“La suite des aventures de Nellis et Jilam. Les années passées, notre couple poursuit sa petite vie tranquille dans les bois. Enfin, “tranquille” est un bien grand mot. Démons mangeurs de chair et buveurs de liqueur, esprits soupe au lait, elfes brigands, sorcière vampire et autres créatures fantastiques croiseront la route de la sorcière et du jeune homme.”
Note : Ce second volume peut tout à fait se lire sans connaissance du premier. Voyez ça un peu comme une série aux épisodes indépendants.
Bonne lecture !
***
Cinquante lunaisons s’étaient écoulées. Quatre années. Jilam en avait maintenant vingt et Nellis se plaisait à le prétendre aussi, car la mémoire de la sorcière ne dépassait pas cette limite fatidique, au-delà de laquelle régnait l’oubli. Et l’elfe bornée n’était jamais venue réclamer l’outil pour le chasser : la pierre de souvenirs, que son époux gardait précieusement, en un lieu connu de lui seul.
La nuit fut courte pour le garçon devenu homme, semée de rêves où il se faisait courser par toutes sortes de créatures du bois : hériphants, démons, démons montés sur hériphants entourés de meutes de loups de fumée. Le dormeur se réveilla tout bonnement épuisé. En prime, il avait fallu que Nellis le tire du lit aux aurores.
─ Et moi qui pensais naïvement que la vie de forestier était moins pressante que celle de citadin, se plaignit-il en faisant craquer ses articulations engourdies.
─ J’ai rendez-vous de l’autre coté de la montagne.
─ Quand est-ce que tu as reçu de la visite ? s’étonna le jeune homme.
─ Là, maintenant. Un hibou est passé me délivrer le message.
─ De qui ?
─ La Chouette.
─ Un hibou t’a apporté le message… d’une chouette ?
─ C’est une tribu de lutin avec qui je m’entends bien.
─ Avec un nom pareil, tu m’étonnes.
─ Qu’est-ce que tu fais encore au lit ? Habille-toi, dépêche !
─ Je suis obligé de venir ? demanda la tête de zombie entre deux bâillements.
Le silence de la sorcière équivalait à un « oui » ferme.
Pendant que cette dernière s’activait à fourrer son sac, Jilam, lui, luttait farouchement pour enfiler son pantalon.
─ Grouille, mollusque !
─ Foutre d’ogre !
─ Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
─ Rien à part que Mú était en train de faire ses griffes sur ma botte, grogna l’humain, l’œil mi-assassin mi-vaseux pointé sur le maudit fureteur juché sur une étagère.
─ Arrêtez de jouer tous les deux et magnez-vous le trognon ! rabroua Nellis à l’intention de ses colocataires, tous deux lancés dans une bataille de regards. Ou bien je dois invoquer un lémure pour vous motiver ?
La menace ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Jilam savait que cette damnée sorcière était capable de lâcher sur eux un esprit vengeur.
Une heure plus tard, le couple crapahutait à flanc de montagne, de la boue jusqu’aux genoux dans un froid mordant.
─ Qu’est-ce c’est beau la nature ! Y a pas à dire, la vraie vie véritable !
─ C’est fini les plaintes ?! T’as vingt ans, Jilam, pas quatre-vingt. Un peu d’exercice te fera du bien. Tu t’es empâté cet hiver.
─ Ton tact me touche, mon amour. Autre chose ?
─ Oui. Tu as un scolopandrosaure sur l’épaule.
Jilam partit dans une danse endiablée rythmée par l’hilarité de Nellis et les couinements de Mú.
─ Foutu ! Foutu ! Dégage !
L’énorme mille-pattes écailleux vola plusieurs mètres avant d’atterrir dans les buissons.
─ Comme quoi, tu as de l’énergie à revendre ! soupira bruyamment l’elfe.
Son mari la bouscula dans un concert de bougonnements afin de prendre la tête de la marche. Il avançait d’un pas gourd tandis qu’elle et le furet-léopard semblaient flotter au-dessus du sous-bois sans laisser la moindre trace. Soudain, Jilam s’arrêta, hésita, puis se retourna, l’air penaud étiré de frustration.
─ Où on va ?
Mú émergea le premier du terrier, suivi de près par la sorcière, noire de terre de la tête aux pieds. Elle était méconnaissable.
