L’espace d’un instant où tout bascule – 1ère partie 5

7 mins

Marie et Maïlis avaient pris l’habitude de dîner ou déjeuner ensemble depuis son retour sur la région surtout lorsque Maïlis avait décidé de lui faire rencontrer de nouvelles têtes. Il lui semblait qu’il était temps qu’elle recommence à sortir, voire à fréquenter la gente masculine …. Mais cette fois-ci, elles eurent l’impression de revenir trente-cinq ans en arrière. Chacune de leur côté avait ressenti le besoin de l’autre. Maïlis avait compris que son amie voulait lui parler et elle avait soigné son entrée en arrivant les bras chargés de gourmandises de toutes sortes. Cette situation leur valut un fou rire qui dura presque toute la soirée lorsqu’elles enfouissaient dans l’un de ces énormes paquets de bonbons ou de chips leurs doigts à la fois sucrés et salés. Elles passèrent en revue toutes les années de lycées et les innombrables soirées qui ressemblaient à n’en pas douter à celle-ci. Elles riaient, mangeaient, blaguaient, médisaient sur tous ceux qu’elles avaient connus ou qu’elles connaissaient encore. Tous les potins d’hier et d’aujourd’hui avaient animé la soirée jusqu’à très tard dans la nuit. Et puis vers minuit, Maïlis regarda tendrement son amie pour lui dire :

– C’est étonnant comment certains événements peuvent faire resurgir des souvenirs si lointains que l’on avait presque pensé avoir oubliés…

Et alors que Maïlis espérait voir son amie lui expliquer ce qu’elle attendait d’elle, Marie disparue dans ses rêveries à nouveau, un sourire béat d’admiration.

– Tu ne voudrais pas me parler de ton charmant client qui t’a invitée l’autre jour au restaurant et avec lequel tu as parlé des heures durant. D’habitude c’est toi qui invites tes clients, n’est-ce pas ???? Avait fait remarquer Maïlis avec un air canaille.    

Cette question ne méritait pas simplement une réponse mais une explication. Marie semblait ailleurs, saoule peut-être car elles avaient toutes deux abusées autant des bonbons que des bonnes bouteilles de vin blanc qu’elles avaient ouvertes sans compter. Or quand Marie ouvrit la bouche pour s’exprimer d’un ton à la fois sérieux mais surtout désemparé, l’une comme l’autre savaient que quelque chose se tramait sans toutefois que Marie puisse vraiment l’expliquer, à l’inverse de son amie qui voyait clair …

– Je suis bizarre en ce moment, je n’arrive plus à me concentrer sur rien ou plutôt tout me rend rêveuse, lointaine, absente. Je pense sans cesse au passé, à notre jeunesse. J’aurais pu broyer du noir en me rappelant qu’aujourd’hui je me retrouve seule et que mon mari me manque, mais ce n’est pas vraiment en lien avec lui ou envers les bons moments que nous avons eus. On dirait que j’ai la nostalgie de mes années de lycées où tout nous paraissait unique, essentiel et où le moindre événement chamboulait notre vie. Parfois prête à aimer à en mourir ou détester à fuir au bout du monde. Ces émotions de gamines adolescentes devraient me paraître si futiles désormais et pourtant je les ressens en permanence chaque jour qui passe. Je m’entiche en pensant que j’aime comme jamais, plus que je n’aurais espéré aimer après la disparition de Sébastien et parfois je ne sais plus où j’en suis. Et maintenant est un de ces moments où j’ai l’impression de nager à contre-courant, perdant pieds, souhaitant appeler au secours sans qu’aucun son n’arrive à sortir de ma gorge. Que m’arrive-t-il ? avait demandé Marie d’un air presque suppliant à son amie de toujours.

Maïlis avait écouté sans bouger à peine pour respirer tellement l’intervention de Marie l’avait émue. Elle la sentait si perdue, comment ne s’était-elle pas aperçue plus tôt de son désarroi. Elle avait depuis des mois tenté de la sortir pour lui présenter des hommes qu’elle croyait pouvoir lui plaire, la distraire mais en fait, Marie avait juste besoin de soutien de son amie. Maïlis s’en voulut de s’être plus préoccupée de ses propres envies que de celles de son amie cependant il n’était plus question de se focaliser sur sa petite personne, elle devait réagir.

