un étrange sourire mêlant l’excitation, le défi et un certain malaise. Le sourire de son interlocuteur s’intensifia légèrement, signe qu’il avait déjà remporté le défi lancé. Il fit un mouvement du menton en direction du jeunot. Steshin tourna lentement la tête en direction de celui-ci et ne comprit pas immédiatement où il voulait en venir. Il le regarda intensément jusqu’à qu’il se souvienne, c’était le voleur qu’il avait poursuivi dans les égouts l’avant-veille. Il regarda de nouveau en direction du chef avec un air embarrassé.

Je suis mal, très mal. Où est l’autre brute ? Il serait bien utile maintenant ! Comment me sortir de ce guêpier ?

Le chef reprit la parole d’un air triomphant comme si la situation était sous son contrôle total.

-Inutile de penser à appeler de l’aide. Tu es fais comme un rat.
-Il n’y a que moi ici présent.
-Ton ami est quelque peu occupé derrière toi.

Ce n’est pas mon ami ! Et il l’a repéré, pas vraiment étonnant en fait.

Le chef fit oui de la tête, Steshin tourna alors la tête et vit une scène parfaitement surréaliste. Le varvarish qui n’hésitait pourtant pas à brûler des gens vifs, à en torturer d’autres et qui y prenait un malin plaisir, était présentement comme paralysé par trois femmes qui se collaient à lui. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce tueur froid et insensible ne savait comment réagir face à trois filles de joie trop avenantes et c’est à peine s’il était capable de leur parler sans bégayer ou de les toucher sans trembler. Steshin entendit susurrer à son oreille.

-Un geste de travers et il se videra de son sang bien à l’abri des regards.

Il se tourna en direction de son principal interlocuteur et lança une affirmation avec assurance.

-Vous êtes membres de la guilde des voleurs, votre credo vous interdit de tuer. Donc vous ne lui ferez rien, tout du moins rien qui puisse le tuer.

Le chef lui répondit immédiatement avec autant d’assurance mais d’une façon plus macabre.

-Nous, non en effet, mais elles c’est une autre histoire. Elles sont habituées à devoir se défendre toutes seules.

Il marqua un temps d’arrêt avant de reprendre avec toujours autant d’aplomb.

-Cessons de tourner autour du pot. En tant que guilde des voleurs nous ne tuons pas certes, mais nous ne nous laissons pas marcher sur les pieds pour autant. Je sais pertinemment que vous en avez après la prime et comme vous avez l’air un peu plus malin que les chasseurs habituels, d’autant plus que vous nous avez bien divertis aujourd’hui, je me contenterai d’un avertissement pour cette fois. Cessez de nous traquer ou vous finirez le fondement à l’air dans une fosse à cochon… Si vous avez de la chance.

Il marqua ses derniers mots d’un regard sévère et déterminé digne de sa supposée position au sein de la guilde.

-Si c’est suffisamment clair, vous pouvez retourner à votre auberge et réfléchir à votre avenir.

Steshin fit oui de la tête et la demi-elfe retira le couteau. Au moment de repartir avec ses gains, le chef précisa une dernière chose.

-Nous gardons votre mise bien entendu, mon bon seigneur.

Il termina cette phrase avec une ironie bien marquée. Steshin quitta la taverne dépité avant d’être rejoint par un Oronay déçu du résultat lui demandant ce qui s’était passé. Il lui apporta alors une réponse sèche.

-J’étais à deux doigts de me faire égorger pendant que tu badinais avec ces filles.
-Je ne badinais pas !
-Bref, on ne fait pas le poids pour les éliminer ne serait-ce qu’en partie visiblement. Ils ont une organisation assez solide pour des criminels de bas étage. Et ils sont doués.

Ils marchèrent jusqu’à leur auberge dans un silence de mort jusqu’à ce que Steshin le brise en passant devant un poste de garde.

-Tu as récupéré le doigt sur le gars que tu as interrogé ?

Oronay pouffa légèrement avant de le lui tendre fièrement tel un précieux trophée.

-Évidemment !

Steshin sourit légèrement, mi-amusé et mi-triste à la fois après ces mauvaises aventures.

-Nous n’avons pas perdu notre dan au moins.

Ils firent un crochet par le responsable des primes avant de rentrer se reposer après une chasse à l’homme infructueuse.

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