La magie des moldus – chapitre 2 : Une journée en enfer

9 mins

“L’essentiel en enfer est de survivre.” : Michel Audiard
 
Six heures venaient de sonner quand Samuel Higgins fit tomber son réveil en essayant de l’éteindre. Il se dit que la journée commençait mal, mais il était loin du compte. Rêveur et distrait, il vivait seul avec son chat Lunard à qui il parlait régulièrement sans se soucier de ce qu’en pensait ses voisins. Samuel avait deux passions dans la vie : sa librairie et Harry Potter. A trois reprises, il avait eu la chance de rencontrer J.K Rowling. Les deux premières furent désastreuses. L’émotion l’avait emportée il n’avait pas réussi à prononcer la moindre phrase cohérente. La troisième se passa par une belle journée … pluvieuse. Trois passants vinrent s’abriter dans son magasin dont J.K Rowling en personne.
Elle s’approcha et lui demanda d’un ton désinvolte :
— J’aime beaucoup le nom de votre boutique. Comment vous est venue l’idée de l’appeler “La librairie des sorts” ?
Impressionné, il répondit d’un air maladroit : Par la barbe de Merlin ! Alors ça, c’est une bonne question. Il fit mine de se gratter la barbe qu’il n’avait pas.
Elle sourit.
—  Au départ, je voulais l’appeler “Fleury et Bott” en hommage à …enfin … bon vous avez compris. Puis, je me suis dit que c’était prétentieux aussi, j’ai opté pour celui-là, qui est plus modeste.
—  Evocateur, je dirais. J’aime beaucoup répondit-elle.
—  Il prit son courage à deux mains et enchaîna : Tout le monde doit vous le dire, mais je tenais à vous remercier de faire partie de ma vie à ce point. Il ne se passe pas une journée sans que je me dise que j’ai eu de la chance d’avoir croisé Harry. Vous m’avez fait comprendre que la magie n’existe pas seulement chez les sorciers, elle existe aussi chez les moldus, nous avons nous aussi, une forme de magie.
Intéressée par son propos, elle répondit :
— C’est très gentil, merci. Puis-je vous demander si vous me prenez pour une sorcière ?
Il hésita et répondit sérieusement :
— Pas le moins du monde, mais je suis persuadé que vos écrits renferment une part de vérité. Je suis sûr que le monde des sorciers tel que vous le décrivez existe bel et bien. Un jour peut-être vous ferez une annonce en ce sens, je l’espère.
Elle le regarda intensément et finit par lui répondre : « Si vous êtes heureux Samuel, je ne peux que m’en réjouir. Mais s’il vous plaît, faites attention à ne pas gâcher votre vie en attendant quelque chose qui n’arrivera pas. Prenez soin de vous et de vos proches.»
Il était sonné car on aurait dit une phrase de Dumbledore et à aucun moment il n’avait mentionné son prénom.
Elle s’éloigna et flâna dans les rayons. Peut-être était-ce son imagination, mais à deux reprises, il lui sembla qu’elle l’observait de loin. En partant, elle lui lança un chaleureux “au revoir”, ce qui lui donna la même sensation que d’avoir bu un flacon de Felix Felicis car il avait parlé à J.K Rowling et elle connaissait son prénom.
Comme tous les matins, dès son arrivée à la librairie et avant l’ouverture, il s’octroyait un petit moment de détente. Il prenait son café en feuilletant quelques pages de sa saga favorite puis la gazette du sorcier des moldus (comme il l’appelait).
«NOM D’UNE GOULE ! » Jura-t-il en manquant de s’étrangler par la même occasion.
L’article qu’il avait sous les yeux venait de lui gâcher sa matinée. Pendant quelques secondes, il lui sembla avoir sous les yeux un article de Rita Skeeter.
Perdu dans ses pensées machiavéliques pour en découdre avec cette « journaliste », il n’entendit pas une cliente lui lancer un timide «bonjour» alors que la porte de boutique était censée être fermée.


