Cette fichue manie qu’elle a de nier ce qui demeure, ce qui est, ce qui existe. Idem de l’autre côté. Parce que son envers bavasse aussi derrière les apparences. D’un côté et de l’autre, ma réalité est un non-être qui me hante sans m’habiter. Comment dire ? Je suis son locataire et à travers le prisme qu’on appelle conscience, je suis son propriétaire. Très curieux ce double-tranchant inconfortable, cet entre-deux fragile. Ca fait un drôle d’effet de cohabiter avec un fantôme intranquille, une chimère sans domicile fixe, une fichue impression qui fait illusion, un vide élastique qui use et abuse de la souplesse de mes fantasmes, qui tortionne l’apparence jusqu’à l’éther de mon apparaître.
Ma réalité. Elle est comme la femme : elle donne naissance à la vie. Elle est comme l’homme, : elle donne vie à la naissance. Ou réciproquement. Elle a un tout, que dis-je ! Elle est un tout ! Un tout qui s’étire au-delà des parties qui la compose. Oui, c’est ça, c’est holistique ! C’est le mot. Ma réalité légende le paradigme du holisme. A tel point que ce grand Tout est condamné à être impensé, inimaginé. Je sais, c’est absurde, c’est anti-raison, c’est tout ce que vous voulez. Mais c’est comme ça : c’est ma réalité.
Elle a beau s’offrir à ma perception, encore à mon âge, je ne parviens toujours pas à m’en apercevoir, encore moins à la percevoir. Dire qu’il a fallu que j’attende un certain nombre de décennies pour enfin décider ma conscience que j’aurai vécu des années durant dans une réalité qui m’a préfabriqué la peur de, compilé une tapée d’angoisses adoubées par un train de superstitions, un catalogue de croyances à la noix. Une religion-milice.
De face ou le dos tourné, je sais que je vais me retrouver en enfer, au paradis ou dans un ailleurs, je sais bien qu’elle poursuivra sa quête incessante, qu’elle reniflera mes entrailles dans un arrière-monde soi-disant tripoté d’espérance. Et qu’après mon dernier souffle, je sais surtout que l’anagramme de « fragile » me « giflera ». C’est ma réalité.