La Télé d’avant

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Au début, tout-petit, comme je tenais pas en place, papa, et surtout maman, m’appelaient Vent Fou. J’aimais bien l’entendre tonner avec l’accent du Midi. Surtout avec la voix solaire de maman. J’aurai dû l’enregistrer. Pour pleurer mieux et plus longtemps. Dans un silence invincible. Ce surnom, disons-le, c’était mon appel d’air. Ca me réjouissait. Je faisais même la roue dans ma tête. Mais, aujourd’hui, proche de la retraite, dans mon souvenir, Vent Fou, c’était pas si bien que ça. Et c’est là que je m’en veux. Vraiment. Je me fais la gueule. Dans ma tête : je roule sur la jante. Parce que Vent Fou, on dirait un nom de guerre sioux, un pédigrée apache, la semence d’une tribu en réserve. Avec, tout au bout, de la chair à canon pour primo-accédants d’Amérique. Ces propriétaires terriens emplumés, charbonnés. Buttés en bloc sur un stand de tir aménagé par des hordes de colons et de Yankees qui marinent dans une crasse décennale. Pas facile d’être gens du pays, de camper sur une terre mal-née, une terre promise au repos éternel. Le pompon, c’est qu’un siècle plus tard, le théâtre du désastre s’est donné en spectacle pour petits et grands à la télévision française. Et ailleurs, sûrement. Mais, nous, à l’époque, on connaissait qu’elle : l’ORTF : ce cher Office de Radiodiffusion-Télévision Français maté par le pouvoir : des censeurs à gros bec. Vieux comme le monde.

     Chez moi, fallait surtout pas louper le massacre autorisé à l’antenne : la tuerie en noir et blanc du dimanche après-midi. Le western hypnotique. Dépouillé de regards croisés. Prunelles : droit devant ! Face aux génériques de début et de fin. Pas bouger ! Une liturgie tirée au cordeau, réglée en rang serré. Interdiction de tousser, d’éternuer, de bailler, d’aller pisser. On peut respirer ? Chut, tais-toi ! On était au point mort. Trop loin pour l’imaginer, mais dans les années 60, on incarnait l’arrêt sur image en personne. L’avant-garde technologique, les pionniers high-tech sans télécommande, c’était nous ! Y a que Poupy, un chien d’HLM, toujours à l’affût d’une caresse, d’un clin d’œil, qui gémissait au moindre coup de feu. Un sentimental, le bicolore, une bête à chagrin en noir et blanc. Le pauvre. Au salon, Poupy, c’était le seul être humain. La plupart du temps, il finissait pas le film. Mais tu vas la fermer, ouai ? Ta gueule ! A la cave, direct. Séquestré dans une obscurité d’épouvante, tenu au bout d’une corde pour bovins, Poupy aboyait à gueule déployée. Descends pas ! Il pourrait te mordre. On avait à rien craindre pourtant. Pas féroce, jamais mordu, un CV impeccable. Le seul point commun que Poupy pouvait avoir avec un fauve : c’était cette odeur mobile. Atroce. A se tuer. Stimulée soi-disant par du stress. Une mauvaise digestion. Ou les glandes anales mal vidangées. Je raconterai pas la suite. Le pauvre.

    

 

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