Je ne sus dire combien de temps dura le trajet dans les airs, mais cela me semblait suffisamment long. D’autant plus que la présence de militaires lourdement armés et le bruit désagréable de l’hélicoptère ne rendaient pas les choses plus décontractées. En revanche la vue était vraiment magnifique. Par le passé j’ai eu quelquefois l’occasion de prendre l’avion lors de voyages familiaux mais la proximité avec l’immense vide sous mes pieds n’avait jamais été aussi importante et terrifiante. Il suffisait que je me redresse et que d’un seul bond je me jette par-dessus bord. Malheureusement mes chances de survies étaient inférieures à 0 et il me semblait plus sage de rester assis et de savoir où l’on m’emmenait, même si ça ne me faisait pas sentir plus en confiance. Je regardais Nathan. Il restait impassible. C’était de ma faute s’il se retrouvait ici. Si je ne l’avais pas appelé il serait rentré tranquillement chez lui, et n’aurait jamais eu besoin de venir à mon secours. A présent aucun de nous deux ne savait ce qui l’attendaient.
L’hélicoptère se pencha légèrement pendant plusieurs secondes avant de se poser délicatement sur la terre ferme. Aussitôt, on me posa brusquement un bandeau sur les yeux avant de m’escorter vers une destination inconnue. Des bruits de portes retentirent jusqu’à mes oreilles, ainsi que des pas rapides. Les bruits de bottes me faisaient penser à une démarche militaire. Il devait s’agir d’une base secrète ou quelque chose de similaire. Ma vie ressemblait vraiment à un film de science-fiction, mais pour être honnête, être un spectateur devant un écran m’aurait suffit.
Une main puissante me fit m’asseoir sur une chaise, puis mon bandeau me fut retiré. J’avais trop peur pour dire quoi que ce soit et de toute façon cela aurait été inutile. Nathan se tenait en face de moi et semblait incrédule. En regardant autour, je vis que nous étions enfermés dans une pièce ronde sans aucun matériel. Cependant derrière le vitrage bien au-dessus de nous, des individus nous fixaient, armés jusqu’aux dents. Qu’allait-il se passer pour nous ? Torture ? Interrogatoire ? La fille ne m’avait pas paru des plus sympathiques et comme ils étaient de mèche avec elle, je craignais de ne pas passer des moments agréables.
Un homme entra alors. Il était grand, vêtu d’une chemise blanche, et ne semblait plus tout jeune, ce qui dans ma tête, voulait dire qu’il était au moins âgé de soixante ans, quelques années de moins que mes grands-parents. Cependant malgré son âge, sa carrure était encore impressionnante. Un corps mince mais sec. Sa démarche était assurée. J’aimerais avoir son allure plus vieux. Si je sortais vivant de cette pièce bien sûr…
« C’est un plaisir de vous rencontrer dit-il. Je tiens à m’excuser de la manière avec laquelle on vous a enlevé mais nous n’avions pas le choix.
– Vous auriez tout aussi pu ne rien faire et nous laisser tranquille lui lança Nathan sur un ton de reproche.
– C’est vrai mais nous ignorions ce que vous comptiez faire de notre agent.
– On voulait juste lui parler rétorqua Nathan. Elle venait de kidnapper mon ami ici-présent alors on voulait des explications. Il n’y a rien d’anormal à tout ça.
– Bien sûr répondit-il. Son ton était calme, aucune animosité dans sa voix. « Cependant il fallait que l’on se rencontre.
– Et pourquoi donc ?
– Disons que vous êtes spéciaux et qu’il faut quelqu’un pour vous avoir à l’œil. Je suis cette personne. »
Il prit une chaise et s’assit en face de nous. Il nous regardait très attentivement comme s’il s’infiltrait dans nos pensées. Il le pouvait peut-être. Après les surhommes, pourquoi n’y aurait-il pas des télépathes ?
– Vous êtes dans un endroit hautement sécurisé que j’ai baptisé le sanctuaire. C’est une infrastructure sous le contrôle du ministère de la défense. Son existence est top secrète. On ne vous aurait jamais emmené ici si vous n’étiez pas important à nos yeux.
Je pris mon courage à deux mains pour parler : « Écoutez, c’est vrai qu’il nous arrive quelque chose d’anormal mais quand vous parlez de surveillance, on dirait que pour vous mon ami et moi avons l’air disons… potentiellement dangereux. »
– C’est malheureusement le cas ! Si vous êtes ici c’est notamment grâce à ta petite prestation en pleine rue jeune homme ! ». Cette information n’aurait jamais pu passer inaperçue surtout pour un type comme lui, cependant me rappeler cet incident m’angoissait toujours. Mon pouls s’accélérait mais je ne baissai pas la tête.