Ma femme est une vraie petite crasseuse, songea Jilam, guilleret. À la voir ainsi, qui pourrait imaginer le pouvoir qu’elle détient ?
─ J’ai bien cru que tu t’étais fait becqueter, l’accueillit le jeune homme que l’ennui rendait facétieux.
─ Tu sais bien que les léporursidés sont herbivores, rétorqua l’elfe sans relever la plaisanterie.
─ Tu as trouvée ce que tu cherchais ?
En guise de réponse, Nellis lui présenta son sac rempli de racines.
─ Avec ça, j’ai de quoi faire halluciner la moitié du bois jusqu’à la prochaine lune.
Une gamine de cent ans.
Un bruit imperceptible à l’oreille humaine dressa celles de l’elfe.
─ Quoi ? s’enquit Jilam.
─ Chut !
De la frondaison des arbres, des pépiements retentirent, étouffés par la végétation. La sorcière redoubla de vigilance, les traits tendus, Mú dressé sur son épaule, aux aguets.
─ Des gargouilles bleues, non ? proposa le novice en faune des bois.
─ Aucun oiseau ne chante de cette manière, trancha Nellis.
─ Alors c’est quoi ?
─ Ça, c’est quelque chose qui imite un oiseau.
Jilam sentit un début de peur le cueillir.
─ On est en danger !?
Comme pour répondre à sa question, des formes surgirent des branches hautes, glissant le long des troncs noueux, tandis que les buissons alentour se mouvaient dans la direction du couple, qui se retrouva bientôt encerclé. L’esprit de Jilam imagina tout de suite une attaque d’esprits.
─ Heu… Rappelle-moi. On a bien déposé nos offrandes devant l’autel ?
─ Ce ne sont pas des esprits.
En effet, le jeune homme constata les bras armés de lances et de frondes dépassant des feuillages vivants.
─ Tu vas nous débarrasser d’eux, hein ?
Son épouse lui adressa une fausse mine vexée qu’elle conclut par un clin d’œil.
─ Allons, pour qui tu me prends ?
Les buissons continuaient de se rapprocher.
─ Essaie de pas leur faire trop de mal.
─ Pas d’inquiétude. Admire l’artiste.
L’elfe était aux anges dans ce genre de situation, au contraire de Jilam, crispé comme un castor empaillé.
─ Désolée, pas de magie aujourd’hui.
La voix, sortie de nulle part, stoppa net l’incantation. Une griffe noire épousait la gorge de Nellis. Une main de suif et un bras vert reliaient la dague à une silhouette ténébreuse. Mú voulut s’élancer, mais la voix l’arrêta :
─ Calme ton animal, sorcière, ou ton sang risque de repeindre le sous-bois.
D’un simple flot de pensées, Nellis apaisa l’ire du furet-léopard.
─ C… Comment ? hoqueta-t-elle.
─ Du visombre, expliqua simplement la voix.
De l’obscure créature, Jilam ne distinguait que les yeux : deux perles émeraude aussi tranchantes que le diamant.
La sorcière connaissait les propriétés de la fourrure de visombre. L’animal était rare et les artisans capables de travailler sa fourrure tout autant. Mais un bon manteau en visombre, fabriqué de main de maître, rendait furtif son porteur, et surtout, imperméable à n’importe quel pouvoir télékinésique. Nellis n’avait rien senti venir.
─ Qui t’es toi ?
Bien qu’elle se sentait bouillir comme rarement, elle garda sa maîtrise, consciente que le moindre faux mouvement lui serait fatal.
─ Celui qui tient le couteau pose les questions.
La femme – car c’était un timbre féminin – découvrit son visage ; et oui, il s’agissait bien d’une femme. Une elfe à la peau verte. Certains arboraient ce teint, lié au régime alimentaire, mais Jilam n’en avait encore jamais observé un si prononcé. L’elfe sourit, révélant des dents couleur mousse.
─ Vous êtes sur notre territoire les tourtereaux, dit-elle sans relâcher la gorge de Nellis. On ne peut pas vous laisser filer sans vous avoir proprement reçu.
Jilam soupira.
La journée va encore être longue.
Une nouvelle abonnée !!!!! J’aime trop les contes, hâte de te lire prochainement, la bise ????????
Heureux que ça te plaise. La suite dimanche prochain !