Bibliothèque Universitaire,
16h30.
Assis dans un coin isolé de la bibliothèque, un gobelet de café à la main, je lis les derniers chapitres que Laure à poster sur son blog. À cause de mon emploi du temps chargé de ses derniers jours, je n’ai pas pu les lires. Et étant donné que je suis en avance sur mon programme universitaire, j’en profite pour le faire durant ce moment d’accalmie. Comme d’habitude, ses textes sont poignants et entrent en écho avec mon âme et mon cœur. Depuis que j’ai commencé à la suivre, il y a une chose dont je suis certain : elle est aussi brisée et torturée que moi. À la seule différence que Laure est restée humaine malgré ses démons, contrairement à moi.
Les sentiments qu’elle dépeint et traite dans ses textes me fascinent. Ce sont des ressentis que je n’ai pas. Ou que j’ai perdu depuis longtemps. Laure m’intrigue de bien des façons, je dois le reconnaître. Mais ce qui m’interloque le plus chez elle, c’est sa capacité de reviviscence. Elle semble renaître après chaque épreuve qu’elle traverse et sa plume a le même effet sur son lectorat. Plus particulièrement sur moi. Laure est une femme exceptionnelle, c’est une certitude. Ma première. La deuxième, c’est que je ne peux pas me passer d’elle, de ses textes et de nos échanges. Elle me donne envie de la choyer, de la chérir et de la protéger envers et contre tous. Même si, je suis incapable de l’admettre – totalement – et de le prononcer à voix haute.
Je poursuis ma lecture en jetant un œil sur mon portable par moments. Avec l’espoir de recevoir un message de Laure pour avoir de ses nouvelles. Mon présage de ce matin à son sujet se révèle de plus en plus exact au fil des heures. L’invitation inopinée de Valentin a été trop brusque pour elle. Laure ne me recontactera pas que ce soit aujourd’hui ou demain. D’un autre côté, je ne lui ai pas envoyé de SMS depuis celui de Valentin. En même temps, je ne sais pas quoi lui dire. Éviter la question ou dire la vérité n’est pas envisageable et faire comme si de rien n’était non plus. Dans les deux cas, je vais empirer les choses et je prends le risque de la perdre. Sois la seule chose que je ne veux pas.
— Qu’est-ce que tu lis ?, me susurre une voix près de mon oreille, tandis qu’une main se pose sur ma clavicule.
Les effluves du parfum floral acidulé et rempli de phéromones de Charlotte flottent dans l’air et je referme mon ordinateur.
— Rien qui n’est un quelconque intérêt pour toi. Enlève ta main.
— Pourquoi tu es toujours aussi froid avec moi ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?, m’interroge-t-elle en me mettant son décolleté sous le nez et me regardant avec des yeux de cocker.
— Ne te fatigue pas. Ton petit jeu ne fonctionne pas avec moi, je conclus en me levant de ma chaise.
Je mets mon téléphone dans ma poche. Récupère mon ordinateur et mon gobelet.
— Tu ne m’intéresses pas. Et tu ne m’intéresseras jamais, je termine.
Puis, je la contourne et je m’en vais sans dire un mot de plus. À l’instar de Laure, Charlotte représente tout ce qui me révulse chez une femme. Elle est snob, superficielle, vénale et narcissique. Certes, elle est pulpeuse et elle n’est pas désagréable à regarder, mais elle a obtenu ce corps à coup de bistouri de plusieurs milliers d’euros. J’ai un faible pour les femmes naturellement bien en chair voire ronde. Pas pour les bimbos refaites par la chirurgie esthétique. Sans profondeur, dénué de cœur, et ce, malgré le cliché auquel, je suis associé contre mon gré.
— Tôt ou tard, tu seras à moi Aaron ! Que tu le veuilles ou non.
Ne préférant pas relever, je jette mon gobelet dans la poubelle et je quitte la bibliothèque pour me rendre dehors. Je prends la direction du parking et j’aperçois la touffe blonde de Valentin au loin. Cet imbécile heureux m’a évité tout le reste de la journée. Bien décidé, à lui dire deux mots, je me mets à le suivre en accélérant le pas. Le connaissant et vu l’heure, il doit certainement rejoindre Ethan dans leur coin habituel. Avant qu’ils ne rentrent chacun de leur côté et se retrouvent plus tard dans la soirée chez l’un ou chez l’autre.
Ils sortent ensemble depuis plusieurs mois déjà. Mais comme ils sont issus d’une famille catholique pratiquante et ont grandi ensemble, ils vivent leur idylle en secret. À part moi et Charly, la sœur de Valentin, personne n’est au courant. Enfin moi, je l’ai appris par hasard. En les surprenant – au tout début de leur relation- dans les toilettes d’un restaurant, où ils dînaient ensemble avec leurs familles. Bien que je n’aurais jamais rien dit, j’ai dû leur promettre de vive voix de garder le secret pour qu’ils me laissent partir.
Je ne tarde pas à les rejoindre. Je laisse Valentin profiter des lèvres d’Ethan, un moment avant de l’attraper par le colback.
— Viens avec moi. J’ai deux mots à te dire, je lui annonce en l’entraînant avec moi.
— Je reviens dans deux minutes, mon cœur. Attends-moi !, prévient-il Ethan en se voulant rassurant et en souriant.
— Oui. Enfin, si tu n’es pas mort avant.
Je l’entends déglutir en douce, tout en gardant son sourire indéfectible et chaleureux sur son visage. Bientôt, nous disparaissons du champ de vision d’Ethan et je le plaque un mur. Valentin à beau-être svelte, il est large et carré des épaules. Il est musclé et mesure 1m89 pour 82 kilos. Et il a la particularité d’être insensible à la douleur depuis qu’il est petit.
— Je peux savoir ce qui t’a pris de donner un rendez-vous IRL à Laure, samedi ?!
— Je te l’ai dit, j’ai envie de la connaître et j’ai voulu t’aider à te lancer, rien de plus.
— Sauf que je ne t’ai rien demandé ! Ma relation avec Laure ne te regarde pas et tu n’as pas à t’en mêler. Tu te débrouilles comme tu veux, mais tu répares ta connerie et vite !
— Je n’ai rien à réparer puisque elle viendra samedi, j’en suis certain. Et tu me remercieras d’avoir pris les devants.
— La seule chose pour laquelle je pourrais te remercier, c’est d’avoir tout gâché ! Parce que tu auras fait fuir, la seule personne qui me rend vivant, humain et m’apaise. Laure représente énormément pour moi et par ta faute, je vais la perdre ! Si ce n’est pas déjà fait…