– Je n’ai rien contrôlé du tout dis-je d’un ton qui se voulait ferme. Et puis si je n’avais rien fait, je serais dans un état critique, et la personne qu’ils agressaient également. Alors désolé de m’être défendu.
– De toute façon c’est fait ! dit-il en se redressant. Nous avons fait taire les médias. Avec le temps les gens vont finir par croire que c’était une sorte de canular. Bien sûr certains vont continuer à persister et croire que ce genre de chose est réel mais il s’agit d’une minorité. La plupart des gens sont rationnels, ils se diront qu’être aussi fort est scientifiquement impossible sauf avec des effets spéciaux de cinéma. Ils finiront par oublier. »
Je comprenais pourquoi les infos me concernant ont disparu aussi rapidement. Cela provenait de la haute sphère de l’état. Un vrai thriller d’espionnage. Mais à partir du moment ou cela vous
concerne, vous ne trouvez plus cela si fascinant.
– Écoutez vous deux nous savons que vous n’êtes plus ce qu’on peut appeler des humains « normalement constitué », et pour avoir déjà vu des gens comme vous auparavant, je sais que vous pouvez être dangereux. Car si vous pensiez être les seuls vous vous trompiez »
– Je ne sais pas quel est votre nom mais tout ce que je peux vous assurer c’est que nous n’avons rien de dangereux dit-je d’un ton posé. Depuis qu’on a découvert nos «facultés », nous n’avons cessé de vivre comme nous le faisions avant que cela arrive. Je ne sais pas sur qui vous êtes tombés mais il devait clairement s’agir d’un type violent ou malintentionné. »
– Je vous crois dit-il après m’avoir examiné de la tête aux pieds. « Cependant je ne peux pas vous laisser repartir comme si de rien n’était. Vous êtes les premiers que j’appréhende depuis longtemps, il va falloir trouver une solution pour que je vous ai à l’œil. J’ai examiné vos dossiers, vous n’avez en effet pas l’air d’être des gens à craindre. Mais il est difficile de rester discret avec vos nouveaux pouvoirs si l’on peut les appeler ainsi. Je ne peux prendre le risque qu’il se passe un nouvel incident ! »
– Si comme vous dites nous ne sommes pas les seuls, un incident peut très bien venir d’autre part ! » répliqua Nathan.
– Peut-être mais pour le moment votre ami est celui qui s’est fait le plus remarquer. »
– Vous devriez vous concentrer sur des menaces un peu plus sérieuses comme le terrorisme ou d’autres sources de dangers plus réels. Vous n’allez pas me faire croire que votre service s’occupe juste de personnes comme nous ?
Il y eut un silence qui sembla confirmer la réponse. « Attendez c’est une blague ? ». Moi non plus je n’en revenais pas. Un budget leur était attribué pour prendre en charge et surveiller des gens surhumains. Heureusement que des infos comme celle-ci n’étaient pas rendues publiques. C’était se demander ou allait la France !
– Cette menace est très sérieuse jeune homme et croyez-moi vous êtes bien loin de tout savoir ! »
– Quand vous dites qu’il y a plusieurs personnes dans notre cas, s’agit-il d’un nombre important ? demandai-je sur un ton plus doux.
– Je ne les compte pas sur les bouts des doigts mais il y en au moins une dizaine sur le territoire Français. Je ne peux pas tout vous dire sur la façon dont on les trouve. Pour votre part vous devez vous contenter de coopérer. Sinon vous nous reverrez très souvent et nous serons moins sympathiques.
– Parce que vous l’avait été ? répliqua Nathan sur un ton qui relevait du défi. Décidément les provocations étaient son fort mais je ne pensais pas qu’il aurait le courage de tenir tête à un type aussi imposant.
– Excusez mon ami mais ce n’est pas facile à encaisser pour nous dis-je en tentant de jouer le médiateur. Il a enduré tout ça bien plus longtemps que moi, mais on ne s’attendait pas à être capturé et transformé par un type bizarre…
– Quel type ? s’exclama-t’il. Ses yeux s’étaient agrandis et son ton était monté mais en tant que professionnel, il faisait de son mieux pour rester impassible. Mais même un agent secret expérimenté restait un être humain. Dès lors, les signes de faiblesses sont visibles.
– On ne l’a pas vu mais l’on a entendu des voix! Dis-je. Et ressenti l’effet d’une piqûre.
– Les autres m’ont dit la même chose dis le type d’une voix grave. Nous sommes à sa recherche depuis un bon moment ! Le problème c’est qu’il est coriace. Il peut-être n’importe ou. Mais on va le coincer, il ne pourra pas nous échapper indéfiniment.
– Et qu’est ce qu’on fait pendant ce temps ? Demandai-je.
