12 mins
L’oeil
– Hummm lâche moi! Sérieux je viens de te dire noooon! … Pourquoi t’insistes Merde! murmura Élo en frappant sur son oreiller.
Qu’est-ce qui se passe, tout est flou. Noir, blanc avec un tout petit peu de gris pensa-t-elle en essayant d’ouvrir les yeux. Comment se fait-il que mon lit soit si dur tout à coup? Elle sentit une raideur paralyser son cou lorsqu’elle reçut un petit coup sur le nez. Puis un deuxième et sans attendre arriva un troisième.
-Misère, pas Gus qui fait encore des siennes!
Gus est mon chat. Un gros chat. Vraiment obèse. Le chat de la famille mais surtout mon mortel préféré. Il est gros comme moi, avec une bedaine qui pendouille. Je n’ai pas de bedaine qui pendouille mais je travaille fort pour en avoir une. Gus est orange et blanc. Un chat ordinaire ressemblant à de la rouille mélangée à de la neige. Il n’est pas chanceux ce Gus. En plus d’avoir un pelage rappelant l’automne et l’hiver, il lui manque un œil. C’est un vieux chat éclopé qui a été trouvé dans un fosset par un jour de pluie. Il n’avait que quelques mois et avait déjà sûrement vécu plusieurs aventures pour se retrouver affamé, blessé et seul dans un fossé sur le bord de la route. C’est là que leur première rencontre se fit. Dans un trou de vase à la pluie battante. Il n’était pas question de le laisser partir.
Nos différences? Y’en a pas tant que ça. Bien sûr, j’ai mes deux yeux fonctionnels et une légère bedaine mais Gus et moi, on se ressemble. J’ai les cheveux mauve et noire. On a deux couleurs mais pas les mêmes. Il est paresseux et moi! …bien, … Je dirais que je gère mon temps d’une façon « constructive » … et quelques fois… pas! Il aime manger mais c’est une fine bouche. Moi aussi.
Pour dire vrai, je ne suis pas son maitre. Gus n’a pas de maitre. Il est son propre maitre. Il est né libre et malgré le fait qu’il a désormais une maison et une famille, il part à l’aventure souvent durant quelques jours sans donner de nouvelle. Il a peut-être une double vie comme moi finalement.
Pourtant, j’avais bien fermé ma porte hier soir quand je me suis couchée. Il a dû se lamenter sur le bord de la porte et vouloir entrer durant la nuit. Naturellement, ma mère l’a sûrement fait entrer. Pfff! Eh merde! C’est une conspiration contre moi! Et le voilà qui s’applique à me faire suer ce matin! se dit-elle en essayant de se bouger un peu.
Sans attendre la prochaine petite tappe, Élo ouvrit les yeux, pour vrai cette fois et essaya d’attraper le félin de ses mains. Elle présuma qu’il était près d’elle mais en passant sa main, tout ce qu’elle attrapa fut du vent.
Surprise et inquiète, elle regarda autour d’elle. Elle fronça les sourcils et tourna la tête vers la droite puis vers la gauche. Tout à coup, elle vit un éclair traverser la pièce. Elle recula. Elle essaya de reculer devrait-on dire … instinctivement … comme pour se faire une idée du décor qui l’entourait mais elle en fut incapable. Elle n’était plus dans sa chambre, ça elle le savait. Noir, blanc et gris. Voilà ce qu’était le décor qui l’entourait mais tout était plus intense. Un noir profond, un blanc pur et un gris …étrangement connu.
Elle se rendit compte très vite que la raideur de son cou provenait de la position qu’elle avait avant de se réveiller dans cet endroit. Elle était couchée sur le ventre, le visage collé au sol les jambes relevées comme lorsqu’elle s’était couchée hier soir. Elle s’en souvenait parce qu’elle se couche toujours ainsi. Tout doucement, elle commença à répertorier tous les membres de son corps. Deux pieds, deux jambes que je peux bouger, mon dos…
Ahhhhh! j’ai mal! cria-t-elle intérieurement.
Elle continua à répertorier le reste de son corps scrupuleusement comme pour laisser à sa tête et son esprit, le temps d’emmagasiner et de comprendre ce qui lui arrive.
Elle souleva la tête doucement.
-Aie !! mon œil!
Elle essaya finalement de se lever. Doucement …tout doucement. Elle sentit une douleur lancinante traverser son œil gauche. Il enflait. Elle le tâta et sentit que le contour commençait à enflée dangereusement à chacun des battements de son cœur.
