CHAP.05: Soirée au clair de lune

8 mins

           Les ruines se découpaient derrière le soleil baissant dans une lumière sanglante. Nous devions arrêter nos recherches pour aujourd’hui. Nous n’avions même pas réalisé la moitié du programme prévu, mais peu importe il nous fallait reprendre des forces. J’observais le petit miracle de cette catastrophe ; le pont urbain intact qui joignait la ville à l’Ile aux Dames. J’étais licencié au club de tennis, situé sur l’île depuis dix ans, autant dire que je connaissais les infrastructures par cœur. Selon la disposition des bâtiments, j’avais bonne espoir que les vestiaires et le bar soit encore dans un état correct.

« Je propose que l’on passe la nuit au club de tennis sur l’Ile. Nous devrions y être tranquille et à peu près confortable, dis-je.

– T’es sûr de ton coup ? Me demanda Karl. Les bords de l’Ile sont sûrement inondés.

Il n’avait pas tort, je n’avais pas pensé à ça.

– Peut-être !

Surtout les vestiaires en sous-sol, pensais-je.

– Mais le club house est en hauteur, rassurais-je.

– S’il ne s’est pas envolé dans la Seine, continua Karl.

– Allons voir, intervint Syvanna.

– Ne doit-on pas trouver à manger d’abord ? Se plaignit Édouard. J’ai la dalle.

– Il y a de la bouffe et des boissons dans ton club house ? Demanda Romain.

– Oui, en espérant que ça ne soit pas enfoui sous des décombres, marmonnais-je.

J’avais de plus en plus de doute sur mon idée. J’essayais de ne pas le montrer sur mon visage. Notre petit groupe montait les marches accédant au pont. Arrivé sur le tablier du pont, je m’aperçus que la construction n’était pas si intacte que ça. Il manquait la voie de circulation faisant face à la vague de mort. Elle était tombée à l’eau. Nous avions parcouru la moitié du chemin. Un camion était couché sur le flan, collé et retenu par la barrière du pont. Sa remorque était crevée et dégueulait des marchandises. Attiré par son flaire de gourmand, Édouard accouru vers l’épave. C’était des denrées alimentaires, des conserves en majorité. Édouard cria un hourra. Nous le rejoignions. Chacun prit tout ce qu’il pouvait. Seule Cindy, toujours amorphe, se contentait de fixer du regard notre cueillette de nourriture. Le camion en travers de la route coupait quasiment le passage du pont. Il restait un accès d’à peine un mètre surplombant le vide.

« Ne devrions-nous pas changer de plan et choisir un autre refuge, s’inquiéta Chris sujet au vertige. Nous avons de la bouffe maintenant.

– Pas de problème mon gars, ça passe large ! Assura Karl.

Fallait-il prendre ce risque ? Je n’en étais pas très sûr. Je me rapprochais de la cabine et observais sa liaison avec la remorque. Il y avait suffisamment d’espace pour se faufiler entre les deux.

– Pas besoin de prendre le risque de chute ! Ici ça passe.

Chris soupira de soulagement et retrouva le sourire. L’impétueux Karl était déjà passé de l’autre côté du véhicule par l’étroit rebord du pont. L’un après l’autre, accroupi, nous passions entre la cabine et la remorque, et sous le système d’attelage suant de graisse. En se relevant, nous avions le dos visqueux et noir.

– Bon sang, c’est dégueulasse ! S’apitoya Vanessa.

Syvanna essaya d’essuyer le dos de Tania, mais elle ne fit qu’étaler le gras sur le sweat de sa sœur. Elle remua la main vigoureusement pour évacuer le liquide gluant sans succès.

– Beurk ! Comment on enlève ça ?

– Utilise une autre partie de tes vêtements sec et propre, conseilla Romain.

– Pour être encore plus sale ?

– Qu’est-ce que ça peut bien faire maintenant ?

– Eh ! Je ne compte pas mourir sous la crasse ! J’espère bien que l’on pourra se laver très bientôt et changer de fringues. Nous ne sommes pas des bêtes.

– On se calme. Nous reparlerons de ça ce soir autour d’un bon feu et d’une bonne saucisse lentilles froides, intervenais-je.

Je pris la main engraissée de Syvanna et l’essuya sur le bas de mon sweet à capuche. Elle me regarda avec des yeux embués et reconnaissants.

– Merci Micaël… Tu n’aurais pas dû. J’aurais pu le faire sur ma jupe.