– Vous vous tenez tranquille. Faites votre vie dans votre coin en restant très discret.
– J’imagine que nos proches ne peuvent rien savoir.
Il s’avança vers moi très sérieux. «Personne ne doit savoir. Je sais que c’est difficile de garder cela pour soi mais maintenant vous devez apprendre à vivre avec. Maintenant du travail m’attend jeune gens. Bonne chance ».
Il nous salua et l’on nous remis des bandeaux sur les yeux. Des militaires nous escortèrent jusqu’à l’hélicoptère qui n’attendait plus que nous. J’entendis une voix féminine s’adresser à un des hommes. Cette voix je la connaissais trop bien pour l’oublier. Et je préférais ne plus jamais l’entendre. Malheureusement elle allait nous tenir compagnie encore un moment.
Une fois dans les airs, les bandeaux nous furent enlevés et nous restâmes sans rien dire à regarder le ciel. D’ailleurs, de quoi pouvions-nous parler ?
– Je suis désolé ça n’a pas du être facile pour vous dit la fille qui nous observait depuis un moment.
– C’est un peu grâce à toi si on en est là répliqua Nathan qui ne cachait pas sa mauvaise humeur. Mais c’était pire que ça. Il était furieux. Sans la présence de l’escouade nous accompagnant, il aurait étripé cette fille.
– C’est vrai mais je n’ai pas à m’excuser dit-elle sans sourciller. Et puis n’oublions pas que tu t’es montré brutal envers moi.
– Tu ne manques pas de culot cria-t’il en se levant brutalement. Cependant il se rassit quand l’un des hommes pointa son arme sur lui. La fille lui fit un signe de la main qui signifiait que tout allait bien.
Le soldat baissa son arme.
– Désolé de la manière dont je t’ai brusqué me dit-elle d’un ton conciliant. Mais il fallait que je t’emmène jusqu’à la base d’une manière ou d’une autre.
Ses excuses ne me touchaient guère mais je levais la main pour montrer que je les acceptaient. De toute manière, impossible de revenir en arrière pour effacer les faits. Je m’imaginais me lever de ma place, sauter par-dessus bord et me réveiller dans mon lit à Mimizan et découvrir que tout ce scénario s’était uniquement passé dans ma tête.
L’hélico se posa près de l’endroit ou nous avons été appréhendé, et la fille nous raccompagna. Le silence dans la voiture était tout aussi pesant que dans les airs. Elle déposa Nathan qui ne lui fit pas part de ses remerciements, et enfin me déposa au pied de mon immeuble. Pas besoin de me demander comment elle connaissait ce détail, les agents secrets ont leur source.
– Encore désolé de t’avoir menacé de cette manière dit-elle avant que je referme la portière. J’aurais du trouver un autre moyen de t’emmener avec moi.
– C’est fait dis-je simplement. A vrai dire je ne ressentais pas l’envie de discuter. La journée avait été assez longue. De plus, le sommeil ne viendrait pas facilement je le sentais.
– C’est moi qui vais vous surveiller dit-elle. Faites attention à vous ! Sur ces mots, elle s’éclipsa. Je me demandais bien comment elle allait s’y prendre. Nathan et moi n’habitions pas au même dans la même ville.Mais suis-je bête, elle devait connaître à coup sûr, des moyens de nous espionner qui ne l’obligent pas à effectuer des allers-retours constants en voiture. La technologie actuelle n’était pas un secret pour ces personnes. Des micros-caméras devaient déjà être implantés quelque part chez nous.
Je remontais jusqu’au palier et le trajet me sembla interminable. Les mots de l’agent résonnaient dans ma tête : « Personne ne doit savoir » avait-il dit. Mais pourquoi donc ? D’accord, ce n’est pas le genre de secret qu’on peut divulguer sans réfléchir mais cela vaut-il la peine de ne le partager
avec personne ? Ma première pensée fût pour Sébastien et ma famille. Si je leur faisais une démonstration de ma force surhumaine, me rejetteraient-ils ? Sauf que l’histoire raconté aux infos était encore dans l’esprit des gens, bien que temporairement oublié. Il suffisait que quelqu’un relance le débat pour qu’elle ressurgisse dans nos mémoires. Et je ne m’imaginais pas raconter cela à mon entourage. Ils prendraient peur ou m’obligerait à me dénoncer. Pourtant je ne pouvais m’empêcher de les imaginer compréhensifs. Ils ne me laisseraient pas seuls avec un tel poids sur les épaules. Mais malgré tout je n’étais sûr de rien. La vie est pleine de surprise et tout peut arriver, il peut s’agir d’un cadeau ou bien quelque chose que l’on peut qualifier de fardeau.