Dès son réveil, Hélène alluma son ordinateur, lança son café et fila sous la douche.
Pour anticiper les gros nuages qui ne manqueraient pas de s’accumuler aujourd’hui, elle refusa de se laisser abattre et décida de passer une belle journée.
Son père, qui avait disparu à ses dix ans, lui avait donné quelques conseils dont certains remontaient en elle par vagues. “N’arrête jamais de sourire même si tu es triste” se rappela-t-elle avec tendresse.
Une vingtaine de notifications brisèrent ce moment de grâce. Les mails reçus au sujet de son article lui procurèrent une légère nausée et l’impression d’avoir trahi Harry Potter se fit de plus en plus grande.

Tu as voulu jouer aux grandes Bouboule ? C’est bien fait pour toi !

Malgré son caractère rationnel, Hélène avait pris l’habitude se parler de manière directe (un peu trop parfois) et de donner des noms aux objets. Une amie psychologue lui avait dit qu’elle avait la même manie et qu’elle ne trouvait pas cela inquiétant. Aussi, “Bouboule” était le surnom qu’elle s’était trouvée pour se faire des reproches. Son ordinateur s’appelait Ben, en référence à Ben Barnes l’acteur sur lequel elle craquait depuis un bon moment. L’idée d’avoir quelques fois ses mains sur Ben la fît rougir.
Déterminée, elle prit une grande respiration et éteignit son smartphone jusqu’à son arrivée à la rédaction.
Elle comprit qu’il était temps d’un petit moment de douceur pour attirer à elle un maximum d’ondes positives. Indécise sur ce qu’elle pourrait faire pour y parvenir, elle se rappela qu’elle avait aimé l’ambiance qui régnait dans la librairie juste en bas de chez elle. Cela faisait maintenant trois semaines qu’elle s’y rendait sans raison valable, trois semaines d’achats parfaitement inutiles pour apercevoir le vendeur dont elle ignorait le prénom mais qui ne la laissait pas indifférente. A cette heure-ci, elle ne doit pas être ouverte pensa-t-elle. Un bref coup d’œil à travers l’une des vitres de son appartement lui confirma que la boutique était bien allumée. Sous l’impulsion du moment, elle sorti de son appartement en moins d’une minute. Elle dévala les escaliers à une telle vitesse qu’elle fût essoufflée en bas de l’immeuble.

Non mais t’es sérieuse ? ” Se dit-t-elle. “Toi et ton gros **bip** remonterez aussi vite si la boutique est fermée ?

Elle sourit en se dirigeant calmement vers la boutique.
Allait-elle être ouverte ? Elle enfila son plus beau sourire pour forcer sa chance et posa la main sur la poignée en se répétant en boucle : «Je mérite ce moment»


La porte s’ouvrit comme par magie. Assez surprise, elle fît mine de ne pas se rendre compte de l’heure qu’il était et s’avança doucement. Absorbé par la lecture du journal, “son” vendeur était là assit à une table près du comptoir. Elle hésita un instant, quand elle l’entendit bougonner, elle s’avança vers lui chuchota un «bonjour» auquel il ne répondit pas immédiatement.
Il leva les yeux et lui lança un “bonjour” qui était un mélange de « le magasin n’est pas encore ouvert » et d’un « ha c’est elle, bon ce n’est pas grave ».
Puis vint cet échange dont elle se serait bien passée :
— Comment êtes-vous entré ?
— En poussant la porte.
— Pourtant, il me semble l’avoir fermé en entrant.
— Vous fermez les portes pour entrer ? demanda-t-elle du tac au tac.

Tu joues à quoi Bouboule ? Allez, repasse en mode belle fleur innocente. C’est le moment des yeux chat potté.

