Leel écarta une mèche de cheveux. L’intérieur de la soute du vaisseau était sombre et humide. L’eau suintait le long des murs de métal les faisant reluire. Ainsi, même dans l’obscurité, Leel pouvait en distinguer les moindres aspérités, pareilles à des pierres précieuses incrustées dans les parois du bâtiment. Le bruit des moteurs mis à part, on aurait pu se croire dans une grotte. Une grotte qui vole, pensa Leel.
Un courant d’air glacé la fit frissonner.
Mais pourquoi fallait-il que les novices se tapent le voyage dans ces conditions ?! Il y avait bien assez d’espace pour loger tout le monde… Peut-être était-ce spécifique à son vaisseau ? Non, assurément non. Elle avait vu les autres embarquer de la même façon, par l’arrière des transporteurs.
Une fois de plus, elle soupira de lassitude. Autour d’elle, certains bavardaient. Les conditions de transport ne semblaient pas les affecter le moins du monde. Ils paraissaient heureux. L’ambiance était plutôt à la fête ; on sentait même un brin d’excitation. Après tout, ils commençaient une nouvelle étape de leur vie ; et ils savouraient pleinement ce moment.
– Abrutis…, maugréa Leel.
– Qu’est-ce que tu as dit ? lui demanda son voisin de façon candide.
Leel, surprise, se tourna lentement vers l’inconscient qui avaient osé interrompre sa monotonie grincheuse. Elle haussa un sourcil, et marqua un temps de silence. L’abruti en question était plutôt agréable à regarder. Il avait des yeux clairs dont Leel ne put déterminer la couleur mais qui ressortaient sur son visage légèrement halé. Hélas, un bon gros sourire jovial respirant la bonne humeur gâchait tout. Leel plissa les yeux et répondit à l’insolent perturbateur.
– Rien.
Surpris par le ton glacial mais persuadé que son instinct le trompait, il continua.
– Pourtant j’aurais juré avoir entendu des sons sortir de ta bouche. Mais peut-être que je me trompe, les moteurs font quand même pas mal de bruit. C’est ta première fois dans un vaisseau ?
Leel ne répondit pas. Elle était partagée entre la profonde déprime de devoir poursuivre cette conversation qui risquait de déboucher sur une relation sociale, et l’envie de mettre son poing dans le visage parfait de cet impertinent qui avait mettre un terme à sa savoureuse solitude moribonde.
– Je m’appelle Liorem, poursuivit-il. Et toi ? Tu dois bien avoir un nom ?
Tandis qu’il posait la question, ses yeux cherchaient le badge de sécurité sur la veste de sa voisine. Chaque novice était obligé de porter ce badge sur lequel était inscrit son nom mais qui contenait surtout en mémoire un grand nombre d’informations sur son porteur.
– Leel Neyel ! Enchanté ! lança Liorem en tendant sa main.
Leel ignora la main tendue et s’enfonça dans sa bouderie. Le jeune homme soupira, visiblement déçu. Puis, retrouvant sa bonne humeur, il se retourna vers ses camarades.
Outre Leel et deux autres novices assoupis, les jeunes gens conversaient avec enthousiasme. La plupart effectuaient leur premier vol et, même si le paysage était un tant soit peu répétitif au-dessus des nuages, l’aventure restait excitante.
– A l’arrivée il ne faudra pas trainer, affirma l’un d’eux. Maintenant, nous dépendons de l’armée. Bien que nos tâches soient secondaires et circonscrites aux camps et aux plages, ce continent reste sauvage et recèle plein de dangers.
– Tu l’as apprise par cœur ta phrase ou quoi ? demanda une jeune femme à l’allure sportive un soupçon d’ironie dans la voix. Tu m’as l’air d’en savoir beaucoup sur le sujet pour un simple novice continua celle qui répondait au nom de Miyah.
– Mon frère est déjà venu ici dans le cadre d’une de ses missions. Il y a passé quelques semaines. Le major Bodmer est à la tête des cinq camps et il ne plaisante pas, se défendit le jeune homme. Il parait qu’il a déjà fait renvoyer des novices chez eux.
Il se pencha vers les autres en chuchotant comme si l’on risquait de l’entendre malgré le grondement des moteurs.
– L’un d’eux aurait même était obligé de retourner en dernière année et de repasser l’épreuve du choix.
Cette dernière affirmation provoqua une certaine stupéfaction parmi son auditoire. Miyah grinça des dents et lâcha d’un ton sarcastique :
– Bah voyons… c’est toujours ton frère qui…
Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase ; la porte s’ouvrit et un instructeur apparu.
– Messieurs Dames les novices préparez-vous, nous arrivons au camp principal.
Leel sortit de sa rêverie. Elle sentit l’appareil amorcer sa descente et ferma les yeux. Elle se délectait de cette étrange sensation de légèreté, d’autant plus que le pilote semblait presser d’arriver. Les autres, bien que solidement attachés, n’appréciaient visiblement pas ce moment comme elle. Certains s’étaient crispés et s’accrochaient à la paroi.
Il est vrai que celle-ci ne fonçait pas vers le sol à une vitesse grandiose comme le reste du vaisseau… Leel leva les yeux au ciel en soupirant.
– Tout le monde est bien attaché j’espère ? questionna l’instructeur revenu précipitamment vérifier la sécurité des novices.
Son apparition soudaine fit sursauter Leel, ce qui ne manqua pas de faire sourire l’intéressé retrouvant immédiatement son aplomb.
– Eh bien jeune fille, un peu de cran. Un monde nouveau vous attend, et il y a surement bien plus effrayant que moi là en bas, dit-il en plaisantant.
– Comme le major Bodmer ? rétorqua Leel.
L’instructeur tiqua puis ouvrit la bouche pour répondre. Il s’abstint finalement ne sachant quoi dire et referma la porte. La descente continua mais le pilote avait adouci sa manœuvre et son angle d’approche, au bonheur de la plupart des passagers de la soute.
– Finalement, tu ne sembles pas irrécupérable, lui glissa Liorem d’un air espiègle.
Le vaisseau-cargo se posa enfin dans un bruit de métal usé et de moteurs vrombissant. La forte odeur du plasma brûlé envahit l’atmosphère alors que la rampe d’accès arrière s’abaissait. Les novices toussaient et plissaient les yeux à cause des émanations. Ils enlevèrent leurs harnais et s’avancèrent lentement vers l’inconnu.
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