NOTE – Reprise et adaptation de ma composition textuelle pour le forum Blindfolded, la nuit de l’accident de route qui mène Valentine vers les terres de Libra.
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NE M’ENFERMEZ PAS
SOUS TERRE…
-Souffle Eliott, lentement. La voix de Théo qui refait surface.
Respire. C’est bien, respire. Il respire avec moi alors qu’on me saisit doucement la main. Eliane.
Je voudrais parler.
Bip.
Bip. On respire, on souffle comme on peut ensemble, comme au premier jour de notre conception et très probablement jusqu’à mon dernier. Je n’ai jamais pensé que respirer pourrait faire aussi mal. De l’extérieur, j’avais l’impression de me voir, depuis les yeux de Théo, depuis ceux d’Eliane, avec ce corps –amoché, salement amoché certes, mais tranquillement posé sur son lit d’infirme. Et j’étais là, sans savoir –ou vouloir l’admettre, que j’étais réellement sur mes dernières heures.
Le pire c’est que malgré tout, je me pensais encore fort, inaltérable, intemporel et surtout trop orgueilleux pour mourir. Mais derrière tout ça, derrière cette absence apparente et ce calme plat paralysant, je crois que je suis sérieusement en train de partir en lambeaux. Mes poumons marchent au ralenti malgré le respirateur, et il y a quelque chose, ce quelqu’un qui me compresse et me déforme de l’intérieur. Je vois des couleurs, ces visages aux définitions floues, j’entends au loin leur voix, couvert par le son de mon pouls qui martèle les parois de mon corps au rythme démentiel de ses pas, de ses pas à elle -la Mort, alors que de tout mon être je la fuis comme la dernière des maladies. Je l’abhorre, je la hais, je la hais, que je la hais…
Serai-je non seulement un jour prêt à mourir.
Valentine ne sait pas pourquoi c’est à ce moment là qu’il a eu envie de revoir Cammy plus que n’importe qui d’autre, plus que n’importe quel jour et plus que n’importe quelle nuit. C’est son corps qui se met à hurler son nom en silence, son cœur qui se crispe violemment, son cœur qui convulse pendant que continue cette mascarade du sommeil, sommeil visiblement imperturbable et serein. Il l’appelle, il hoquette, ça le retourne, mais c’est chaud, c’est encore vivant et c’est presque agréable… mais elle n’est plus là. Il avait Cammy contre lui lors de l’impact ; il la tenait contre lui alors que son propre corps se déchirait, et l’agrippait encore dans sa semi-conscience sans parvenir à défaire son emprise sur une vie en perdition pour la reléguer aux mains des secours. Il ne sait pas comment on les a extraits de là après les avoir froissé à ne plus pouvoir rien déplier. Et de toute façon il ne sent plus vraiment son corps. C’est peut-être mieux ainsi…
Des lumières, des voix, des sensations de touchers. J’ai oublié de fermer le salon de thé. Froissé de l’extérieur, comprimé de l’intérieur. J’ai oublié quel était le pont pour aller dire au revoir à Kami, l’autre nuit.
Dans cette implosion des univers, tout se bouscule face à la solitude, ses sensations le perdent, ses perceptions l’oublient, ses sentiments le délaissent, ses souvenirs s’effilochent pour évacuer tendrement son corps.
J’ai oublié de dire au revoir à Cammy. Non tu es bête Valentine, tu n’a jamais rien oublié de tout ça. Oui c’est vrai, en fait, je n’ai jamais voulu faire tout ça. Une dernière valse, un non-retour. Eliane ne se rappellera jamais de nous, tandis que moi… moi, je pars avec tous nos souvenirs, les siens, les miens et ceux de tous les autres. Ceux de l’académie, ceux des patients, ceux des clients, ceux de ses employés. Ceux de Cammy Logan.
Son cœur se contracte encore une fois et Yui Valentine ouvre brusquement les yeux alors que se brise l’équilibre des mondes.
27 Mars, 07:07. L’heure du décès est prononcée devant un regard vitreux incapable de se refermer sur ce que jamais personne ne pourrait voir au-delà des mots.