Mais elle sentit autre chose… avec son nez cette fois …une odeur! Cette odeur qu’elle sent chaque fois qu’elle le voit. Un mélange d’encens et de terre fraîche. Comme venue de l’au-delà. Mystérieuse mais douce.
C’est alors qu’elle sût.
-Bonjour Éloanne!
Élo su que c’était lui qui l’avait amené jusqu’ici.
Lui! Encore lui!
AAAhhh !! Non Monsieur Henri, je vous avais dit que je ne voulais plus de ça. Pourquoi m’amener ici! Cria-t-elle mentalement.
Silence.
Le voyant demeurer silencieux malgré ses reproches, elle se dit qu’elle en aurait pour un bon moment. Elle prit une grande respiration , exaspérée, et essaya de s’asseoir. Il était à côté d’elle. Bien droit. Il attendait comme s’il jouait un rôle. Elle leva les yeux doucement. Il était bien maigre ce Monsieur Henri. Il avait l’apparence d’un homme âgé, la soixantaine, peut-être plus. Qui sait! De l’autre côté, l’âge ne se calcule pas comme ici.
Il la regarda avec ce même regard doux et bienveillant à chaque fois qu’il la voyait. Comme un père qui regarde sa fille. En tout cas, elle le présumait. Il avait les yeux d’un bleu profond et intense.
Lui.
Elle le voyait dans sa couleur et sa forme originale. C’est-à-dire lumineux et en couleur. Comme un humain mais il ne l’était pas. Il dégageait quelque chose qu’Élo ne pouvait décrire. Peut-être de la pureté.
Mais où suis-je ? finit-elle par cracher, un peu trop fort à son goût en regardant autour d’elle. Elle sursauta légèrement de s’entendre parler aussi fort … dans sa tête. A chaque fois c’est la même chose, elle se sent comme dans un vase clos où la moindre vibration prenait des proportions plus qu’énorme. Il ne répondit pas. Il se contenta de rester debout à côté d’elle avec son air béat qu’elle avait l’habitude de dire en rigolant “un air de béa-titude”!
-Tu sais que je n’aime pas quand tu m’amènes je-ne-sais-où pour me parler! lui dit-elle en se relevant mollement. Regarde mon œil, il est tout cramoisi. Pourquoi ce vol plané vers l’autre monde? Pourquoi m’amener ici? Et pour me faire voir ces couleurs! « Toujours les mêmes d’ailleurs! » … et rien de plus! … Explique moi, je ne suis pas d’humeur aux devinettes!
Monsieur Henri garda le silence. Il garde toujours le silence. Enfin presque. À deux reprises, il avait parlé. Sinon, il se contentait de parler par télépathie avec elle. Il n’ouvrait pas souvent la bouche mais Élo entendait. Comme une voix, une émotion, un sentiment, elle comprenait. Il était plutôt du genre à lui présenter des images, des gens ou des mondes qu’elle ne connaissait pas et surtout qu’elle ne voulait pas connaitre.
Elle l’appelait Monsieur Henri parce qu’un jour, il lui avait demandé de lui trouver un nom. Celui qui lui plairait. Celui qui la mettrait à l’aise. Il lui avait signifié que son nom n’avait pas d’importance pour lui mais qu’il comprenait que pour nous, les humains, c’était important de nommer les choses et les gens. Le nom de « Monsieur Henri » est donc né à cet instant. Depuis qu’elle était dans le ventre de sa mère, elle le connaissait ce Monsieur Henri. Elle l’avait vu avant de naître et donc après sa naissance. Il venait toujours dans ses rêves. Elle savait qu’il était là. Jamais bien loin. À rôder et tournoyer autour d’elle. Elle le sentait mais elle ne le voyait pas contrairement aux êtres et entités qui occupaient tout son espace et sa vie.
Puis un jour, quelques temps après ses 14 ans, elle le vit pour de vrai. En chair et en os, si on peut dire. L’expression n’était pas tout à fait exacte mais c’étaient les mots qu’elle avait utilisés pour expliquer à sa mère l’étrange petit monsieur qui tournait autour d’elle lorsqu’elle était jeune. Elle comprit très tôt être la seule à le voir. Dans la cour d’école ou même dans la cuisine lorsque sa mère préparait le souper, il était là. Sa mère ne le voyait pas mais quelque fois Élo aurait juré qu’elle avait un doute sur sa présence. Il la faisait rire, vraiment beaucoup. Réfléchir aussi lorsqu’une situation problématique se présentait mais avec le temps, il se fit de plus en plus insistant et énigmatique.
