Je suis libre.
…Je suis libre, mais je ne suis pas certain de savoir ce qu’est la Liberté.
Et ses yeux, un regard de nouveau-né déjà empli de personnalité, se posent sur Thémis. Ce jour là, l’âme Valentine est de mauvaise humeur.
***
Aux frontières de Blind Folded, à Libra.
Soudain projeté dans un espace à l’infini, le Jugement Dernier, il s’appelait Valentine et son silence ressemblait à celui du calme avant la tempête, laissant clairement paraître à travers les traits posés de son visage, que la justice était sans doute la dernière des dernières des choses qui l’atteignait. C’était peut-être mieux ainsi…
Il était là, ce mortel d’il y a quelques instants, une nouvelle tâche dans cette salle infiniment grande, infiniment blanche, me fixant de son regard gris qui me tenait et qui ne me lâchait plus. Il était là, de son corps évidé de ses souvenirs les plus précieux –sa substance première, sans réaliser qu’il était en train de recevoir l’immortalité à travers son Passage, et je voyais clairement cette nouvelle âme épurée derrière ses cheveux trop clairs, derrière son teint blafard, derrière son corps trop étiré et trop osseux : tout dans son apparence me donnait une impression de faiblesse fugace. Mais son regard, un regard perçant, insistant et plein de questions trahissait une conscience assurément éveillée, turbulente. Sardonique. Et au-delà de tous les mots, il se tenait là tel un empereur débordant d’assurance, et ne cessait d’observer et d’observer encore, alors que la balance s’était mise à basculer d’un côté, délivrant une pseudo-sentence. Les questions sur l’impartialité… autrefois dans sa vie, il en aurait ricané à s’en reverser sur sa chaise.
***
– Quelle porte choisis-tu ? Finit par demander Thémis, comme à toutes les autres âmes à qu’elle condamne à l’éternité.
L’entité, supposée être Thémis, qui se trouvait dans la pièce infiniment grande, était omniprésente. Elle posait sa question à toutes les âmes à la fois et si cette salle était si vaste, c’était simplement pour recevoir toutes ces âmes passagères avant le Souffle de la balance. Elle ne soufflait pas grand chose, Droite ou Gauche, si peu pour choisir l’avenir d’une existence. Les âmes de ces existences, sauvagement arrachées à leur corps originel appartenant à un monde physique, ne se voyaient jamais entre elles dans cette Salle. Jamais.
– Quelle porte choisis-tu ?
– Je veux une autre question, je ne veux pas de porte.
Ils se jaugèrent du regard et un silence tomba. Et puis.
-Que veux tu ?
L’âme Valentine ne pensait pas qu’il y aurait une vie après la mort. Son existence s’arrêtait selon lui pour bientôt. L’âme Valentine, elle ne croyait qu’elle même, en sa métaphysique éphémère. Yui Valentine n’avait plus de vœux à faire parce qu’il n’avait pas envie d’une éternité.
– Et bien rendez la heureuse.
Les yeux gris de Valentine fixèrent intensément celle qui était en train de décider de son sort; c’était en soi, une des plus étranges situations qui lui soit donnée de vivre. Mais dans le fond, vivait-il réellement. Jamais il n’aurait cru que la mort serait aussi palpable.
Thémis a fini par sourire et Valentine, fermé les yeux. Les jours suivant restent inscrits dans le choc, la souffrance et une voie lente vers le rétablissement.
***
Au total, Valentine est mort plus de sept fois. Compte t-on réellement la mort après la mort ? Les lambeaux de sa personne, son l’ivresse de son désespoir et ses resets successifs ont tenté en vain de réduire son éternité. Il s’éteint à chaque fois du plus haut de la tour de Libra se laissant écraser au sol, dans une mort d’homme incomplet, incomplet de souvenirs entiers. La huitième tentative sera son retour sur Terre. C’est qu’à Libra, on n’accepte pas tellement les morts qui souhaitent mourrir.
***
La vie selon Valentine, est terrible, terrible aussi bien qu’en mal. Et c’est justement parce qu’elle a un début et une fin. Son passage dans cette dimension de l’au-delà est sans doute le tournant qui lui anéantira la mémoire malgré les avertissements de son entourage contre ses tentatives de mettre fin à son intemporalité. Et quand on le lui disait, Valentine décidait d’en sourire, d’une expression vide au regard perdu là bas, plus loin, au carrefour des chemins.