Halica avait dépassé Louis qui reniflait toujours. Elle utilisait ses sens thermiques pour voir a travers les murs et le long des couloirs sinueux. Au fond de celui-ci, la porte de gauche avait été maniée à plusieurs reprises et sa température été légèrement plus élevée que ses sœurs. Halica n’eut pas besoin de prévenir le loup, il avait senti l’odeur de l’homme. Campé sur ses jambes pliées, penché en avant, il attendit que Halica ouvre la porte.
Mais à peine eut-elle touché la poignée, du givre dans la main droite, que la porte s’ouvrit à la volée. L’élémentale l’évita de justesse, penchée en arrière. Un homme en sortit en trombe et plaqua Halica à terre, tel un rugbyman. Un autre le suivit et assena un violent coup de pied transversal dans les abdominaux de Louis qui se plia en deux, le souffle coupé. Un troisième s’enfuit à toute vitesse sans que Halica et Louis ne le voient, mais ils le sentirent tout deux. Le plus costaud maintint Halica à terre, assis sur elle, plaquant les mains de la brune contre le sol. Louis n’eut pas le temps de se remettre du premier coup qu’un autre lui fit plier genoux. Son agresseur se mit alors à lui envoyer des droites à répétition. Les coups réveillèrent Louis, il en avait reçu des tas dans sa jeune vie de loup et cet homme n’avait aucune force dans les bras. A chaque coup, le visage de Louis revenait plus féroce. Le quatrième coup de poing se logea dans la paume du loup-garou. Il l’agrippa avec ses griffes et se leva en le tordant vers l’extérieur. Le coup de poing circulaire qu’il envoya avait la force de dix comme ceux qu’il avait reçu précédemment. L’homme s’effondra.
Halica gela les poignets du rugbyman qui lâcha sous la brûlure du froid. Elle l’envoya ensuite contre le mur de ses deux paumes ouvertes et d’un peu de souffle givré. Quand elle se releva elle le transforma en statue de glace.
-Un autre s’est enfuit par là.
-Je sais (Louis regarda la statue), tu devrais lui découvrir le visage ou il va mourir asphyxié.
-Ho ! Oui.
La glace fondit et découvrit un visage bleu de veines aux traits apeurés. Les muscles des joues et de la bouche se contractaient dans l’espoir de pouvoir parler mais en vain.
-Panique pas mon gars, ça va aller mieux, le rassura Louis avant de rejoindre Halica dans le couloir suivant.
Ils coururent jusqu’à une porte de service qui donnait sur l’arrière-cour ; un petit parking bossu et envahis par les ronces, pissenlits et orties. Le fugueur était prêt à franchir la vieille barrière de sortie mais Halica leva la main et un mur de glace l’enferma, avec eux, sur le parking. L’homme, résolu, se retourna pour faire face à ses adversaires.
-On devrait peut-être…, voulu l’avertir Louis, mais la porte claqua derrière eux et Ethan surgit. En armure étincelante, il s’avança d’un pas décidé sur celui qui avait attisé sa colère. Il ne courait pas, il voulait que la peur monte en sa victime à chaque pas lourd qui les rapprochait. Il ignora ses deux amis, immobiles en observation derrière lui. Il n’y avait que lui et le contrôleur d’esprit, le kidnappeur de femme, le faiseur de harem et celui-ci s’appétait à comprendre son erreur.
Halica fit un geste simple à Louis, ils ne bougeraient pas. Ils laisseraient Ethan s’en occuper seul.
Armé de ses poings métalliques, Ethan se considéra assez près pour pouvoir lui assener un coup de maître. Parler, plus tard, d’abord, cogner. Il leva son gantelet, les doigts repliés, l’armure grinçant sous le mouvement. L’homme était resté immobile, attendant l’inévitable, les yeux creusé et cernés fixés sur le bras tendu. Il était maigre et osseux, le visage cireux et dépassait Ethan d’une tête. Mais dans son vieux chandail gris et ses vêtements trop grands pour son corps maladivement fin, il ne payait pas de mine face au petit mais solide chevalier qui fonçait sur lui avec la rage au ventre. Pourtant il ne bougeait pas. Les deux spectateurs pensèrent que la peur paralysait ses membres. L’assaillant trouva utile qu’il reste dans sa ligne de mire. Lui, attendit tout simplement que le petit homme de métal le touche, fusse un coup qui l’enverrait valser dix mètres plus loin et le sonnerait quelques secondes. Un touché et quelques secondes, cela lui suffirait.
Les articulations de ferraille percutèrent violemment la pommette saillante et l’homme fut projeté à terre. Ethan se rapprocha du corps squelettique dont les mains telles des serres recouvraient le visage. Il attendit un peu pour lui laisser le temps de reprendre conscience et ne rien louper de ce qu’il allait lui infliger. Il allait se baisser pour l’attraper au col mais s’immobilisa dans la descente. Halica et Louis le virent alors aider l’homme frêle à se relever.
-Ha. Sympa, lâcha Louis, je m’y attendais pas.
Les deux hommes s’échangèrent un regard et Ethan se dirigea vers l’audience.