Nous achevions la traversée du pont. Arrivés sur l’île, nous constations que l’autre pont rejoignant la ville Limay sur l’autre bord, était complètement effondré. Nous descendîmes les marches accédant au parking du club. Une série de véhicules, tous couchés sur le flanc, collés les uns aux autres formait un parcours de dominos prêt à être déséquilibrés. Nous nous retrouvâmes face au club de tennis. Au milieu du désert que formaient les courts en terre battue et ciment dépouillés de leur filet, chaise d’arbitre et autres bancs, s’érigeait le club house. Tout son flanc droit s’était écroulé et la grande véranda avait disparu. Mais la structure principale au niveau du bar était toujours debout. J’étais soulagé. Nous pourrions passer la nuit sous un toit. Mes amis continueraient à me faire confiance. Nous nous engageâmes dans l’allée en gravier. Sur ma droite, il y avait un terrain couvert par une bulle. Elle était crevée et à plat comme un vieux ballon percé. Sur ma gauche, il y avait les trois courts en terre-battue qui ne formait qu’un désert d’ocre rouge. Les grillages délimiteurs étaient couchés comme des vagues échouées pour certains ou tout simplement évanouis dans la seine pour d’autres. J’avais joué pendant plus de dix ans sur ses courts, mes mercredi après-midi et pas mal de week-end. Sans me soucier de mes amis, je rentrai sur la terre-battue en marchant sur le grillage. Je remarquai au bout de la clôture couchée, coincées dessous, une raquette et deux balles de tennis. Je m’emparai du manche de la main droite, glissai une des balles dans la poche de mon sweat et fis rouler la deuxième dans le creux de ma main gauche. Je plaçai correctement mes pieds face au filet imaginaire.

– Qu’est qu’il fait ? S’étonna Karl.

Je fis rebondir la balle trois fois, la lançai au-dessus de ma tête et décrit un arc de cercle avec la raquette en accord avec mon jet. La balle percuta le cordage et disparut au loin.

– Mic ! Tu ne crois pas que l’on a mieux à faire, interpella Fred.

– Attendez, deuxième balle !

– Comment ça deuxième balle? Comment il sait que son premier service est faux ? Chuchota Moïse à Fab.

– Il pète un câble…

Je reproduisis mon geste et observai plus attentivement le parcours de la balle. La voyant disparaître derrière des fourrés, je sortis de mon délire passager. Je me retournai vers mes amis.

– Désolé les gars !

– Et dire que c’est lui notre chef, bougonna Karl.

Nous remontâmes l’allée jusqu’au club house. L’entrée principale du bar était inaccessible. Le fronton de la maison s’était effondré jusqu’à la moitié du bâtiment environ. Nous rentrâmes par la terrasse dépouillée de sa véranda. La partie comptoirs du bar avait été épargnée par les destructions. Je passai de l’autre côté, l’endroit interdit quand tu es client. Les malheureux gérants quel que soit leur sort me pardonneront.

J’ouvris un des trois frigos derrière le bar. Il était rempli de canettes de jus de fruits, de soda et de bières. Je me réjouis à la vue du contenu du frigo.

« Les amis, ce soir nous avons le droit à l’apéro, exultais-je en brandissant les bières.

– Je ne pense pas que l’alcool soit très conseillé dans notre état de déshydratation, conseilla Syvanna.

– Prems ! S’exclama Vanessa en ignorant les paroles de sa meilleure amie.

– Si ça peut aider un peu à décompresser, je ne vais pas m’en priver, assura Karl.

Je distribuais les bières à Vanessa, Karl, Fred et Fab. Soudain, Cindy sortit de sa torpeur et tendit le bras, main ouverte, vers moi. Surpris, je lui mis une canette de bière dans sa main. Elle la décapsula aussitôt, faisant couler de la mousse sur sa robe et engloutit d’un trait tout son contenu. Elle conclut cette descente rapide par un énorme rot sonore et gras. Nous la regardâmes tous ébahi. Elle se tourna vers Édouard juste à côté d’elle et esquissa un sourire. « Oups, désolé… » Je distribuais des sodas aux restes de la troupe. Nous profitâmes de ce petit moment de répit tous ensemble admirant le couché de soleil. Nous nous activâmes à récupérer des planches de bois issues de meubles brisés, de parquet décollé et de lambris. Nous les réunîmes sur l’espace véranda devenu une terrasse pour former le futur foyer. Sans avoir eu l’expérience, nous nous rendîmes compte que le feu avait beaucoup de difficultés à prendre avec ce matériau ignifugé par les industriels pour respecter les normes européennes sur la sécurité incendie. Une fois bien lancé, certains décidèrent de faire réchauffer leur conserve dans le feu. Bien leur en avait pris quand il fallut trouver un moyen de récupérer le récipient bouillant. Avec un torchon humide, nous réussîmes à retirer les conserves du feu sans trop de conséquence sur la nourriture et les mains. Ce soir-là, nos doigts ne trempèrent pas dans le gras et la sauce. Nous dînions avec des petites cuillères à café assis sur le matelas d’un sofa posé au sol. Le grand luxe ! J’avais mangé mon deuxième cassoulet en deux jours. Peut-importe, j’avais le sentiment de manger du trois étoiles. Je n’avais jamais autant apprécié la nourriture de ma vie. J’étais repu. Nous ne pensions toujours pas à rationner nos provisions. J’en étais conscient, mais l’envie de manger était plus forte et je savais déjà que nous allions le regretter très vite. Après ces deux jours d’épreuve, des affinités s’étaient créées entre personnes qui ne se connaissaient pas, qui ne faisaient que se croiser dans les couloirs et les salles de classes du lycée. Ainsi naturellement Cindy, la veuve éplorée et traumatisée restait collée à Édouard, pourquoi ? Je ne savais pas. Peut-être que sa bonhomie et son physique rondouillard la rassurait. Romain, l’intellectuel en manque de confiance, et Chris le geek chétif s’étaient rapproché de leur antithèse Karl, le mec costaud et téméraire. A contrario, j’avais l’impression que Vanessa s’était un peu isolée de ses amies sœurs. Tandis que moi et mes potes Fred, Fab et Moïse, je nous sentais plus soudé que jamais. Je décidais de m’enquérir de la santé de Syvanna qui était en fait juste un bon prétexte pour lui parler et être à ses côtés. Mon objectivité disparaissait à chacun de ses regards vers moi. Malgré le fait qu’une coupure sanguinolente et pas cicatrisée lui barrait le front, que son haut était taché de ce sang et déchiré des deux manches, que sa jupe était imbibée de graisse mécanique, que ses joues étaient encore noircies par la poussière dû à l’effondrement de mon immeuble sur lesquelles sillonnaient des coulures grises séchées dû aux larmes et la sueur, je la trouvais magnifique. Je m’assis à côté d’elle équipé d’un torchon propre et d’une bouteille d’eau minérale.

