Quelques dano pour les petites frappes, des monaso pour les petits larcins avec visites régulières chez le bourreau et la corde pour les meurtriers et les membres de la guilde. Il est important de faire des exemples de cette vermine pour éviter qu’elle prolifère.
-Sénéchal de Ledan
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-cinquième dan d’Arntayo
Oronay et Steshin dépensèrent le contenu de la bourse du mage tué l’avant-veille en copieux repas afin de fêter leur survie comme il se doit dans leur auberge. Plus que quelques pièces d’argent et ils pourraient partir l’esprit tranquille mais rien de bien intéressant ne s’était présenté. En soi, rien d’étonnant pour une ville importante et carrefour commercial tenaillé entre un syndicat du crime, l’autorité ducale faiblissante mais présente et une citadelle de la lame ardente. Le travail était présent mais d’une toute autre envergure et ils n’y avaient pas accès la plupart du temps.
Un homme sortit de nul part habillé simplement mais à l’allure soigné s’assit à côté d’eux sans crier gare et brisa le silence.
-Il se dit que vous êtes à la recherche d’une tâche à accomplir contre rémunération.
-Ça dépend de qui le dit.
Oronay avait répondu en un instant, naturellement, sans pour autant lâcher des yeux son repas. L’homme, sans être décontenancé, reprit de plus belle.
-Mon maître a appris par l’intermédiaire de maître Artiny que vous étiez à louer, fiable et d’une certaine efficacité.
-C’est pas faux. Ton maître nous propose combien et pour faire quoi ?
Oronay fixait désormais l’individu droit dans les yeux. Celui-ci sourit avant d’enchaîner.
-Je suis certain que vous apprécierez.
* * *
Steshin décocha une des flèches grappins qu’il venait d’emprunter dans la vieille demeure de la guilde des voleurs qu’ils avaient visitées quelques dano plus tôt. La flèche retomba trop tôt et finit sa course au sol avec un son métallique retentissant.
Ces flèches volent encore plus mal que je ne le pensais. Il faut que je compense davantage leur poids.
Le second tir fut plus réussi et la flèche parvint à se fixer sur un rebord. Oronay vérifia l’attache et grimpa à la corde attachée à la flèche.
Permettre à l’autre de grimper à l’étage de l’entrepôt en pleine nuit. Le laisser se battre avec les deux gardes. Profiter de la confusion pour forcer la porte de devant. Récupérer le colis et sortir. Un plan simple pour un larcin bien rémunéré. Il y aura forcément un hic quelque part. C’est trop bien payé pour quelque chose d’aussi simple. Ça va être une longue nuit…
Le temps que Steshin finisse sa réflexion, on entendait déjà Oronay se battre. Il prit alors le chemin de la porte de devant. Un garde était en train d’ouvrir la porte avec ses clés mais…
Un troisième garde, un de trop par rapport à ce qui était annoncé. Les imprévus commencent.
…Ne fut plus un problème dès lors que sa gorge fut tranchée par la dague de Steshin. Fort heureusement la porte ensanglantée était déverrouillée, inutile donc de se salir les mains pour le moment. À l’intérieur, les deux gardes étaient aux prises avec Oronay, ou plutôt un et demi. Le premier luttant pied à pied armé d’une épée courte au sommet de l’escalier menant à l’étage par lequel Oronay était arrivé. Le second, quant à lui, tentait péniblement d’aider avec une sorte de perche mais il était gêné par son compère. À part ce semblant de combat, assez comique par moment, Steshin remarqua que l’entrepôt avait quelque chose d’anormal. Tout bâtiment de ce genre, qui n’est pas conçu pour être agréable à vivre, est généralement assez sombre. Celui-ci était très lumineux en pleine nuit. Il leva les yeux et…
Et bien pour la discrétion on repassera un autre dan.
…Vit que le toit s’était embrasé. Il se mit à fouiller les différends rangements avec empressement. L’incendie prenait de l’ampleur, une fumée noire et épaisse s’amoncelait contre le toit et les flammes léchaient les poutres en bois de la charpente. Steshin trouva enfin son objectif lorsqu’il vit le sol se rapprocher brutalement et sentit sa tête cogner contre une planche en bois renforcée d’acier appartenant à un coffre. Il fut sonné quelques instants et se releva avec peine en s’appuyant sur ce qu’il pouvait. Une fois debout il constata qu’il avait reçus un garde, celui avec l’épée courte. Il avait basculé depuis l’étage, sans doute par l’action d’Oronay.