-C’est parce-que ce n’est pas normal, expliqua Halica.
Derrière l’armure mouvante, l’homme gringalet commençait à reculer. Ethan sauta alors malgré le poids de l’acier qu’il portait, il atterrit sur l’élémentale froid, jambe droite tendue, jambe gauche pliée. Elle l’évita aisément et le recouvrit de glace.
-Occupe-toi de lui quand il se libérera, ordonna-t-elle à Louis avant de s’élancer à la poursuite du contrôleur qui courait vers les buissons dans l’espoir de trouver une sortie de secours.
Avec une densité plus légère, Halica le rattrapa vite. Il se retourna alors, face à elle, et emportée dans son élan, elle ne put l’éviter. Face à la main livide tendue vers son visage, elle se contorsionna mais le percuta de plein fouet. À terre, Halica préféra ne pas penser à la bêtise qu’elle venait de faire et plaqua sa main sur le visage du contrôleur. Un givre épais s’en échappa et mordu la peau de sa victime. L’homme râla. C’était la première fois qu’elle entendait sa voix et Halica ne l’aimait pas. Elle allait épaissir la glace quand un picotement à l’arrière du crâne l’arrêta. Sans retirer sa main, elle se retourna pour inspecter derrière elle. Louis tentait désespéramment d’esquiver les attaques répétées et tourbillonnantes de Ethan. Il recevait un coup ou deux de temps en temps mais n’abandonnait pas pour autant. Le picotement dans sa nuque s’intensifia. Elle refit face à sa proie qui, recroquevillée et immobile, laissait échapper une sorte de couinement irrégulier.
Un doute s’installa en Halica. Le froid qu’elle lui infligeait aurait dû lui faire perdre conscience. Pourtant il restait là, comme un enfant martyrisé, à geindre pour sa vie. Mais le gémissement s’accentua, devient plus sec et pincé. Il riait.
-Ça te fait rire ? Je vais te transformer en statue de glace, rira bien qui rira le dernier.
Elle retira sa main et compris pourquoi son attaque n’avait pas eu raison de lui. Aucune glace, aucun givre ne s’échappait de sa paume plaquée contre le nez tordu du maniaque.
-Qu’est-ce que…
Et soudain, le picotement devint insupportable, une lance plantée dans sa nuque, remontant jusqu’à ses tempes. Elle porta sa main à la tête et s’assit dans un étourdissement, lâchant sa proie. La minute suivante elle aidait l’homme à se relever, comme son ami l’avait fait plus tôt.
-Ho non c’est pas vrai ! Je rêve ! S’écria Louis, totalement dépassé par son altercation avec Ethan.
-Navré, tu ne rêves pas, annoncèrent en chœur les deux élémentaux.
Profitant de son inattention, Ethan le plia en deux d’un uppercut et le frappa de toute ses forces. Cette fois, Louis resta à terre, exténué. Il leva les mains en signe de reddition.
-C’est bon, stop, j’en peux plus.
A ce moment la porte de l’usine s’ouvrit pour la quatrième fois consécutive. Un filé de lumière fit place à un vampire aux vêtements froissés, tous crocs dehors. Louis lui fit un petit signe en direction des possédés et Gofic se figea en une statue de coureur olympique. Des stalactites pendaient de ses bras et genoux. Son visage avait perdu toute expression sous l’épaisseur de la glace. Halica se tourna alors vers son mur et le fit fondre d’un revers de la main. L’eau qui s’en écoula inonda le parking et Louis se retrouva les fesses et les chevilles submergées. Ethan se tenait toujours au-dessus de lui, prêt à lui donner le coup fatal au premier geste de sa part. Louis assistait, impuissant, à la fuite du contrôleur en compagnie de l’élémentale froid.
Il soupira.
-Arduinna va me tuer.
Soudain, en une fraction de seconde, un éclair descendit du ciel pour percuter le béton du parking, creusant un trou de près d’un mètre de profondeur et électrisant tous ceux présents dans la piscine improvisée. Un homme apparut au centre de l’impact. Grand, les cheveux blond, mi-long, un jean déchiré et un t-shirt noir moulant ses muscles, il se tenait droit, impassible. Puis il regarda tout autour de lui, désorienté. Il vit un jeune homme à la merci de l’armure-Ethan, le parking inondé, quelques restes du mur de glace sur les côtés et en son centre, Halica suivant un grand maigre qui le fixait d’un œil mi-affolé mi-intrigué depuis son arrivée.
Halica s’avança alors vers celui que Louis avait déjà surnommé mentalement « Thor, dieu du tonnerre ».
-Ha te voilà ! J’étais en train d’évacuer la dernière victime quand ce loup-garou nous a attaqué !
Elle pointa Louis du doigt.
-Il est féroce et coriace ! Occupe-toi de lui pendant que j’amène cet homme en sûreté !