– Ça ne te dérange pas que je vienne nettoyer ta blessure au front ? Je ne voudrais pas que ça s’infecte.

– Et moi donc. J’avais oublié cette coupure.

– Hum, c’est bien plus qu’une coupure. A mon avis, aux urgences tu aurais eu droit à cinq ou six points de sutures.

– C’est vrai ? Mais je dois être horrible !

– Oh non, ça te donne un petit côté baroudeur, blessée de guerre.

– Euh tu sais que c’est pas du tout à ça que je veux ressembler ? Merde, ça craint.

– Je peux ? Lui demandais-je en présentant le linge et la bouteille d’eau.

Syvanna acquiesça de la tête. Je commençais délicatement à passer le chiffon humide sur la blessure, nettoyant au maximum les impuretés. Ensuite je profitais du moment pour continuer la toilette de son visage ; faire disparaître les extraits de maquillage baveux, la suie collée à ses joues, les croûtes de sang sur l’arête de son adorable nez, dégager la mèche de cheveux incrustée sur le front par le sang et la sueur. Pendant toute l’opération, elle n’avait pas cillé et me fixait sans cesse de son regard perçant. Il rentrait en moi comme un cheval de Troie libérant des milliers de guerriers armés de lance me piquant le cœur et l’estomac.

– Ça y est. Je ne t’ai pas fait mal ?

– Pas du tout, c’était même plutôt agréable.

Un frisson d’intimidation parcouru mon échine.

– Oh ! je suis désolé qu’on ne puisse pas recoudre ta coupure. Ça risque de se voir après. Mais si tu laisses tomber une mèche ou une frange sur le front, ça la camouflera.

– Tu es expert visagiste maintenant ?

– Non, je voulais juste te…

– Au lieu d’appeler Tania ou Vanessa pour des conseils beauté, c’est toi que j’aurais dû contacter.

– Tu me charries ?

– Oui, désolé…

Syvanna me prit la main encore en prise avec le linge humide.

– Merci pour ton aide ! merci pour nous tous ! j’avoue mon erreur et d’avoir sous-estimé ton potentiel de leader, et de mec… bien.

Un compliment de sa majesté et j’étais aux anges. Je me levai ragaillardi.

– Je prends le premier tour de garde ! Fred, je te lève dans deux heures. Après ce sera Karl et Fab si vous êtes d’accord ?

– Pas de souc’, acquiesça Karl.

– No problemo, confirma Fred.

– Moïse, passe moi ta montre pour gérer le temps s’il te plaît.

Mes amis s’installèrent le plus confortablement possible, allongés sur le sol, la tête reposant sur les matelas de sofa. Romain s’était décidé à jeter ses verres de contact et gardait près de son torse sa précieuse paire de lunettes. Cindy dormait déjà, la tête plongée sur le ventre douillet d’Édouard. Karl resta encore un long moment assis près du feu mourant. Les trois autres filles étaient littéralement tressées les unes avec les autres. Quant à moi, je commençais une garde tranquille éclairée par une lune bien pleine.

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4 Commentaires
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bbbbbbb ccccccccccccc
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2 années il y a

Magistral! Beaucoup d’humanité dans ce décor d’apocalypse. Chapeau à l’auteur.

bbbbbbb ccccccccccccc
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2 années il y a

Je ne commente que ce que j’aime, sache que je suis sincèrement impressionné.

DeJavel O.
2 années il y a

Donc ce chapitre nous montre les grappes qui se forment dans la troupe de jeunes. Je note que ces grappes sont “dites” plutôt que montrées. Beaucoup des épreuves de la route auraient pu servir à créer ces accointances.

Pour la romance, en règle générale, on prévoit une relation de haine avant l’idylle entre deux protagonistes. Je le mentionne simplement. Ce conflit permet d’utiliser l’épreuve du feu pour permettre aux deux (futurs) tourtereaux de découvrir ce qu’ils ont en commun. Il faut éviter l’accumulation de gentillesses.

Allez ! On continue !

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