Le soutien – Année 1984/85
Mon look avait considérablement changé depuis le jour où j’avais rencontré Margaux. Mon côté gothique avait laissé place à un côté plus cool, pourtant le noir était resté ma couleur favorite. Je ne me maquillais plus comme avant et j’avais fait disparaître toutes les bagues que j’avais à chaque doigt. J’avais gardé quelques piercings, ceux que l’on ne voyait pas trop. Et ce ne fut qu’à partir de la fin de la 4ème que j’avais accepté de venir chez Margaux. Avant je ne me sentais pas prête et puis j’avais peur, peur d’être jalouse d’elle, de ce qu’elle possédait et pas moi, une famille, de l’argent, un bel appartement, … Or Margaux n’arrêtait pas de me parler de son père et de sa mère, elle les aimait beaucoup, elle était fille unique et ils passaient leur temps à la gâter, alors j’avais accepté de les rencontrer.
Lorsque Margaux m’avait présentée à ses parents, je n’étais plus la gamine qui se faisait arrêter à tout bout de champs pour un oui ou pour un non. C’était grâce à tout ce qu’elle avait fait pour moi que je m’en étais sortie. En plus de cela, elle avait refait ma garde-robe avec tous les vêtements qu’elle avait et qu’elle ne mettait plus. J’étais restée tranquille toute l’année de 4ème puis de 3ème. Au début quand j’avais commencé à changer de look, je m’étais faite charriée par tous mes potes de la cité. Ils trouvaient que je n’étais plus digne de faire partie de leur bande, ça m’avait fait de la peine, c’était ma famille depuis toujours ou presque et puis il y avait eu à nouveau des événements, des incendies de voitures et c’était là que j’avais décidé de partir. Dans la cité, ils étaient tous devenus fous, ils brûlaient les voitures comme s’ils avaient mis le feu à les brindilles. Ils s’étaient mis à frapper aussi les flics qui avaient répondu, ça avait commencé à dégénérer.
C’était à cette période que j’avais demandé à changer de famille d’accueil à la fin de ma 3ème et c’est à partir de ce moment que Margaux s’était mise dans la tête de me faire inscrire dans son lycée. En deux années j’avais fait des gros progrès, ils n’étaient pas suffisants pour que je vois mon dossier de dérogation accepté par son lycée. Elle avait pensé à me faire domicilier chez ses parents. Je les voyais régulièrement depuis presque un an quand Margaux s’était décidée un jour à leur expliquer les raisons pour lesquelles elle prenait toujours ma défense auprès de tout le monde, j’avais eu l’impression pour la première fois que quelqu’un m’aimait vraiment.
D’un autre côté, en me souvenant du visage de ses parents ce jour-là, je me disais que si j’avais été à leur place, je me serais inquiétée que ma fille fréquente une fille pas très fréquentable comme moi. Je devais reconnaître que je n’avais pas toujours un langage châtié ou soutenu comme disait notre prof de français. Il m’arrivait parfois d’avoir la parole qui fonctionnait plus vite de mon cerveau. Je n’avais jamais été grossière mais j’avais été élevée dans un milieu de racailles alors évidemment c’était là-bas que j’avais appris tout ce qu’il fallait savoir à l’époque. En y repensant avec le recul, je mesurais la chance que j’avais eue lorsque j’avais rencontré Margaux, « putain de chance » aurais-je certainement affirmé à l’époque.
De jour en jour, j’avais pris conscience que Margaux voulait vraiment que je m’en sorte. Depuis notre rencontre, elle m’avait toujours aidée sans rien me demander en retour, si une fois, elle rêvait de pouvoir entrer dans l’une des bandes dans laquelle j’étais afin de faire des photos. Elle disait qu’ils comprendraient, je devais leur expliquer qu’elle voulait juste les aider à s’exprimer, à faire connaitre aux personnes qui ne faisaient pas partie des cités leurs envies, leurs colères, leurs joies au travers de ses photos, comme eux le faisaient au travers des tags qu’ils réalisaient. Ils pourraient choisir celles qu’elle serait susceptible de montrer ou pas ; et elle comptait sur moi pour essayer de faire une exposition dans la salle de la MJC de ma cité. J’avais dû négocier beaucoup avec les différentes bandes de la cité pour faire accepter Margaux parmi eux, certaines avaient refusé sans chercher à comprendre, certaines souhaitaient voir ce qu’elle était capable de faire avec son appareil, tous voulaient la rencontrer avant de prendre une décision.