Maintenant, à 17 ans, Élo ne l’avait pas revu depuis quelques mois. En fait, depuis qu’elle l’avait chassé de sa vie et de ses rêves. Elle lui avait crié de ne plus revenir et c’est ce qu’il avait fait…
Mais aujourd’hui, il était là.
Il était plus petit de taille qu’elle. De toute façon Élo avait toujours été plus grande et plus costaude que tout le monde et donc elle devait incliner la tête pour le regarder dans les yeux. Quelque chose semblait transcender de tout son être. Il semblait venir d’ailleurs. Et lui avait dit un jour être là pour elle. Élo sentit la colère montée en elle mais une partit d’elle ne pouvait cesser de le regarder…fascinée par ce qu’il dégageait.
Elle détourna finalement son regard.
Élo! lui dit Monsieur Henri. Regarde bien les couleurs et essai de voir au-delà … Au-delà de ce qu’elles semblent t’inspirer …Ne te laisse pas prendre dans le jeu et voit au-delà!
-Voit au-delà! Qu’est-ce que ça veut dire voir au-delà!… Je ne comprends rien! cria Élo en se frottant doucement le coin de l’œil blessé. Une forme attira son attention devant elle. Elle plissa les yeux, lâcha un petit cri de douleur et d’impatience en recommençant à se masser tout doucement le coté du visage. Au fond de la pièce, elle distingua un objet de grande taille. Un miroir sur pied ou ce qui sembla en être un. Il était plus grand qu’elle et de forme ovoïdale. Des milliers de petites fleurs argentées étaient incrustées dans la bordure de bois qui l’entourait. On aurait dit un roseau remplit de milliers de fleurs duquel jaissait un miroir. Il brillait malgré la faible luminosité de la pièce. Une énergie chaude et familière émana de l’objet. Élo prit quelques secondes pour essayer de comprendre pourquoi elle se sentait attirée par cet objet si singulier. Rien d’autre autour. Juste des murs noirs, un plancher blanc et gris avec cet objet au centre d’une vaste pièce. Élo chercha instinctivement Monsieur Henri du regard. Elle chercha son approbation… juste pour être certaine que c’était ce qu’il voulait qu’elle regarde. Que c’était bien lui qui avait orchestré tout cela. Il ne broncha pas et ses yeux rassurants lui donna l’élan qu’elle eut besoin pour regarder enfin devant elle.
Elle ne vit rien.
Oh si… peut-être un mélange de brume tournoyant et se mélangeant ensemble. De sombres sphères apparaissant puis disparaissant en s’entremêlant à l’infini. Mais rien de plus. On aurait dit un sauve-écran d’ordinateur.
-Misère! Té sérieux là? Dit-elle en soupirant encore.
-Élo, tu dois ouvrir ton cœur et laisser la chance aux gens de t’aimer. Ta peur t’éloigne de l’essentiel. Souffla-t-il doucement à son oreille.
Élo figea. Une forme apparue dans le miroir. Elle eut un réflexe de recul.
Elle ne pu dire de quelle forme il s’agissait mais son regard fut attiré par quelque chose qui lui sembla familier. Une sombre silhouette. Son pouls accéléra.
C’était elle.
Une reproduction presque parfaite d’elle. C’est-à-dire « Elle » là présentement. « Elle » dans le miroir. Stupéfaite, elle recula encore de quelques pas pour mieux évaluer ce qu’elle était entrain de voir. Au début, elle ne vit que son reflet entouré d’un halo blanc.
Suis-je un ange?
Sa silhouette était entourée d’une fine bruine qui virevoltait doucement. Puis, elle en aperçu les contours et devina son visage. Sa peau était couleur cellophane et ses yeux perçants et feutrés. Tout de l’image qu’on lui envoyait était identique ou presque … à sa réalité. Presque pareil à la copie originale. Les cheveux bicolores, les yeux creux et foncés, son petit nez percé d’un anneau et même ses lèvres discrètes. Tout y était. C’était bien elle. On aurait pu croire que quelqu’un avait repris les contours de son corps et qu’ils les avaient affinés et arrondis avec un crayon. Élo ne pu dire si le reflet qu’on lui renvoyait était une version plus belle qu’elle ne l’était en réalité.
