Petites amours > 13. L’eau de la piscine

5 mins

Marie m’a donné rendez-vous au Demi Lune café en vieille ville. Ma première rencontre via un site internet. Grande, saine, de belles épaules, un long cou, je suis déjà là lorsqu’elle arrive. Je me lève pour la saluer et tire légèrement la chaise pour l’inviter à s’asseoir.

Elle est méfiante et parle très peu. J’en fais des tonnes pour meubler, certainement trop.
Je me demande si je lui plais, elle ne dit rien, regarde mes mains.

– Elles sont grandes me dit-elle.

Je les lui montre.

– Touche les si tu veux, elles sont toutes douces.

Elle me prend une main, la caresse.
Le contact de ma peau semble la rassurer. Elle me pose des questions sur ma famille, mon travail, mes origines.

– Nous ne sommes pas du même monde. Mes parents étaient des ouvriers. Je pense que la différence sociale est trop grande.

Je lui rétorque que mon grand-père était mécanicien de précision et ma grand-mère épicière.
Cela semble la relaxer, mais elle parle toujours très peu.

Je paie, nous nous levons et la raccompagne à son scooter. Je lui prends la main, l’embrasse, elle se laisse faire. Le baiser est profond, sensuel et long.

– Ta bouche m’a tout de suite plu, je l’ai beaucoup regardée me dit-elle

– Quand nous revoyons-nous ? Je lui demande.

– Je ne sais pas encore, J’ai d’autres rendez-vous dont un demain à Annecy. Je vois cette personne pour la deuxième fois. Je n’ai pas encore décidé. Je te rappellerai.

Le week-end s’écoule, j’imagine que mon concurrent annéciens a remporté la mise ?
Je lui envoie quand même un sms pour lui rappeler mon existence.
Elle me répond en fin de journée : Oui, j’ai envie de te revoir. Passe prendre un verre chez moi vendredi.

Marie habite dans une barre d’immeuble nouvellement construite. J’ai du mal à trouver la porte d’entrée, le No 20F. J’appuie sur le bouton de l’interphone. La porte s’ouvre automatiquement. Elle a déjà raccroché et ne peux lui demander à quel étage elle habite. Je décide de monter à pied et consulte les noms à toutes les portes. Au 8ème et avant dernier étage je trouve enfin son appartement. Je sonne. Sonne une nouvelle fois, une troisième fois, la porte s’ouvre enfin.

– Je n’ai pas entendu la sonnette m’explique t’elle, entre.

Je suis surpris par le manque de meuble, il n’y a pas de décoration, les murs sont nus, le sofa en tissu écru est dans un piètre état et parsemé d’auréoles brunes.

– C’est mon vieux chat dit-elle, il est souvent malade.

Je m’assois dans un coin plus ou moins épargné.

– Je n’ai rien à boire, peut-être du sirop à la framboise ?

Je lui dis que cela ira très bien. Elle se dirige dans la cuisine, étrangement vide elle aussi. Deux caisses à chat entourent une table de camping. Des chaises pliables en plastique blanc sont appuyées contre le mur.

– Tu m’excuses mais je dois nettoyer la litière de mes chats, ça ne sent pas bon.

Elle rapporte enfin le verre de sirop, j’ai envie de lui demander si elle s’est lavée les mains. Elle prend place à côte de moi.

– J’ai décidé de ne pas entrer en matière avec le garçon d’Annecy. C’est beaucoup trop loin et peu pratique.

Je lui demande si je suis le dernier en lice ?

Elle ne répond pas.
Je l’embrasse. Elle me regarde à peine, ne prend aucune initiative. Je lui propose d’aller dans sa chambre. Un matelas repose à même le sol. Je lui demande si elle vient d’emménager ?

– J’ai acheté cet appartement depuis 3 ans mais n’arrive pas à m’y installer. Mon ex-ami devait y vivre avec moi mais il est parti vivre avec un homme. J’ai tout fait pour le récupérer, je lui ai même proposé de venir avec son ami. Il n’a jamais repris contact.