Je savais que ce ne serait pas gagner avec le look qu’elle avait. Cette fois, c’était moi qui l’avais relookée pour la circonstance, c’était en janvier 1983 et durant un mois, on venait parfois après les cours discuter avec les chefs de bandes. En février, elle avait fait plusieurs centaines de photos qu’on avait montrées un soir sur un écran qui se trouvait à la MJC de la Duchère. Et quand en mars 1983 de nouveaux affrontements avaient eu lieu avec la Police aux Minguettes, cela avait échauffait les esprits sur toute la région de Lyon et Margaux avait voulu revenir sur la cité avec moi, elle voulait à nouveau prendre des photos, j’avais refusé. C’était sans compter sur le fait que Margaux était têtue comme une mule dès qu’elle avait décidé quelque chose. J’avais tout fait pour qu’elle reste cachée, cependant quand elle avait une idée dans la tête, elle ne laissait personne se mettre en travers de sa route. Et elle avait réussi à les prendre ses fichues photos.
Si ses parents avaient su où elle était à ce moment précis, je crois qu’ils lui auraient interdit d’une part d’y être et d’autre part de me fréquenter à l’avenir. Et puis tout s’était magnifiquement passé, elle avait fait son exposition et mon ancienne bande, « les blousons noirs » avait été obligés de reconnaître qu’elle avait du talent parce qu’elle avait fait de superbes images, très réalistes et pleines d’émotions. Elle n’avait pas pu toutes les montrer toutefois elle en avait faites suffisamment pour organiser cette exposition. Dans un premier temps chez moi dans la cité, puis un animateur de la MJC du 6ème arrondissement avait rencontré l’animateur de la MJC de la Duchère à l’origine de l’exposition et ils avaient demandé à Margaux si elle acceptait de prêter ses photos pour une nouvelle exposition dans son quartier, cette fois. C’était là que ses parents avaient appris les circonstances dans lesquelles Margaux avait réalisé ses photos, ils n’avaient rien osé dire car cette année-là, le maire du 6ème arrondissement l’avait nommée jeune photographe amateur de l’année 1984.
Elle avait choisi ce jour-là pour demander à ses parents qui étaient plutôt des gens cools de me permettre de donner leur adresse pour espérer pouvoir intégrer son lycée. Ils avaient fait une lettre à mon aide-social qui avait accepté. Grâce à Margaux, j’avais pu entrer dans une classe de 2nd avec une option sciences sociales ; les premiers temps, j’étais restée dans ma famille d’accueil mais c’était loin du lycée alors parfois je couchais chez Margaux et petit à petit ses parents m’avaient proposé une chambre de bonne qu’ils avaient au dernier étage de leur immeuble.
A la fin de l’année j’avais eu 16 ans et j’avais décidée de faire une demande d’émancipation que mon tuteur avait approuvée. Il savait que désormais j’étais suffisamment mûre et responsable ; d’un autre côté, il n’avait aucun droit de pouvoir s’y opposer, or je lui avais indiqué que je préférais faire correctement les choses, ce à quoi il m’avait rétorqué qu’il était heureux de voir que j’avais enfin compris où était mon intérêt. Et c’était avec un grand bonheur que j’intégrais enfin une chambre pour moi toute seule qui me paraissait si grande. Très vite avec Margaux nous l’avions aménagée pour la rendre agréable. Il y avait un coin cuisine et une petite salle d’eau avec un wc, le rêve en quelque sorte.
Les parents de Margaux m’avaient fait promettre de ne plus entraîner leur fille dans de pareilles situations sans les tenir au courant avant. J’avais promis même si Margaux n’avait pas été contente que je le fasse. Cependant, il me semblait normal d’accéder à leur demande en contrepartie de mon hébergement et d’ailleurs pas seulement pour cette raison. J’avais eu très peur durant les émeutes, peur pour elle, peur pour moi, peur de perdre la seule amie qui m’aimait et me permettait d’avancer aujourd’hui. Margaux ne me comprenait pas vraiment, elle trouvait que c’était une forme de chantage de la part de ses parents et ce fut à cette période, qu’elle avait décidé de devenir à son tour une rebelle, enfin pas vraiment. Elle se contentait de tout critiquer vis-à-vis de ses parents et de faire systématiquement l’inverse de ce qu’ils lui demandaient. Cela n’avait pas duré longtemps car je voulais rester son amie, je me devais de la rendre raisonnable.
Ses parents étaient vraiment gentils, ils se faisaient juste beaucoup de souci pour leur fille unique comme j’imaginais tous les parents dignes de ce nom. En plus, ils étaient adorables avec nous, avec moi qui n’était rien pour eux, juste la meilleure amie de leur fille, cela leur suffisait pour m’aimer aussi un peu. Lorsqu’ils allaient quelque part, ils proposaient toujours à Margaux de me demander si je voulais les accompagner. Ils m’emmenaient au restaurant, au cinéma et à la fin de notre année de 2nd comme nous avions bien réussi notre année, et pour récompenser Margaux, ils lui avaient annoncé qu’elle pouvait me proposer de venir en vacances avec elle.