-Valentine sama, vous avez laissé les fenêtres ouvertes depuis la dernière fois?
-… oui. Bonjour Megumi.
Dans un soupir sans force, Valentine se redresse pour s’extirper de son lit tandis que Megumi s’incline pour le saluer dans cette politesse discrète et inscrite dans la société japonaise. Assis les cheveux en pagaille et pas rasé, c’est un homme malheureux qu’elle retrouve encore aujourd’hui. Elle ne lui posera cependant pas de questions sur son teint pâle et cireux, ni sur les yeux rouges et gonflés qu’elle lui remarque depuis le décès de sa sœur. Megumi n’est pas une femme intrusive; elle sait que ce sont des blessures qui ne se soignent qu’à coup de temps et de tendresse envers soi-même.
Patiente et silencieuse, elle se dirige vers la cuisine pendant que Yui se traîne hors du lit, d’une lenteur qui ne lui est pas familière, et se dirige sans plus d’entrain vers la salle de bain. Il y restera bien trop longtemps avant de ressortir les traits à peine plus frais, mais c’était toujours ça de mieux: détruire est une chose, se reconstruire en est une autre. Les cicatrices épaisses qui se sont tracées sur son corps en disent déjà assez long; avec du temps et du soin, elles ont néanmoins commencé à rosir pour peu à peu blanchir par endroit. Il y a un peu plus de cinq ans pourtant, Yui Valentine revenait du royaume des morts, insidieusement appelé le royaume libre et éternel de Libra. Il y a un peu plus de cinq ans, c’est Megumi qui recueillait ce qui restait de l’entité de Valentine à la petite cuillère. Elle l’avait vu complètement déboussolé, anéanti, elle l’avait assisté lorsqu’il ne pouvait se mouver seul. Présente de sa douceur et d’une patience infinie, elle était l’aide soignante qui l’avait vu s’effondrer dans ses jours les plus misérables, abandonné à lui-même face à une horde de mirages et de délires sur le monde de Libra que lui seul percevait. Megumi ne comprenait pas toujours toutes ses allusions mais l’écoutait jusqu’au bout et pansait ses plaies alors qu’il oubliait son corps physique telle une coquille vide. Elle l’entendait quand il ne restait plus que les murs pour témoigner des lubies oniriques et grotesques d’un autre univers qui s’était brouillé dans la tête de Yui Valentine.
Malgré ces états d’âmes inconsistants et sautes d’humeur étirées à l’extrême, jamais elle n’avait songé que Monsieur Valentine était sous emprise de la folie; tout comme jamais elle n’avait douté qu’il reviendrait à lui après un passage à vide aussi chaotique. Le deuil d’un autre est difficile, celui de soi, encore plus.
Le soir de son accident de voiture, Valentine racontait encore, qu’une partie de sa mémoire lui avait été arrachée contre la vie éternelle de l’Autre côté, à Libra. Conscient de ce manque à jamais comblé, on l’avait ramené sur Terre sans réparer et comprendre ce qui lui avait été violemment retiré si bien qu’à son retour, il ne savait plus pour quelle raison il était encore là, dans ce monde beaucoup trop physique et désormais dépourvu de sens, un monde coincé entre deux espaces temporels. Il y aurait toujours un avant et un après, et en dépit de cela, Yui Valentine s’était reconstitué en acceptant le fait que sa mémoire resterait à jamais lésée, peu importe toutes ses tentatives pour reconstituer les pièces manquantes de son puzzle à grande échelle.
Megumi Lei quant à elle, croirait toujours en cet individu qui avait veillé sur son fils pendant les années à l’académie.
-Megumi, …pourquoi tout ça ?, lui demandait souvent Yui lorsqu’il en avait assez de ruminer ce qui échappait au champ de sa compréhension.
-Valentine-sama. Vous deviez passer par là.
-Votre fatalisme ne m’explique rien…
-Vous devez tenir bon, vous êtes trop jeune pour quitter ce monde. Des personnes ont encore besoin de vous.
-Vous croyez ? Alors que je n’ai plus besoin de moi, quelle idée de…
-Monsieur, regardez dehors. Un nouveau jour se lève.
D’une tendresse infinie elle le couvrait de sa présence. Hélas derrière cette mascarade à n’en plus pouvoir, le hantait toujours un mot resté gravé sur son être telle une empreinte invisible à chaud. Et ce mot là, un papillon, un souffle, une psyché, …Cammy Logan.
Le destin les avait ensuite réuni de nouveau malgré les ricochets de leurs existences. Mais plus rien ne serait comme avant.