Je ne sais que répondre, je regarde les draps, ils semblent propres.
Nous nous couchons. Elle s’offre à moi, entièrement, sans retenue. Elle jouit à plusieurs reprises, son corps est parcouru de spasmes particulièrement forts qui m’obligent à me retirer.
Marie ne dit rien. Elle sourit à moitié. S’affaire autour de mon sexe.

– Viens, me demande t’elle.

Nous passons la nuit ensemble. Elle est insatiable, je suis épuisé.
Je me demande sur qui je suis tombé.

Nous parlons peu, nous nous voyons cependant fréquemment. Le scénario est souvent le même, elle est nue quand elle m’ouvre la porte de son logis. Je me jette sur elle, nous baisons à même le sol dans le hall d’entrée. Nos corps à corps sont intenses, nous lient puissamment. Nous ne pouvons nous défaire l’un de l’autre et finissons par nous endormir sur son matelas, apaisés, rassasiés, le sexe douloureux. Le vide de l’appartement reflétant le vide de nos vies que nous remplissons par nos pratiques effrénées.

Marie a un jardin en pleine campagne, elle y est très attachée et y passe beaucoup de temps. La cabane en bois a été construite par son père, des chats harets y ont trouvé refuge, elle les nourrit régulièrement. Les plates-bandes de légumes sont bien entretenues, de vieux arbres fruitiers entourent une pergola sous laquelle est disposée une grande table et des chaises en plastique. Nous nous y retrouvons en fin de journée ou le week-end. Pendant qu’elle jardine je m’occupe du barbecue. Les moments passés ensembles sont simples, apaisants, silencieux. Elle m’observe beaucoup, souvent du coin de l’œil pendant qu’elle tond, désherbe, bêche, répare, plante, arrose ; elle est toujours très affairée, ne s’arrête jamais.
Elle m’a installé une chaise longue, sous un pommier, dans laquelle je m’enracine. Je lis, somnole, rêve, ne pense à rien et surveille le grill.
Elle m’apporte un verre de rosé, me parle avec ses yeux, me caresse. Les mouvements de son corps, les expressions de son visage supplantent le langage. Le geste est pur, les idées claires, les mots inutiles.
A toutes mes questions, Marie répond par un peut-être, ou ne répond pas. Son quotidien l’accapare entièrement, ses routines sont immuables. Elle s’occupe de moi comme de ses chats, avec beaucoup d’amour et de détachement. Elle me caresse, me nourrit, me fait l’amour et s’en va sans rien dire. Je ne connais rien d’elle…

Sans rien me demander, elle m’entraine petit à petit dans sa vie. La piscine de Marignac devient notre point de rencontre à midi. Pendant qu’elle nage ses deux kilomètres et demi, je nage difficilement mes 500 mètres. Mon corps se transforme au rythme des bassins, de plus en plus nombreux avec le temps. Mes trapèzes se développent, ma taille s’affine, mes épaules s’élargissent. L’eau me lave le corps et l’esprit, exacerbe ma sensualité, ramollit ma carapace. Marie m’encourage, me félicite, apprécie mes progrès. Je ronronne de plaisir. Mon corps s’appareille au sien, l’onde de plaisir qui nous submerge n’en est que plus forte.

Les mois passent. J’accompagne Marie dans sa routine, piscine à midi, Jardin dans l’après-midi, son lit dans la nuit. Comme ses chats, elle me laisse entièrement libre, ne me demande rien, n’attend rien. Nos corps s’entre-lient toujours autant, elle est heureuse quand je suis avec elle. Ne me dis rien lorsque je découche… et j’en profite tout autant que ses matous les soirs de pleine lune. Mes absences se rallongent, nos corps, quand ils se retrouvent, prennent imperceptiblement de la distance. Marie ne dit rien, ne pose pas de question.

L’eau de la piscine se trouble et après une énième nuit solitaire me demande de récupérer mes affaires. Sa porte ne s’ouvre plus, elle ne répond plus à mes messages, ne va plus nager.
… les nuits de pleine lune n’ont plus le même goût, elles n’ont plus de goût du tout. 

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