Elle demeura silencieuse de longues minutes. Monsieur Henry à ses côtés. Elle examina chaque détail de son reflet, chaque parcelle de peau, chaque expression, chaque mouvement. Il y avait quelque chose de déstabilisant dans ce qu’elle vit. C’était elle mais avec une autre énergie. Une énergie belle et riche, sans peur ni tristesse. La « Élo » originale et vivante était la « Élo » du miroir mais il y avait un petit quelque chose de différent. Son double parfait avec le même âge, les mêmes traits physiques
Oui! … différent était le bon mot. L’image la rendit perplexe. Elle se pinça la lèvre du bas avec les doigts, pensive, comme chaque fois qu’elle ne comprenait pas ce qui se passait. Pendant quelques secondes, elle se persuada même que la personne devant elle était une étrangère.
Non « Elle » n’était définitivement pas « Elle ». Ce personnage est une autre que moi ou une jumelle ou une version fantasmagorique et améliorée de moi … mais pas moi! pensa-t-elle!
-Trouve-la! entendit-elle doucement.
Surprise de l’entendre murmurer, elle se retourna vers Monsieur Henry.
Il avait disparu.
Comme à chaque fois et pareil à un léger tourbillon, elle sentit qu’on l’aspirait à l’extérieur d’elle-même. Elle se sentit ramener tout doucement dans la réalité
Sa réalité.
Élo eut l’impression de se réveiller d’un long et pénible cauchemar. Elle resta quelques secondes les yeux fermés et essaya de faire passer cette nausée qui la prenait à chaque retour dans son corps. Elle repassa les images qu’elle venait de voir mais surtout le souvenir de son visage dans le miroir. Elle était belle et tellement … libre… Comment l’oublier. Après chaque expérience, elle se souvenait toujours de tout.
C’est le terrible fardeau d’une ado! se dit-elle en soupirant.
Une grande lassitude l’envahit. Elle dût se faire violence pour ne pas se décourager. Depuis toute petite, elle savait qu’elle était différente des autres enfants. Pas au début mais petit à petit, lorsque la conscience s’installe. Elle se rendait bien compte que les « autres » ne voyaient rien, n’entendaient pas les bruits, les mots ni même les plaintes. Très tôt, elle dû admettre qu’elle était bien loin de ressembler à sa grande sœur Emma ou même à sa mère et que dire de son père. Elle ne le connaissait que très peu. Cette bonne vieille sensation de solitude qui lui tenait compagnie depuis toujours, remonta en elle tout doucement. Elle ne comprenait pas et surtout ne voulait pas admettre qu’elle pouvait voir… voir ce que personne ne voit…entendre et sentir. Qu’elle emmerdement cette vie! pensa-t-elle!
Elle se leva péniblement de son lit. Il faisait jour depuis peu. Gustave était bien là. Il la regarda et la dévisagea du mieux qu’il le pu avec son seul œil ouvert. Quelle ironie quand même… Ne me juge pas Gus! lui dit-elle en tirant la langue. Et je t’en prie, ne te mêle pas de ça! ajouta-t-elle comme s’il pouvait comprendre ce qu’elle lui disait. Il quitta le lit lentement en lui jetant un regard de frustration lorsqu’il disparu par la porte de sa chambre.
Élo marcha d’un pas lent, vers la salle de bain, en prenant bien soin de ne pas réveiller sa mère. En voyant son œil meurtrit, elle aurait appelé les urgences mais elle aurait surtout joué au détective pour savoir d’où il venait mais surtout comment elle avait bien pu se frapper la tête pendant la nuit. Et qu’aurait-elle pu bien y répondre? Je ne sais pas maman, j’ai fait un vol plané sur le plancher et me suis retrouvée dans un endroit que je ne connais pas!
Lorsqu’elle était toute petite, elle ne se contentait pas que des personnages imaginaires pour l’accompagner et combler sa solitude. Elle avait aussi des « ami(e)s particuliers » comme les appelait sa mère. Ils vivaient tous autour d’elle …jour et nuit. Certains plus intenses et dramatiques que d’autres. Il y avait bien eu Bidule et Bateau, des animaux qui étaient de vrais personnages imaginaires. Les seuls qui n’existaient pas vraiment et chez qui elle avait trouvé du réconfort. Les autres se contentaient de venir la voir et de demander «de l’aide ». Certaines nuits étaient plus mouvementées que d’autres. Elle se faisait réveiller en pleine nuit par une voix qui voulait lui parler. Un jour, on l’avait même réveillé en sursaut en criant son prénom. Des corps translucides passant près d’elle et lui demandant, suppliant même de venir avec eux. Des ombres qui traversaient la maison en l’ignorant, la frôlant quelques fois. Mais le pire était qu’elle sentait l’énergie des gens qu’elle rencontrait. Elle avait cette facilité à reconnaitre et sentir les émotions dans le cœur des gens. Cela la traversait littéralement. Elle savait ce qu’ils avaient dans leurs cœurs mais aussi dans leurs âmes. Elle connaissait leurs vérités. Cela lui venait comme nous viennent les idées, soufflées dans notre esprit de temps à autres.
