Première fois

2 mins

C’était un mois de décembre, j’étais externe, en 4ème année de médecine et c’était mon premier stage. Pleine de fougue et de motivation, je choisis le SAMU pour ce premier mois, pour mes premiers vrais pas dans le monde pratique et je vous parlerais ici de ma dernière garde, dont je me souviendrais sans doute toute ma vie.

Le DECT sonne cette nuit là, je me lève donc pour rejoindre l’équipe qui m’avait été attribuée. Je monte dans la voiture en les écoutant vaguement dire qu’on est appelés pour une jeune femme qui exagère sûrement des douleurs de règles. Nous arrivons chez cette jeune femme et la trouvons allongée sur son canapé, une odeur ferailleuse caractéristique du sang embaume la pièce sans qu’on ne puisse l’apercevoir pourtant. La patiente hyperventile, elle sue, elle est confuse et très pâle malgrè sa peau couleur ébène. Après un interrogatoire quel que peu chaotique, on arrive à lui faire dire qu’elle a ses règles mais que ses douleurs sont bien plus intenses que d’habitude, qu’elle a des diarrhées. Pendant que l’ambulancier prend les constantes et que l’infirmier ainsi que le médecin tentent de poser une voie veineuse périphériques, je suis envoyée dans la salle de bain à la recherche de médicaments que la patiente aurait pu ingérer.

Revenant bredouille, je m’arrête 2 minutes pour répondre aux questions de l’amie de la patiente venue chercher sa fille de 2 ans. Au moment où je passe le seuil pour revenir au salon, le scope se met à sonner et à afficher une asystolie. La jeune femme, qui a mon âge à l’époque, une vingtaine d’années en somme, est en arrêt cardiaque. Pas le temps de réfléchir, je m’approche et masse, je passe ensuite à la tête de la patiente pour m’occuper des insufflations pendant que le relais des massages cardiaques entre-coupés des défibrillations continue. Une fois la patiente stabilisée, on l’emmène à l’hôpital, où elle refait un arrêt avant de passer au scanner. Infarctus mésentérique. En d’autres termes, ça saigne dans ses intestincs. On dit dans ces cas là, que si le saignement n’est pas arrêté dans les 6h c’est la mort assurée. Nous la confions au service de réanimation et rentrons.

A la sortie suivante, je demande à mon chef ce qu’il en est de cette patiente. “Morte”. C’est tout, c’était mon premier massage cardiaque, la première personne que je voyais mourir, mais c’est tout. On me laissera plus tard cogiter celà, seule, dans mon coin. Je passe la nuit, allongée sur mon lit de garde, yeux grands ouverts à fixer le plafond tout en me repassant la scène encore à la recherche d’une erreur qui aurait put être faite. Et, c’est des mois plus tard que j’ai la réponse quand cette histoire a fait la une des journaux.

Parfois j’aimerais retrouver sa petite fille, lui dire que les derniers mots de sa maman étaient pour elle. Je ne pourrais cependant pas lui dire qu’elle a eut une mort rapide est indolore, car sa souffrance a duré des heures, la régulation du SAMU ne voulant pas intervenir parce que vous savez “les noirs surjouent c’est bien connu”. Cette jeune femme est morte, dans son salon, en se vidant de son sang, et une des raisons est le racisme sur fond de mysogynie, c’est celà la vérité.

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