La chute avait fait tomber un coffret, étalant son contenu ça et là. À cette vision, Steshin gagna des ailes. Ce qu’ils étaient venus chercher se trouva parmi d’autres bibelots, une chevalière avec un animal difforme dessus, si c’était bel et bien un animal. La gravure manquait cruellement de finesse pour en être certain. Steshin la ramassa et siffla en direction d’Oronay pour l’avertir du départ avant de filer.
Celui-ci était en train de s’amuser avec le garde malhabile parmi les flammes qu’il faisait danser. Il attrapa la perche, jeta un œil en direction de son compagnon et comprit qu’il était grand temps de s’en aller. Il tira à lui le garde grâce à la perche et lui embrasa le torse d’un contact de la main, épuisant par la même ses dernières réserves de puissance magique. Cela l’épuisa fortement au niveau du mental mais ne l’empêcha pas pour autant de mettre à exécution la suite du plan. Oronay s’échappa comme il était entré grâce à la flèche grappin. Le toit s’effondra peu après leur départ.
Tous deux étaient séparés mais tous deux entendirent la garde urbaine arriver promptement. Steshin sentait une gêne dans sa jambe mais l’adrénaline, la peur et le désir de liberté l’empêchait d’y penser. En jetant un regard à un croisement, il vit Oronay s’étaler de tout son long dans une rue parallèle. Il fut encerclé par des gardes armés de hallebardes et certain le rouèrent de coups. Mais Steshin continua sans se retourner vers le lieu de rendez-vous avec le commanditaire.
* * *
J’ai la récompense et bien assez de monnaie pour m’en sortir. Je n’ai plus qu’à partir loin d’ici avec la première caravane. Et je n’aurais plus à supporter l’autre tortionnaire avec ça !
Maintenant que l’excitation était retombée, sa jambe rappela Steshin à l’ordre. Il ne pouvait plus s’appuyer dessus sans ressentir une immense douleur.
Et merde ! La blessure est grave ! Je vais rester bloqué ici de nombreux dano si je ne compte que sur mon organisme pour soigner ça. Je n’ai pas le choix, je vais devoir me procurer une potion. Il doit bien y avoir au moins un alchimiste dans le quartier des mages.
Il avança péniblement en direction de son objectif en s’appuyant sur ce qu’il pouvait plutôt que sur sa jambe.
Courage ! Tu as connu pire, bien pire. Notamment, cette fois dans cette maudite forêt… La neige rosée brûlant peau nue et frères d’armes… Comment s’appelaient-ils déjà ?
* * *
Évidemment, rien n’est ouvert à cette unia-ci. Autant se servir.
Il se faufila jusqu’à la porte d’une boutique d’alchimie, en crocheta la serrure et entra sans un bruit. Il fouilla précautionneusement les différentes étagères et finit par trouver ce qui l’intéressait. Impossible de se tromper, les concoctions magiques aux vertus curatives ont toutes ce reflet rouge sanguin caractéristique. Celle qu’il cherchait était d’un rouge pâle et permettait de réparer les dommages infligés au squelette. Il s’assit et étendit ses jambes avant de déboucher la petite bouteille en verre. Il en vida le contenu d’une traite.
C’est aussi ignoble que dans mon souvenir.
Il fut pris de spasmes qu’il contrôlât tant bien que mal afin de ne pas alerter le propriétaire du lieu vivant à l’étage.
Et tout aussi désagréable après coup. Bon, autant embarquer quelques bouteilles, ça pourrait servir.
Il se releva, attrapa trois flacons rougeoyant, les glissa à sa ceinture et ressortit sans attirer l’attention.
Bon, maintenant que l’euphorie est passée… Bien que l’idée d’être débarrassé de l’autre est des plus réjouissantes, si des ennuis arrivent j’aurais besoin de lui. En pleine nuit ça ne devrait pas être trop difficile d’aller le chercher dans le donjon.
