À son appartement,
13h30.
Mes sacs de courses en main, je monte mon escalier privé avec ma meilleure amie sur les talons. Je les dépose sur la table de la cuisine et Roxy nous rejoint. Heureuse de nous voir et de me retrouver, elle nous fait la fête. Caroline s’occupe d’elle pendant que je range mes achats. Après une vingtaine de minutes à remplir les placards et le réfrigérateur, je m’octroie une pause bien méritée dans mon canapé. J’enlève le mode avion de mon portable et je m’allume une cigarette.
— Je te remercie pour le coup de main Caro.
— De rien. Tu sais que je serais toujours là pour toi. De plus, on devait déjeuner ensemble ce midi donc cela ne m’a pas dérangé.
— Je sais. D’ailleurs, je te remercie pour ça aussi. Tu es la seule personne sur lequel je peux compter en cas de besoin.
Caroline et moi, nous nous connaissons depuis l’enfance, nous avons grandi ensemble. À notre grande surprise et malgré une séparation de plusieurs années, notre amitié est restée intacte. Nous avons pu le constater lorsque nous nous sommes retrouvés par hasard, il y a quelques mois. Nous nous sommes parlé comme si, nous nous étions quitté la veille. Retrouver notre complicité et notre relation fusionnelle d’antan m’a fait un bien fou. Tout comme le fait de me confier et d’être écouté avec attention sans avoir l’impression de parler dans le vide. Cette oreille attentive, Aaron l’a aussi, mais c’est diffèrent.
— Mmmh… Ce n’est pas tout à fait exact puisque tu as aussi Aaron, maintenant.
— Oui. Sauf qu’il habite, étudie et travail à Paris. Je doute qu’il fasse cent dix kilomètres à trois heures du matin pour venir me chercher ou m’aider si j’ai un problème.
— À ta place, je n’en serais pas aussi sûre. Parce que d’après ce que tu as accepté de me dire à son sujet, il en serait tout à fait capable. De toute évidence, il tient à toi puisqu’en dix-huit mois, il n’a jamais rien tenté. Et il prend de tes nouvelles quotidiennement.
— Ce n’est pas parce qu’il n’a rien tenté, que nous échangeons sur la pluie, le beau temps, nos emplois du temps respectifs et les déroulements de nos journées qu’il est sincère. Qui te dit qu’il ne continue pas d’enchaîner les conquêtes ? Ou qu’il ne se paie pas ma tête avec ses amis ?
— Parce que si c’était vrai, tu ne passerais pas tes journées à discuter avec lui. Tu n’aurais pas un sourire d’imbécile heureuse, placardée sur le visage dès que tu reçois un message. Tout comme tu ne serais pas écarlate à l’entente de son prénom ni quand on parle de lui. Tu es déjà mordue d’Aaron, mais tu as peur. Alors, tu te rassures en lui trouvant des défauts ou tu en inventes pour avoir une raison de le repousser et de ne pas sauter le pas.
— Toi et ta psychologie de comptoir, vous m’énervez, je déclare avec les joues rosit en l’évitant du regard.
— Peut-être, mais j’ai raison, se vante-t-elle, souriante.
Je confirme. Dire qu’Aaron me laisse indifférent ce serait mentir. Cependant, je suis réaliste. Nous ne sommes pas faits pour être ensemble, nous sommes trop différents. D’un par notre éducation et notre statut social. Et de deux, je ne vois pas ce qu’il ferait avec une femme ronde, tel que moi. Je n’ai rien pour plaire, sauf peut-être mes yeux bleus. C’est la seule chose que j’apprécie chez moi et que je sais mette en valeur. Le reste, je ne préfère pas en parler. Contrairement à moi, ma meilleure amie à tout pour elle et je la verrais bien avec Aaron.
Elle est belle, séduisante, intelligente, drôle et pétillante. Elle est brune aux yeux verts et elle mesure 1m76 pour 62 kilos. Elle a la peau mate, des formes homogènes et des cheveux longs, légèrement ondulés. Quant à son parcours scolaire, il est exceptionnel. Caroline a obtenu son bac et elle a fait ses études à la Harvard Law School aux États-Unis. L’une des facultés de droit les plus réputées, située à Cambridge dans l’État du Massachusetts. Aujourd’hui, elle est secrétaire juridique dans un cabinet d’avocats parisien et prestigieux.
Bientôt, mon portable bip plusieurs fois d’affilée suite à l’arrivée de plusieurs notifications. Je garde celles qui m’intéressent et enlève les autres. Tout comme je ne prête pas attention aux messages m’annonçant les appels manqués de ma mère. Son insistance, à me joindre ne présage jamais rien de bon. Le jour où elle m’appellera pour prendre – uniquement – de mes nouvelles, il tombera de la neige en été. À peine ai-je terminé mon tri que je reçois un message d’Aaron. Curieuse et impatiente, je m’empresse de le lire. Un sourire niait, coller au visage. Sauf que mon enthousiasme disparaît aussi vite qu’il est apparu. Mon front se perle d’eau et ma jambe gauche tremble avec nervosité. Caroline qui est assise à côté de moi, ne tarde pas à remarquer mon état. Inquiète, elle pose sa main sur mon épaule avec compassion et empathie.
— Ma chérie est-ce que ça va ? Tu n’as pas l’air bien.
Je ne sais pas si je dois pleurer, hurler ou m’enfermer dans ma salle de bain. Je m’attendais à tout, sauf à ça. Il a suffi qu’on en parle pour que ça se produise. Je ne sais pas quoi faire ni comment réagir. Pourquoi, maintenant ? Qu’est-ce qui est passé dans la tête d’Aaron pour qu’il me propose un rendez-vous en IRL autour d’un café, samedi après-midi ? Et à Paris, en plus ! Il sait que je ne connais pas la capitale. Que la foule m’angoisse et que je déteste être exposé en public. Et puis cela ne lui ressemble pas d’écrire autant de mots dans un texto. Aaron est toujours expéditif et concis. C’est très rare qu’il écrive plus de trois phrases et là, il en a écrit le double ou presque. Serait-il possible qu’il ne soit pas l’auteur de ce SMS ? Non, ce n’est pas envisageable puisque son téléphone ne quitte jamais sa poche. Donc, il a forcément écrit. Ce qui signifie qu’il a envie de me voir. Mais depuis, quand ? Et pourquoi aussi, soudainement ? Qu’est-ce que ça cache ? Aurait-il un problème particulier dont il ne souhaite pas parler par message ? Ou a-t-il autre chose en tête ?
Pendant que toutes ces questions sans réponses tournent en boucle dans ma tête, mon état de nervosité et de stress empirent. Prise au dépourvu, ma meilleure amie m’observe, déconcerté. Et ce un long moment avant qu’elle ne prenne la parole.
— Laure, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu as lu pour te retrouver dans cet état ?
— Il faut que j’appelle Aaron !, déclare-je.
— Quoi ? Maintenant ?, s’étonne-t-elle. Hors de question !, m’intime-t-elle en prenant mon téléphone de main.
— Hé ! Rends-moi, mon téléphone !
— Non. Si tu appelles Aaron dans cet état, c’est la catastrophe assurée ! Tu vas dire des choses que tu ne penses pas et tu vas le perdre. C’est ce que tu veux ?
— Non, avoue-je à voix basse en triturant mes doigts.