2 THEODULUS
De la chambre à la cuisine il n’y avait qu’une porte à traverser. La bête endormie, emboîta nonchalamment le pas de son maître. L’ordinateur eut tôt fait d’être allumé. Instantanément Théodolus se sentit mieux. Il faut dire qu’il est calé en informatique. Sa passion c’est le dépannage de pc. Lorsqu’il n’est pas chez son psy ou en promenade avec son chien Pixel, il passe le plus clair de son temps, derrière les volets clos. Et là, il démonte, remonte sans cesse. Le soir pour se détendre, il pose ses outils et il surfe sur les fora. Mais pas que. Il s’active derrière son écran, il en arrive à transpirer tant les recherches peuvent parfois être ardues. Un mot clé en entraînant un autre, il se noie dans un océan d’informations, il navigue à vue, il se sent libre. Libre mais pas libéré de son passé. Certaines infos le ramenait au vécu de son enfance. Lui le cadet d’une fratrie de trois enfants, fils d’un père menuisier et d’une mère couturière avait très tôt montré des signes d’inaptitudes à la vie sociale. Enfant surdoué, ses notes n’en étaient pas moins catastrophiques en raison de son comportement et non respect des devoirs et autres formes de contrôle. Ses parents l’ont longtemps considéré comme un attardé. Durant sa scolarité chaotique il a eu la chance de croiser le chemin d’une institutrice qui s’est penchée sur son cas, grâce à elle il a pu poursuivre des études d’informatique dans une pension où il a vécu trois meilleures années de mon adolescence.
Cette pension fut une belle aubaine. Loin de la tyrannie paternelle, il respirait. Loin de son père, « le colosse » comme le décrivait les gens du village. Un homme aux longs cheveux noirs tressés en une natte qui lui arrivait au milieu du dos. Cette coiffure aurait pu lui donner un air baba cool mais il en était rien. Son regard glacial et méchant, obligeait à baisser les yeux. C’était un homme cruel, qui ne supportait pas le cri des enfants ni même de ses fils. Il avait un penchant prononcé pour l’alcool. Chaque jour, en quittant son atelier, il s’arrêtait au bar du village où il se jetait quelques rasades de rosé, derrière le cornet. Les retours à la maison étaient désordonnés et il ne valait mieux pas se trouver sur sa trajectoire lorsqu’il avait passé la porte d’entrée. Un jour il fût retrouvé gisant dans un fossé, le crane explosé. Une délégation de gendarmerie s’était immédiatement déplacée sur les lieux et après prises de photos et autres mesures s’en était suivi un procès verbal d’ enquête qui avait conclu à un homicide. Des années après, l’affaire n’avait toujours pas été élucidée. De la famille, seuls sa femme et l’aîné de ses fils se sont effondrés. Quant aux deux autres frères, l’enterrement ne fut qu’une formalité. Théodulus ne versa aucune larmes quant à l’oncle Henry il ne s’est même pas donné la peine d’assister aux obsèques de son frère.
Il avait beau sauter d’un lien à l’autre, tout le ramenait à cette pandémie. Il a cherché en vain des infos réconfortantes. L’affaire avait l’air sérieuse. Ne trouvant pas de réponse tranquillisante il consulta sa boite de messagerie qu’il trouva vierge et parti se recoucher.
A peine couché il se releva, il était impensable que son amie virtuelle ne lui ai pas répondu. La situation était grave, il allait devoir prendre rendez-vous urgemment avec son psy. Rasséréné après avoir déposé le message dans la boite du praticien, il regagna son lit et curieusement s’endormi rapidement.
Il fut brusquement arraché à ses songes lorsque Pixel lui sauta sur le ventre. Théodulus roula avec difficulté sur le flan droite pour consulter son réveil. L’aiguille pointait seulement sur le deux. En soufflant, il reposa la tête sur son oreiller auréolé des stigmates d’une sudation abusive.
” oui mon toutou, t’es un bon chien toi, heureusement que je t’ai” lui dit-il en caressant le dos de son Pixel qui vint se blottir contre lui, reposant son museau sur la poitrine du maître..
Le lever fut un peu complique, les insomnies n’étaient pas ses amies.
Avant même de prendre son café, il consulta son smartphone et ouf, un message du psy lui indiquait un rendez-vous dans l’après-midi.
Aujourd’hui les ermites sont jeunes, je n’en suis pas vraiment étonné, la tentation de le devenir est de plus en plus forte.