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Iad 41 de l’ère impériale, vingt-sixième dan d’Arntayo
Moins d’une unia plus tard, Steshin se trouvait toujours dans le quartier des mages mais au pied de la colline abrupte sur laquelle était bâti le donjon. Cet endroit servait de fosse commune pour les condamnés à mort dont les corps tombaient depuis une rampe servant de vide-cadavre. L’odeur était évidemment pestilentielle. Ces corps servaient de temps à autre d’ingrédient pour certaines décoctions, renforçant par la même la méfiance de l’ordre de la lame ardente vis à vis des mages et des alchimistes.
Une dizaine de metro de haut pour atteindre l’entrée et ensuite il faudra ramper. Ramper dans le sang, les déjections et éventuellement la tripaille. Plus qu’à espérer que le bourreau ait terminé son office.
Sa dernière flèche grappin agrippa la rampe dès le premier tir, il put y monter et ramper au travers du fin tunnel. Les planches étaient assez irrégulières et l’odeur guère meilleure qu’à la sortie.
Je ne veux pas savoir sur quoi je rampe.
Au bout de quelques metro, il déboucha sur une petite salle avec une table en son centre, une lourde chaise en bois avec des attaches en acier et plusieurs colliers pendaient des murs avec leur chaîne. Enfin, divers outils étaient repartis ci et là, du petit couteau sinueux et torturé à la simple massue en passant par des pinces. Bien entendu, la pièce disposait de son propre brasero pour les cas un peu trop récalcitrants. Steshin put se déplacer à peu près correctement, ses yeux profitant des faibles lueurs émises par les braises incandescentes pour apercevoir le contour des divers objets de la pièce. Il ouvrit la porte en bois le plus doucement possible et sortit telle une ombre. En sortant, il put apercevoir clairement les outils de torture grâce à la lumière émise par une torche.
Propres comme s’ils étaient neufs. Le bourreau en prend grand soin visiblement. Son métier doit lui plaire.
En avançant au hasard dans les quelques couloirs et escaliers, il finit par entendre des ronflements provenant d’un couloir adjacent au sien. Il se risqua à y jeter un œil. Un des gardes étaient assoupis sur une chaise ronflant comme le tonnerre.
Peut-être qu’il a les clés des cellules.
Il se rapprocha de lui le plus discrètement possible et il synchronisa le mouvement de sa main sur la respiration du garde. Il parvint à subtiliser l’anneau supportant les clés mais termina son geste sur un éternuement incontrôlé lui faisant mettre un coup de tête dans le heaume du garde. Steshin fut légèrement sonné et le garde, quant à lui, s’éveilla en sursaut et frappa immédiatement l’intrus au visage. Agissant par instinct il ne songea même pas à appeler des renforts et décocha un autre coup de poing dans son estomac. Steshin, tout d’abord surpris, se ressaisit au troisième coup et parvint à faire chuter le garde avec lui, ou plutôt sur lui, en l’agrippant. Au sol, ce fut un combat de chiffonnier dans lequel Steshin fit un faux mouvement lui provocant une vive douleur au bas de la colonne vertébrale. La douleur l’arrêta net dans son action.
C’est pas le moment !
Le garde profita de la faiblesse de Steshin pour se relever et il tenta de le faire prisonnier sans oublier le coup de botte dans les côtes réglementaire mais il reçut un coup de pied dans le ventre juste assez fort pour le repousser d’un metr, contre les barreaux d’une cellule. Le garde fut pris à la gorge par un prisonnier qui l’étrangla, sa respiration fut coupée. Steshin vida le contenu de l’une de ses fioles tout en regardant le garde, le sourire aux lèvres, malgré le spectacle morbide auquel il assistait. Après quelques soubresauts, Steshin se releva et ramassa l’anneau de clés qui avait atterri contre le mur durant la confrontation. Son ennemi venait tout juste de rendre son dernier souffle.
-Hé ! Hé ! Tu vas pas me laisser ici ? Hein ? Hein ?
Steshin venait d’être interpellé par le prisonnier qui l’avait aidé dans sa lutte.
-Si tu m’laisses ici j’appelle les gardes. Ouais et ils vont rappliquer. Tu s’ras dans d’beaux draps toi alors.
Ce prisonnier était jeune, chétif avec pas mal de dents manquantes et des hématomes sur le visage. Il parlait d’une voix irrégulière, entre excitation et crainte. Steshin s’adressa à lui d’une voix ferme.
-Écoute, je viens chercher un compagnon.