– Depuis le décès de ton mari, tu assumes tout, sans doute trop de choses sans te préoccuper de comment tu allais vraiment. Tu as pris en charge tout et tout le monde tout en travaillant comme une forcenée sans prendre un jour de congés. Je travaille dur mais à côté de toi, je passe pour une feignante. Tu devrais prendre quelques jours et partir te reposer quelque part, tu pourrais accepter une virée avec Alexandre, un ami, qui comme toi à un certain moment, s’occupe de musiciens. Là encore Maïlis comprit mais un peu tard qu’elle avait parlé trop vite, parfois sa parole fonctionnait plus vite de son cerveau, alors elle lui proposa de partir toutes les deux. Maïlis espérait pouvoir se rattraper auprès de son amie si elle acceptait de passer un week-end avec elle.  

Avait-elle répondu à la question de Marie ? En tout état de cause, Marie aurait aimé qu’elle lui donne un remède miracle qui n’existait pas vraiment. Maïlis avait de nombreuses qualités or elle avait trop souvent tendance à entraîner tout le monde dans son sillage espérant rendre le sourire à celui qui est triste, la forme à celui qui se sent las, quitte à chambouler la vie des autres s’imaginant leur faire oublier leurs soucis. Maïlis était parfois envahissante mais c’était son amie et elle avait toujours été là pour elle dans les moments difficiles. Voilà pourquoi Marie accepta ce week-end mais pas avec son amie, elle la savait trop occupée pour lui demander ce sacrifice, outre son restaurant à gérer, elle avait sa famille qu’elle voyait trop peu à son goût. Ainsi Marie annonça à Maïlis qu’elle ferait donc une petite escapade avec cet ami qu’elle voulait lui présenter. Depuis des mois, Maïlis l’avait introduite auprès d’un certain nombre de célibataires parmi ses relations, et Marie se demandait d’où sortaient tous ces messieurs dont elle ne lui avait jamais parlé. Certes Marie était partie un temps vivre sa vie ailleurs durant près de vingt-cinq ans, cependant elles avaient toujours été très proches. Elles avaient entretenu au cours de ces longues années une correspondance soutenue où chacune d’entre se confiait à l’autre. Par ailleurs, elles avaient été ensemble à l’école primaire, au collège puis au lycée et avaient fréquenté les mêmes amis toute cette période. A l’époque Maïlis lui dévoilait toutes ses sensations, ses envies, ses soucis, elle lui faisait partager tous ses secrets et dieu sait qu’elle en avait.

A l’inverse, Marie était sa confidente, l’épaule sur laquelle elle pleurait. Elle avait toujours été très excessive, ainsi ses grandes passions amoureuses se terminaient toujours en drame et ses rires se transformaient en larmes que Marie savait éponger. Aujourd’hui elle restait toujours son oreille attentive même si avec le temps elle était devenue plus raisonnable, elle pleurait moins mais elle pestait plus après tous ceux qui parfois la faisaient souffrir ou lui faisaient de la peine. C’étaient de véritables amies. Maïlis connaissait tout de la vie de Marie, en tant qu’épouse, que mère, ses réussites professionnelles comme ses échecs parfois. Tout ce qui avait fait d’elle ce qu’elle était. Pour ces raisons Maïlis était certaine de savoir quel homme conviendrait à son amie. Et elle n’avait de cesse de lui trouver la perle rare. Marie la soupçonnait de rencontrer en douce tous ces messieurs dégotés on ne sait où pour les jauger. 

Maïlis finit par lui faire rencontrer ce fameux ami Alexandre John à l’occasion d’un dîner. Elle souhaitait que son amie prenne le temps de le connaitre avant de le jeter à la poubelle comme un vieux kleenex, attitude qui était quasi-systématique. Ce soir-là, elle s’était trahie entre le fromage et le dessert lorsqu’elle avait demandé à Alexandre où il avait passé son enfance. Maïlis avait craint que Marie s’en aperçoive mais celle-ci avait fait en sorte d’être si absorbée par ce beau brun ténébreux qu’elle n’écoutait même pas ce que disait son amie. Cependant Marie n’était pas dupe, ils étaient censés être amis depuis son départ pour la capitale après son mariage …. Comment avait-elle pu oublier ce détail ??? Ce qu’elle venait de découvrir n’avait en fait aucune importance puisque Maïlis était pleine de bonnes intentions à son égard. Jamais elle n’avait pensé à mal. Maïlis lui répétait sans cesse qu’elle avait encore le droit d’être heureuse à nouveau car pour elle, vivre seule était synonyme de solitude et donc de tristesse. Marie avait tenté de lui expliquer qu’elle se sentait heureuse ainsi, rien ne la faisait changer d’avis, alors Marie la laissait faire. Maïlis ressemblait à une petite fille quand elle regardait son amie avec ses grands yeux de chiens battus prêts à fondre en larme à la première occasion. Et Marie devait avouer que toutes ces soirées, tous ces week-ends lui faisaient, malgré tout, un bien immense, même si aujourd’hui elle avait l’impression de ne plus avoir rien à demander ou espérer de la vie tant elle l’avait comblée jusqu’à présent.