Sentant que cette discussion ne le mènerait nulle part, il commença à se sentir mal à l’aise face à cette jolie jeune femme qui lui faisait la moue d’un air bizarre pour ne pas dire inquiétant.
— Pas du tout répondit-il, mais je … il renversa son café et se brûla. Ne voulant pas passer pour un faible, il retint les larmes qui commençaient à arriver.
— Ça va ? S’inquiéta-t-elle : désolé de vous avoir importuné, je m’impose alors que vous êtes certainement fermé. Je peux vous laisser si vous le souhaitez.
— Non ce n’est pas ça … murmura-il : c’est à cause de cet article … Je ne suis pas encore ouvert mais puisque vous êtes là, je peux vous offrir un café?
— Avec plaisir répondit-elle.
Il se leva et manqua de tomber de sa chaise et dit maladroitement : au fait, moi, c’est Samuel. Donnez-moi un moment. Puis il fila dans la réserve.
Elle jeta un œil sur le journal et vit son article en première page. Il venait de le lire.
En moins d’une minute, un petit déjeuner copieux était prêt. Elle ne sût pas pourquoi, mais après l’avoir remercié, elle ajouta : Moi c’est Sandra.

Hé Ho Bouboule ? Sandra ? Tu n’as pas trouvé mieux que de lui mentir avec le prénom de ta meilleure amie ? T’es en mode connasse ou quoi ?

— Vous êtes sorcier ? Continua-t-elle en se mordant les lèvres.
— Non, mais j’aurais rêvé de l’être lui répondit-il.
— On peut se tutoyer ? Demanda-t-elle.
— Oui je le veux … Je veux dire oui… Ses joues virèrent au rouge vif.
Elle sourit, il baissa les yeux, il commença à boire son café le plus lentement possible.
— L’ambiance de ta boutique est très réussie. Elle me fait penser à Harry Potter, magie, mystère tout y est. Elle décida de commencer par ce sujet car au vu du nombre d’accessoires elle était sûre de ne pas se tromper.

Là on y est Bouboule, fait semblant de t’intéresser à ces babioles toutes moisies !

A son tour il sourit :
— C’est gentil merci. Il hésita … J’ai un blog sur Harry Potter.
— Vraiment ? Répondit-elle le plus poliment possible. Elle espérait ne pas regretter de l’avoir lancé sur ce sujet.
— Je n’aime pas trop en parler, mais je ne sais pas pourquoi il tient une place si importante dans ma vie.
Elle ne l’écoutait qu’à moitié car elle avait remarqué qu’il semblait agacé et finit par lui demander :
— Quelque chose ne va pas ? Tu sembles tendu, ce n’est pas moi j’espère.

Mais vas-y Bouboule, tu t’entends parler ? Hé ho !!!

— Pardon, je ne voulais pas dire ça, reprit-elle, mais tu as l’air préoccupé. Je passerai une autre fois si je te dérange.
Les joues et les oreilles de Samuel avaient reçu le message cinq sur cinq, elles étaient rouge vif. Il fit semblant de ne pas avoir relevé et continua :
— Désolé mais je viens de lire un article qui a déboulsiffié ma journée.
— Pardon ? Déboulssi quoi ? Demanda-t-elle.
— Dé-boul-si-ffier, oui c’est un mot que j’ai inventé car je n’ai pas trouvé d’équivalent. C’est un mélange de colère, d’incompréhension et de sentiment d’être complètement … perdu dans les limbes de ta détresse.
Même si elle ne comprenait pas tout son argumentaire, elle était subjuguée. Elle qui aimait tant les mots, elle n’en revenait pas qu’on puisse se permettre d’en inventer.
Comme elle ne sût quoi répondre, elle le laissa continuer :
— Comment cette bouse de Troll, ose-t-elle s’en prendre à J.K. Rowling ?
Tétanisée par ce qu’elle venait d’entendre, elle se contint et fit mine d’être compréhensive et le laissa poursuivre :
— C’est vrai qu’Harry manque à tout le monde, mais quand même « ne plus être à la hauteur de votre œuvre » c’est n’importe quoi. Elle ferait mieux de …
En une seconde tout bascula. Elle lui coupa la parole et lança sur un ton de reproche :
— Bouse de Troll ? Tu n’as donc rien apprit des romans que tu aimes tant ?
— Pardon ? Répondit-il avec des yeux ronds.
— J.K Rowling n’est pas assez grande pour se défendre ? Ou est-ce parce que c’est une femme peut-être ?
— Pas du tout, mais …enfin, il se passe quoi là ? On déjeune tranquillement. Je parlais seulement de cette vieille chouette des cavernes et toi tu t’emportes. Tu la connais ? Lui demanda-t-il sur un ton de reproche. Il commençait à s’agacer de l’attitude de son invitée. Elle avait beau être jolie, elle surtout impolie agaçante et d’un tempérament volcanique.
— Non pas du tout, mais toi non plus je te signale lui répondit-elle.
Elle tourna les talons et claqua la porte en sortant.
— Non, mais vraiment répondit-elle.