Il déglutit à ce dernier mot. Il n’arrivait toujours pas à s’y faire, il n’arrivait toujours pas à accepter cette brute comme un compagnon.
-Dès qu’il est libre, je reviens te voir.
Il leva la main pour intimer au prisonnier d’attendre la suite de ce qu’il avait à dire avant de répondre.
-Pour sortir je vais avoir besoin d’une diversion. Et tu vas me l’offrir.
-T’offrir quoi ? J’ai rien sur moi, chuis qu’un p’tit voleur à la tire.
Il n’est pas très malin celui-là.
-Hm… Euh non. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Bref, je vais revenir te libérer. Je vais te donner les clés et tu libéreras les autres détenus. Vous aurez une chance de vous en sortir.
-Ah ! J’ai compris, c’est ça une div… Divo… Diversion. On fait comme ça ? Pas d’entourloupe hein ?
Le visage du jeune prisonnier était passé de la candide découverte à la méfiance craintive en un instant.
-Une promesse est une promesse. Par ailleurs tu saurais où trouver un varvarish arrivé cette nuit ?
-Un varvarish ? C’est des histoires ça. Mais il y a bien un nouveau. Il a cassé le nez d’un des chefs à c’qui parait. Y a d’la place qu’là haut maintenant, il doit y être.
-Merci, je reviens rapidement.
-T’as promis, oublis pas !
Steshin s’en alla sans un bruit vers les étages supérieurs, espérant ne pas faire de nouvelles rencontres.
* * *
Steshin s’approcha des dernières cellules occupées de la tour. Celle-ci était bien remplie même pour une aussi grande ville.
La sécurité est assez laxiste par ici.
-Hé ! Toi !
Steshin s’adressait à un prisonnier grisonnant qui ne parvenait pas à dormir.
-Le varvarish ? Un costaud qui frappe des gens et en brûle d’autres. Il est où ?
-Derrière toi.
Le prisonnier lui avait répondu machinalement, habitué qu’il était au manque de ménagement. Steshin se retourna face à la cellule désignée, prit les clés de sa ceinture, l’ouvrit, y entra prudemment et une main l’attrapa tout en l’envoyant au sol, sur le dos, en un instant. Il reconnut immédiatement Oronay qui s’était manifestement libéré de ses chaînes tout seul et il s’apprêtait à lui briser la mâchoire.
-C’est moi, Coronaire !
Oronay stoppa son geste immédiatement faisant preuve d’une grande discipline martiale.
-Arrête avec tes surnoms idiots.
Sa voix fut tranchante telle une lame. Il avait visiblement passé une mauvaise nuit et cela avait sans doute quelque chose à voir avec les quelques hématomes sur son visage.
-Quelle est la suite du plan ?
-On libère les autres prisonniers et on profite de la confusion pour détaler par le vide-cadavre.
-Hmm… Faudra que je reprenne quelques affaires. Comme mon bâton.
Steshin libéra tous les détenus de l’étage avec les clés subtilisées plus tôt.
* * *
-Chose promise, chose due !
Le jeune prisonnier attrapa les clés que lui tendit Steshin avec un immense sourire aux lèvres et s’en alla délivrer tous ses compagnons de cellule. On entendait déjà les combats dans les différents étages et ils ne tournaient pas en faveur de la population carcérale visiblement. Steshin et Oronay descendirent au rez-de-chaussée où le gros de la bataille faisait rage. Les gardes l’emportaient sans soucis sur les émeutiers et ne faisaient pas dans la dentelle. Ceux qui tentaient de forcer la sortie ne reçurent pas un seul coup de bâton mais se faisaient massacrer à coup d’épées courtes directement.
-Fais-toi une raison pour ton bâton.
Steshin se dirigea rapidement vers la salle de torture par laquelle il était entré.
-Et merde !
Oronay lui emboîta le pas. Les deux se lancèrent à plat ventre dans le vide cadavre. Ils atterrirent sur la pile de corps sans trop de tracas. Les deux parvinrent à s’en extirper avant que d’autres ne tombent à leur tour imitant leur exemple. Les détenus survivants partirent en courant en tout sens dans le quartier des mages. Ils disparurent dans cette nuit claire de quasi Mona pleine.
L’aube rayonnant commença à poindre finalement après cette longue nuit.