Le dîner avec le Bel Alexandre, manager auprès de musiciens, eut lieu et il en profita pour inviter Marie à se joindre à lui à l’occasion d’un déplacement qu’il avait en Italie, à Bordighera exactement. L’une de ses jeunes talents était invitée d’honneur à l’occasion de deux soirées de bienfaisance pour réunir des fonds pour une bonne cause. Elle devait être accompagnée d’un pianiste qui allait se retrouver un peu comme Marie, invité de dernières minutes. Ils devaient tous se rejoindre dans la région de Cannes où ensemble ils prendraient une voiture pour se rendre à destination. Marie accepta à la surprise générale.

Le jour de leur départ, il faisait un soleil magnifique et Marie se sentait belle et désirable surtout au travers des yeux d’Alexandre qui la dévorait littéralement. Le rendez-vous était donné, vers 14h au bar du Carlton où ils prenaient régulièrement leur quartier depuis quelques mois, suivant un accord qu’Alexandre avait passé avec le directeur ; en échange de deux concerts une fois par mois, un en soirée et un autre en fin d’après-midi, ses musiciens étaient hébergés la nuit. Anna et Patrick étaient arrivés en même temps, Marie apprenait qu’ils venaient de finir la répétition dudit concert. En voyant Patrick, Marie ne s’attendait pas à rencontrer un homme d’âge mûr, enfin disons la quarantaine bien installée. Sans que Marie aborde le sujet avec Alexandre, elle avait supposé que celui qui devait accompagner la protégée d’Alexandre, devait être un jeune et talentueux pianiste d’une vingtaine d’années.

Alors que tous les quatre échangeaient des politesses d’usage et quelques banalités, Alexandre nous raconta comment il avait été mis en relation avec Patrick. Un concours de circonstances avait fait que le pianiste qui devait initialement venir en Italie, un jeune musicien de vingt-cinq, s’était désisté prétextant un quelconque rendez-vous impossible à déplacer. Alexandre avait lancé un appel auprès des directeurs de conservatoire et Patrick, professeur d’accompagnement piano en autre auprès du conservatoire de Cannes s’était gentiment proposé. C’était une chance inespérée pour Anna de jouer avec un grand professionnel.   

Pour rejoindre l’Italie, Patrick avait proposé de prendre sa voiture pour se sentir plus libre sur place. Alexandre avait laissé Anna, sa jeune violoniste choisir son chauffeur et la voiture dans laquelle elle préférait voyager, bien qu’il n’y ait qu’une heure de trajet. Alexandre comptait prendre son vieux 4X4 tandis que Patrick avait un joli coupé, cabriolet, 308 tout neuf. Le choix d’Anna n’avait pas été très difficile même si elle n’aimait pas particulièrement être avec des personnes qu’elle ne connaissait pas. Le plaisir de voyager dans une décapotable avait fini de la séduire.

Le temps avançant, ils devaient regagner leur voiture respective pour se rendre en Italie et comme Alexandre se retrouvait seul avec Marie, il avait décidé de changer de voiture. Il avait pris soin d’appeler un ami pour lui demander un service. C’est ainsi que Marie et Anna avaient eu une agréable surprise en regagnant le parking, enfin la surprise fut plus agréable pour Marie car Anna à cet instant aurait certainement bien volontiers échangé sa place. Alexandre avait décidé de prendre son Aston Martin gris-bleue avançait par le voiturier du Carlton. C’était effectivement un collectionneur et il en possédait une petite dizaine dont la plupart était stationnée dans la propriété d’un ami cannois, lui-même collectionneur, résidant à quelques minutes de l’hôtel. Celle-ci était sa préférée. Marie avait vraiment l’impression qu’Alexandre faisait tout ce qu’il pouvait pour la séduire et c’était plutôt réussi.

 

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