Le grand blond passa du contrôleur à Louis sans montrer aucune expression. Il s’arrêta sur le loup, à terre. Sa main gauche grésilla de longs et fins fils de foudre qui remontaient le long de son avant-bras et éclataient en étincelles par endroits. Halica parut soulagée -le contrôleur aussi- et ils firent volte-face comme une seule personne. Derrière, Ethan frappa son ultime coup. Au premier pas léger du contrôleur, un éclair vint frapper le sol à ses pieds. Une fumée blanche s’échappa du goudron. Les deux fugitifs s’immobilisèrent. Le blond les rejoignit, les éclairs de sa main grésillaient plus que jamais et son avant-bras en était totalement recouvert.
-Un pas de plus, tous les deux, insista-t-il, et c’est dans le dos que tu reçois le prochain.
-Moi ? S’étonna Halica. Mais pourquoi tu ferais ça ?
-Pas toi. Lui !
Le contrôleur sursauta.
-Je … je ne comprends pas, bégaya-t-il en se retourna lentement pour lui faire face. Vous êtes sensé me protéger.
-Eux peut-être, mais pas moi.
Le blond était assez prêt pour que le contrôleur puisse voir son visage. Les pommettes à peines saillantes, le visage à la fois fin et anguleux, le nez droit mais remontant légèrement en pointe sur la fin et les yeux très fins, d’un noir profond le fixait avec sagesse.
-D’accord, se détendit le contrôleur, je m’avoue vaincu.
Et il lui tendit la main en guise de trêve. Les yeux noirs du blond la fixèrent un moment puis il en fit de même. Le contrôleur retint un sourire, la grande main couleur lait s’approcha de sa paume ridiculement osseuse et cireuse. Les grand doigts fins et musclés se resserrèrent et les yeux du contrôleur brillèrent sous l’excitation.
La poignée de main se fit. Le blond fixait son interlocuteur dans les yeux, toujours impassible ; ceux qui le connaissaient auraient même put desseller une pointe d’amusement dans les coins de ses yeux bridés. Le contrôleur, lui, regardait les mains entrelacées. Quelque chose clochait. Ce n’était pas une poignée de main ordinaire.
En effet il n’y avait pas contact, la peau de l’un ne touchait à aucun endroit la peau de l’autre.
Les yeux creusés et cernés rencontrèrent alors ceux fins et plissés -plissures qui accompagnaient un petit sourire satisfait- un grésillement succinct s’échappa de la poignée de main non-conventionnelle et la foudre s’échappa du bout des doigts crémeux. Elle prit en volume avant de se répandre sur l’intégralité du contrôleur qui fut projeté en arrière et ne se releva pas.
Halica lâcha un râle en se tenant la tête.
-Qu’est-ce que…
-J’ai le sentiment que tu mérites la migraine que tu t’apprêtes à avoir. Tu t’es faite rouler comme une bleue, Halica.
-ASH ! Cria Ethan qui avait retrouvé sa forme humaine. De retour en Europe ! Comment s’est passé ton voyage ?
-Bien merci, et je peux constater, à mon retour, que ma présence se fait désirée. Qu’auriez-vous fait sans moi ?
-Ho… Louis m’aurait botté les fesses, aurait stoppé Halica et mis le nuisible hors d’état de nuire.
-J’pense pas mec, tu me mettais la pâtée. Et Halica, elle me fait peur, finit-il dans un murmure qui amusa les trois élémentaux.
Ethan fut alors surpris par la statue de glace derrière lui.
-Heu… qu’est-ce que c’est… que ça ?
Halica haussa les épaules.
-J’ai fait ça ?
Louis se releva péniblement
-Tu devrais p’t’être le décongeler parce qu’il doit pas pouvoir respirer là-dessous. Même si les vampires respirent pas.
Elle fit un geste souple de la main et la glace fondit, libérant Gofic tremblotant.
-Brrr ! Je n’aurais jamais cru un jour retrouver la sensation de froid dans ma non-vie.
Halica jeta un coup d’œil à la température corporelle du vampire.
-Tu es tout juste en dessous de 15°C, tu devrais survivre.
-Oui, après tout je suis déjà mort, grommela-t-il. Au fait, j’ai fait au plus vite mais on m’a retenu à l’hôpital, ils pensaient que je l’avais tué.
-Ils ont compris que tu étais un vampire ? S’inquiéta Ethan.
-Peut-être ma vitesse d’arrivée leur a mis la puce à l’oreille.
-Tu aurais dû être plus prudent, se renfrogna Halica.
Il lui lança un regard noir.
-Je croyais que je devais faire vite ? Mais il est vrai que mon retour n’a pas été accueillis avec autant de chaleur que je le pensais.
Ash se racla la gorge et pointa la porte de la tête, Gabriel s’approchait à grand pas, il semblait inconfortable.
-L’armée est arrivée, je leur ai confié les femmes de la salle et ils ont trouvé d’autres prisonniers dans une autre pièce. Maintenant… ils viennent ici et Loptr est à leur tête.
-Il vient lui-même…, quelle surprise…, maugréa Halica.
-Qui est-ce ? Demanda Ash au moment même où le colonel et ses hommes passait la porte de service.
-Notre nouveau führer, répondit l’anglaise sur le même ton.