Comme toujours, Bouboule, tu as encore perdu une bonne occasion de fermer ta **bip !.

Dès son arrivée au journal, elle salua ses collègues puis retrouva sa meilleure amie la fameuse « Sandra » avec qui elle travaillait dans le même bureau.
— Comment va la star du jour ? Lui lança-t-elle?
— Radio ragots a déjà commencé à émettre répondit-elle ?
— Avec ce que tu as écrit, tout le monde ne parle que de toi. Comment as-tu fait pour obtenir un article en première page ?
— Pour être franche, c’est un malheureux coup de poker.
— Tu te rends compte que Walace attend ça depuis plus de dix ans? Je suis contente pour toi, car  tu le mérites.
 — Va dire ça aux lecteurs à qui je dois répondre. Elle ralluma son téléphone et constata dépitée qu’elle avait atteint la cinquantaine de mails.
Elle passa toute la journée à répondre aux mails et au téléphone qui n’avait cessé de sonner.
De l’indignation à la colère, son article avait suscité de vives réactions. De nombreux fans d’Harry étaient mécontents et voulaient le faire savoir. Dans ses réponses, elle cherchait désespérément à éteindre l’incendie qu’elle avait déclenché, mais rien n’y faisait, vers onze heures le seuil des deux cents messages était atteint.
Déterminée à assumer ses propos, pas une seule fois elle n’avait haussé le ton ni montré un quelconque signe d’agacement.
Puis, elle reçut l’appel d’une dame d’un certain âge qui se revendiquait être une amie du monde de la magie.
— Avez-vous la moindre idée du mal que votre article va causer ?
— J’en suis désolé répondit-elle avec sincérité.
— Vous ne comprenez pas. Nous sommes à une période charnière. Tout peut basculer d’un moment à l’autre et votre papier n’arrange rien.
— De quoi parlez-vous, madame ?
— Mais de votre torchon, cria-t-elle.
« Dialoguedesourds.com » ne pouvait-elle s’empêcher de penser.
— J’ai l’impression que nous avons fait le tour de la question et je ne vois pas ce que je peux ajouter pour vous convaincre de ma bonne foi.
— Vous ne vous en sortirez pas aussi facilement. Je vais de ce pas en parler à mon avocat et vous attaquer en justice.
— Très bien je vous laisse le contacter dans ce cas. Au revoir.
L’ampleur que prenait cette histoire lui semblait disproportionnée.
Eprouvée, elle fit une pause d’un quart d’heure. Malgré tous ses efforts, le compteur frôlait maintenant les trois cents mails.
En milieu d’après-midi, alors qu’elle commençait sérieusement à faiblir, son téléphone portable se mit encore à vibrer.
— Bonjour, pourrais-je parler à Mademoiselle Pitfall s’il vous plaît ?
— Bonjour, c’est elle-même, à qui ai-je l’honneur ?
— À Maître Terence Burbage, avocat.
— Je n’ai pas le plaisir de vous connaître, il me semble.
— Non en effet, je vous appelle à la demande de ma cliente qui souhaite vous rencontrer.
— Comme je lui ai expliqué tout à l’heure, je suis désolée si mon article a pu la choquer. Je vous prie de m’excuser, mais il n’est pas dans mes habitudes de prendre rendez-vous avec des personnes qui menacent de m’intenter un procès sur la base de motifs très discutables.
— Non vous n’y êtes pas du tout. Je suis certain qu’elle ne vous a pas appelé. Il me semble que nous ne parlons pas de la même personne.
— Pardon pour ce quiproquo. Mais alors, qui est votre cliente ?
— Madame Rowling.

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