Les tags n’en finissaient pas. Albane était inscrite sur tous les murs, toutes les façades et supports imaginables. Ce prénom trottait dans l’esprit des gens le jour comme la nuit, il se manifestait partout, dans chaque conversation, renaissant à chaque fois que quelqu’un le prononçait comme si, du jour au lendemain l’entièreté de la population avait été atteinte du syndrome de la Tourette. Albane n’était pas seulement sur les murs ou dans les pensées, elle flottait dans l’air, les gens la respiraient. Personne ne se souciait plus de garder des espaces publics vierges d’écritures, même sans y être inscrit ils voyaient son prénom comme graver éternellement. Albane n’était plus une tache. Le support en était une, le monde en était une. Si Albane était perfection, le reste n’était que médiocrité. Les médias n’avaient pas besoin d’en parler, quoi qu’ils disent les habitants entendaient, lisaient Albane, les écrivains, artistes ne subissaient plus l’horreur qu’est la page blanche, ils subissaient la page Albane. Drôle d’analogie, sachant qu’Albane signifie blanc.
J’ai moi même écrit son nom sur des centaines et des centaines de pages. Je remplissais mes cahiers d’écoliers de ces six lettres, l’une après l’autre, ligne après ligne. Les professeurs ne s’en souciaient pas. Personne ne s’en souciait, les adultes portés eux mêmes par ces deux syllabes hypnotisantes nous laissait faire, la bien pensance cautionnait, aimait cela. Notre esprit n’avait pas la place de s’occuper d’autre chose, nous étions à la fois prisonniers de la présence abstraite de ce prénom et libérés de diverses préoccupations morales, qui, depuis Albane nous paraissaient à tous sans grande importance.
Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ce qui précédait Albane. Les plantes étaient toujours vertes, le ciel bleu, l’air chaud, ou froid selon les saisons. Les humains vivaient avant Albane, au sens biologique du terme. Albane nous a donné l’existence. Celle-ci est déterminée par l’impact qu’une quelconque forme indéfinie de matière spirituelle ou réelle a sur une autre. Albane nous impactait, et par ce biais, nous faisait exister, nous lui devions tout, le vide, la paix, une humanité perdue.
Pour la plupart d’entre nous, Albane a donc toujours été là de la même manière que les plantes ont toujours été vertes, le ciel bleu, l’air chaud, ou froid selon les saisons. Albane n’avait pas besoin d’être visible pour qu’on la voit, n’avait pas à produire de son pour qu’on l’entende, de nous toucher ou de dégager une odeur pour qu’on la sente. Pour moi, ce tout et ce rien complémentaires qu’Albane représentait suffisaient à me combler.