Pour survivre et ne pas devenir folle, elle avait compris que si elle baissait les yeux ou même les fermaient, quelques fois, ils passaient leur chemin sans s’arrêter. Elle s’était entrainée, secrètement à les voir et les sentir de moins en moins en fermant son esprit jusqu’à en être presque capable de les oublier. Lorsqu’elle racontait ses aventures à sa mère, celle-ci l’écoutait sans l’interrompre. Quelques fois, elle semblait comprendre réellement ce qu’elle vivait et lui parlait même des gens de l’au-delà. Quelques fois, elle lui disait que ces énergies autour d’elle étaient naturelles et quelques fois, elle ne disait rien. Elle l’écoutait, en silence comme si tout cela dépassait ses aptitudes parentales. Elle lui avait souvent répété que ce « don » faisait partit d’elle. Le renier ne faisait que retarder son évolution. Mais , elle sentait que sa mère n’avait plus de réponses. Elle aurait aimé que sa mère lui réponde qu’elle allait lui geler son « don » pour toujours et qu’elle pourrait choisir plus tard si elle le voulait ou non. Vivre avec quand elle serait adulte si elle le voulait. Elle savait que cela n’aurait pas été possible. Si elle le pouvait, tout cela aurait pu devenir un vague souvenir, une simple expérience. Mais la réalité était tout autre et cela ne faisait que l’emmerder!
Elle décida donc de commencer à garder tout cela pour elle. Un évènement à la fois. Elle se forçait à oublier des détails de ce qui lui était arrivée. De plus en plus chaque jour. Pour en venir à ne plus en parler du tout. Élo rigolait en ridiculisant les vieilles histoires du passé comme pour faire croire à sa mère mais surtout à elle-même, que tout cela étaient des lubies d’enfants. Elle était tellement convaincante et convaincue dans ce rôle qu’elle s’était forgée que même sa mère semblait vouloir le croire. Du moins, elle voulait le croire. Sa mère et sa sœur n’avaient presque plus ce regard inquiet lorsqu’elles la regardaient. Elles semblaient plus heureuses, plus épanouies et elle sentit que c’était la chose à faire. Elle s’était presque convaincue elle-même. Elle voulait tellement avoir une vie « normale ». Elle essayait de toute ses forces d’oublier son enfance et tout ce qui avait un rapport de près ou de loin avec les morts ou même avec tout ce qui semblait ésotérique ou qui sortait de l’ordinaire. Elle voulait une vie paisible d’une ado de son âge.
Mais quelques fois, il arrivait qu’elle se réveillât la nuit, angoissée et vulnérable. Elle allait se coucher au pied du lit de sa mère en secret. Elle écoutait son souffle calme et lent et s’endormait jusqu’au matin pour ensuite retourner dans sa chambre sur la pointe des pieds.
Non! Tout se passait quand même bien depuis presque 1 an. Elle était « normale ». Elle était complètement seule. Seule, sans entités qui rôdaient ou qui sollicitaient son aide.
Ouff !! Des nuits sans rêves ni ressentis. Cela lui plaisait. Certains jours, elle se sentait heureuse. Elle essayait d’oublier cette lourdeur qu’elle trainait depuis son tout jeune âge.
Puis, il y a quelques mois, durant un petit voyage dans une serre avec l’école pour le cours d’horticulture, elle revit Monsieur Henri. Il s’était retourné et il l’avait regardé avec son magnifique sourire en lui tendant une tomate. La nuit suivante, tous étaient revenus. Entités, fantômes et rêves prémonitoires. On aurait dit qu’ils s’étaient donnés le mot pour venir lui rendre visite et lui faire un petit coucou pour fêter leurs retrouvailles et ensuite repartir tout doucement.
-Maudit sois-tu Monsieur Henri! cria-t-elle dans sa tête comme s’il pouvait l’entendre.
Bien sûr, il entend tout! se dit-elle en ravalant sa salive.