Chapitre 21 – L’examen de l’antiquaire – deuxième partie
Novembre 1951
Village de l’Estaque
346 mots
L’interrogatoire durait depuis une vingtaine de minutes et Gauvin ne montrait pas beaucoup d’enthousiasme pour la môme.
« Tu te farcis de la cam ?
— Non…
— La Marie-Jeanne ?
— La quoi ?
— Tu te défonces à l’héro ? »
La môme contempla le champ de mine. « Confidence pour confidence, il m’arrive de prendre de la Benzedrine. Ça éclaircit les idées. Jean-Paul Sartre…
— T’as déjà un fournisseur français ?
— Je parle des bennies, des amphètes en comprimés… ça stimule. Pas dommageable, mais…
— Mais ceux qui en font, ils sont accrocs ou pas ? »
La jeune femme ne pouvait nier avoir une rage de temps en temps. « Ça dépend. Certains oui, d’autres pas. Les soldats en ont reçu des doses massives.
— Les G.I. ? Ils étaient dopés ?
— Les Allemands aussi. La chair à canon, ça crève égale. »
Les lèvres du truand allèrent faire un tour en dedans. Le repas tirait à sa fin. La conversation tourna court et la face de gaufre sembla avoir pris sa décision lorsqu’il tendit ses Gitanes. Gerflynt cilla sous la puissance de l’arôme. « Une telle fragrance, au couvent, ce serait impossible. » Elle savoura à nouveau et exhala dans une extase toute nouvelle. « Même au grenier, » dit-elle avec une touche de regret. Sensible aux regards mâles, la jeune femme ramena son châle. « Alors monsieur Gauvin, pour l’import-export ? Parlons franchement…
— Gamine, je vais t’dire. T’auras beau être une surdouée, la conseillère du Pape ou d’Adolphe Einstein…
— Albert…
— …la seule chose qui compte, c’est avec qui tu partages la becquetée.
— Je n’ai pas de famille. Les fusionnels, les frères de sang, je les emmerde.
— Soit. Mais tu dois quand même savoir que le mot d’ordre, c’est Respect. Parole donnée, pas de retour arrière. »
Gerflynt s’étouffa. « Ah ! Putain ! Laissez-moi rire ! La parole donnée, ouais…
— Quoi ? répondit l’antique truand. Ses sourcils broussailleux s’enfoncèrent.
— La parole du plus fort n’a aucune valeur. »
Le vieux chêne jeta un regard admiratif du côté d’Enzo. « Où c’est que t’as dérouillé une pareille pouliche ? Elle est stable au moins ?
— Même pas ! » répondit Falsetti tout sourire.