L’esprit qui sourit doucement

Et soudain un fantôme apparaît déformant ma vie. Tout ce que j’ai pensé et aimé a été remis en cause. Nous avons vécu dans une société presque parfaite, développée depuis les Lumières jusqu’à nos jours, passée de l’esclavage à une liberté sans précédent et inouïe, en imposant l’individualisme comme nouvelle religion absolue, en dépit de la laïcité.

La phrase principale de la foi moderne était: «Ma liberté s’arrête là où commence la liberté des autres», en supposant que toute contrainte vient des autres. Et c’était exactement le seul problème: l’autre est l’obstacle, qui ruine ma vie illimitée ; moi, je suis omnipotent, moi, je peux tout faire, moi, je suis le centre de ma vie.

Et soudain un fantôme apparaît. En plus, il ne veut pas y aller, non, il restera ici pour montrer que tout ce que nous pensions est faux. Nous sommes obligés au moins de réduire nos contacts sociaux, nous sommes obligés de limiter nos actions quotidiennes, et en général nous devons nous limiter. Ce n’est que lorsque je me limite que tout changera. Mais personne ne sait ou du moins ne nous dit combien de temps cela prendra.

Le fantôme nous apprend à comprendre nos limites en tant qu’être humain et nos limites en tant qu’individu, et tout à coup nous avons l’opportunité de sentir qu’il y a des choses qui ne dépendent pas de nous, que nous ne sommes pas capables de tout accomplir.

Et soudain, ma conscience surgit que mon mode de vie est limité, de plus, mon existence sur cette terre est limitée, l’existence de tous les êtres humains est limitée. D’abord, j’ai essayé de fuir le fait que personne ne mourra sauf les personnes âgées, qui devront mourir de toute façon, mais petit à petit je dois reconnaître la vérité que le fantôme n’épargne personne.

Mais la connaissance ne suffit pas, il vaut mieux l’accepter: notre vie n’est pas éternelle, nous devons accepter la mort, nous devons accepter la finalité de notre existence. Et quand nous l’acceptons, nous pouvons organiser nos vies de manière plus intéressante, nous pouvons faire les choses qui sont vraiment importantes, nous pouvons entretenir et guérir les relations avec nos proches qui sont vraiment importantes.

Et soudain, le fantôme n’est plus un cauchemar, et l’esprit nous aide à nous réveiller et à nous arracher à notre monotonie d’individualisme pour rompre avec l’éternel vertige d’aller plus vite, plus haut et plus loin. Et la vie ne sera pas bouleversée, les jours encore accordés plairont à nous et à nos proches. Il faut juste un peu de résilience, de persévérance et d’empathie. Ainsi, le fantôme ne partira pas, il perdra son horreur. Et on se rendra compte qu’il est un esprit qui sourit doucement.