Je suis déjà fier. Je suis témoin, je deviendrai célèbre. Parce que ma mission officielle est de raconter une histoire sur cette crise.
J’ai existé toute ma vie sans signification particulière, sans mission intéressante, sans être important moi-même. Et plusieurs fois j’ai me mis à écrire, mais je n’ai jamais trouvé de sujet digne de mon intelligence.
Il y a plusieurs années, la crise a éclaté loin de moi. Beaucoup de gens ont cru que ce soit la prochaine guerre. Que des puissances obscures soient intéressées à détruire le monde occidental, son style de vie, son mode d’existence. Des guignols à l’autre côté de la mer ont toujours nié la crise.
C’est fascinant de voir à quelle vitesse les hypothèses politiques changent à l’époque. Ce que l’on avait considéré comme sacro-saint hier a été sacrifié du jour au lendemain sur l’autel de l’utilité. Ce que personne ne soupçonnait initialement est finalement devenu réalité:
Le manque de soins infirmiers et le problème des pensions s’améliorent lentement mais de façon paradisiaque. Beaucoup de gens ont raison de ne pas être concerné et ne devoir pas se soucier, ainsi facilitant la circulation du virus. Des millions de personnes âgées sont épargnées par des années d’agonie. Bien entendu, l’utopie d’un film des années 70 n’est pas mise en avant et les décédés restent dans des fosses communes au lieu d’être utilisés dans la production alimentaire. Nous avons toujours cru au fétiche des droits, avec lequel l’homme a pu justifier tout et rien depuis la déclaration des droits des hommes.
Commencer ou mettre fin aux guerres, accueillir les personnes dans le besoin ou les détenir aux frontières avec des gaz lacrymogènes, tout est toujours justiciable. Et maintenant que l’épidémie a pu se propager sans contrôle en Afrique, la Méditerranée est également beaucoup plus calme; seule l’industrie des besoins récréatifs aquatiques, comme tant d’autres, a dû faire face à la baisse des ventes.
De la chambre d’isolement simple mais confortable, mon regard vagabonde sur le lac devant moi. Il y a longtemps, il n’était pas inhabituel pour les gens de rester dans leur village et de mener une vie uniquement dans une certaine zone. Dans les années prospères qui ont suivi la dernière guerre, cependant, il était devenu courant de voyager dans tous les coins possibles du monde, plusieurs reprises par an.
Personne n’aurait sérieusement pensé qu’un jour on ne pourrait sortir de la maison que pour l’essentiel, et personne n’aurait même pu imaginer le mode de vie aujourd’hui. Bien sûr, le développement technique d’Internet et de l’intelligence artificielle a permis aux plus performants de mener leurs activités responsables depuis le domicile protégé et seuls les moins éduqués ont dû se battre pour les emplois dangereux et mal payés en première ligne de la maladie.
C’est trop bien pour moi d’écrire tout cela. Je suis content de ma décision de me consacrer enfin à mon passe-temps longtemps considéré. Bien sûr, ma célébrité sera limitée ; personne, sauf la police sanitaire, ne lit mes pensées.
Après l’évaluation du danger pour la santé que cela provoquerait en ces temps critiques, toute la publication d’un texte, quoi qu’il en soit, est finalement interdite.
Pourquoi la dernière phrase ? Nous sommes en démocratie ?
Le texte est fictif et plus ou moins probable ou improbable. La dernière phrase vise à condenser les avertissements: même la démocratie pourrait finir par être endommagée par l’épidémie.