Cauchemar – 28

4 mins

                        VINGT-ET-UN — ALEXANDRE (suite)

 Tout le monde avait fini sa boisson et Paul proposa de jouer au Monopoly. Tout le monde accepta et Maëlle me regarda : « Souviens-toi, tu dois le laisser gagner ». Je la rassurai d’un sourire.

 Maëlle m’avait dit que son père voulait avoir à tout prix la Rue de la Paix et les Champs-Élysée. Alors à chaque fois que nous passions dessus nous feignions de ne pas avoir assez d’argent pour l’acheter. Mais M. Stern ne tombait pas dessus et la partie durait. À bout de nerf, je décidai de faire quelque chose. Maman m’avait appris quelques tours de passe-passe et je me résolus à les mettre en œuvre pour faire avancer le jeu.

 Le pion de Paul était à sept cases de la Rue de la Paix. Il lança les dés.

 – Vous êtes sûr que vous avez le droit d’avoir plusieurs Cartes Chances pour sortir de Prison ? demandai-je soudainement. 

  M. Stern qui était occupé à regarder les dés rouler leva la tête surprit.

 – Bien sûr ! Pourquoi je n’aurais pas le droit ? Comme ça je peux sortir plusieurs fois de Prison.

 Pendant qu’il parlait je fis discrètement rouler un des dés pour que le résultat fasse sept. Je le regardais dans les yeux pour qu’il ne voit pas mon geste. Mais tous les autres remarquèrent et me regardèrent anxieusement.

 Paul regarda les dés.

 – Regardez ! J’ai fait sept ! Je vais pouvoir acheter la Rue de la Paix !

 Maëlle me jeta un regard soulagé, Mme Stern était reconnaissante et Nathan paraissait fasciné par le tour que j’avais joué à son père.

 La partie se termina avec la victoire de M. Stern une heure plus tard.

 Lorsque nous nous levâmes pour ranger le jeu, le vainqueur s’approcha de moi et mit une main sur mon épaule. Je me raidis.

 – T’as bien joué, dis donc, rit-t-il.

 Je dégageai sèchement et m’éloignai. Maëlle me jeta un regard d’avertissement.

  – Merci, dis-je donc.

 Ma voix était encore plus rauque qu’à l’ordinaire. Les Stern me regardaient, surpris de mon attitude. J’inspirai profondément.

 – Veuillez m’excuser, où est-ce que je pourrais trouver les toilettes, s’il vous plaît ?

 – Au fond du couloir à gauche, m’indiqua M. Stern qui n’avait pas remarqué le trouble qu’il avait causé.

 – Il n’aime pas perdre, entendis-je dire mon amie alors que je marchai dans le couloir.

 Dans les toilettes, je me rinçai le visage et respirai profondément pour me calmer. L’assassin de mon père m’avait touché, je ne le supportais pas. Je sentais encore le contact de sa main froide sur mon épaule et j’entendais sa voix qui chuchotait dans mon oreille : « Regarde, c’est un morceau de ton papa. Garde-le pour te souvenir de moi. ». Je frissonnai de dégoût. Quand je me sentis assez remis pour faire face au regard scrutateur de Mme Stern, je rejoins la salle-à-manger.

 À mon arrivée, Mme Stern riva son regard dans le mien et chercha des réponses, elle me déstabilisait. Je n’arrivais pas à rompre notre connexion. Je commençais à perdre les pédales et à respirer bruyamment.

 Heureusement, Nathan intervint. Il tira sur la manche de sa mère qui dut le regarder, je respirai mieux. Le garçon fit une série de signes, qui voulait vraisemblablement dire « J’ai faim », car elle lui sourit et ordonna qu’il était temps de prendre le goûter. Je remerciai le garçon d’un sourire.

 Nous passâmes à table. La serveuse apporta le reste de tarte à la framboise. Absorbé que nous étions à savourer la tarte, nous ne parlâmes pas.

 Une fois que nous fûmes rassasiés, Mme Stern nous proposa de passer au salon pour discuter. Nathan s’excusa et monta jouer.

 – Bon, commença la mère, nous n’avons fait que tourner autour du pot depuis le début. Mais je vais te parler franchement maintenant.

 Elle fit une pause.

 – Tu veux que l’on t’héberge.

 Ce n’était pas une question, mais je hochai la tête.

 – C’est Maëlle qui te l’as proposé, continua-t-elle.

 Ce n’était toujours pas une question, mais j’acquiesçai.

 – Qu’est-ce qui t’as fait accepter ? demanda-t-elle finalement.

 Ah. Voilà où elle voulait en venir.

 – Maëlle a appris que j’avais des problèmes, elle m’a gentiment proposé cette solution. J’étais d’abord réticent, je ne voulais pas vous importuner. Mais, elle a réussi à me convaincre.

 Ce n’était pas exactement ce qu’elle attendait, mais elle allait devoir s’en contenter.

 – D’accord, répondit-elle. Et si je refuse, que deviendras-tu ?

 – Je finirais dans un orphelinat.

 – Et pourquoi tu ne veux pas y aller ?

 J’inspirai profondément pour me laisser le temps de réfléchir. Je devais rester concentrer pour que mon mensonge soit plausible et que le père ne se doute de rien.

 – Mon père avait passé son enfance dans un orphelinat et il a détesté ce genre d’endroit. Ils me racontaient les moqueries et les corvées qu’il devait subir. Alors quand Maëlle m’a invité chez elle, j’ai trouvé une opportunité d’éviter d’être coincer dans ce lieu horrible que mon père avait tant haï.

 Elle garda le silence un moment, en me regardant dans les yeux.

 – D’accord, dit-elle.

 La tension était à son comble.

 – Eh bien, merci d’avoir répondu à nos questions. Nous allons y réfléchir, dit M. Stern en se levant.

 Manifestement, il n’aimait pas la tension.

 Je me levai à mon tour et remerciai les Stern. Ils m’accompagnèrent dans le hall, où Mme Stern fit une proposition inattendue :

 – Nous t’invitons à dîner, si tu veux.

 Je ne savais pas quoi répondre, car Maëlle m’avait dit de tout accepter, mais en même temps je ne voulais pas m’imposer. Je jetai un regard de détresse à mon amie, qui secoua imperceptiblement la tête. Je reportai mon attention à Mme Stern, je lus dans ses yeux qu’elle avait remarqué notre échange.

 – Non merci, c’est très aimable de votre part, mais j’ai quelques petites choses à régler, dis-je.

 Nous nous dîmes donc au revoir et Maëlle proposa de me raccompagner, personne ne s’y opposa.

 J’avais réussi. J’avais affronté la famille de Maëlle, le meurtrier de mes parents, et je n’avais pas perdu les pédales, je n’avais cassé le bras de personnes.

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