L’envolée du Constellation Chapitre 20

3 mins

Chapitre 20 – L’examen de l’antiquaire – Première partie

Novembre 1951

Village de l’Estaque 

595 mots 

    Gerflynt l’américaine salua le représentant des antiquaires d’une poignée de main. Mathieu Gauvin, soixante-dix bâtons bien comptés, chevelure grise, visage ravagé comme l’écorce d’un vieux chêne, lui jeta un regard d’examinateur expert. Ignorant tout de la bise à la française, la jeune femme se retrouva hors d’équilibre, fouettée à trois reprises comme une échalote au vent. 

    L’apéro se passa sans trop de casse et dura jusqu’à ce qu’Amanda appelle les convives. La conversation se centra d’abord sur la traversée. « Pourquoi les somnifères ? demanda Gauvin. J’ai pas entendu qu’elle les avait demandés. » Gerflynt ne laissa pas passer. « Un différend avec le personnel de l’aéroport…

— Peur de l’avion ? En bonne petite femelle, t’as piqué une crise de nerf ? 

— Une bousculade. On a tenté de me décoiffer. Monsieur Gauvin, j’avais payé cette mise en pli avec mon argent ! 

    Falsetti versa un peu de vin à son invité.

— Gauve ! La bombe à La Guardia, dit-il.

— Je sais, …trouvée dans le conteneur à déchet. 

     La môme s’esclaffa.

— Oh ! Fuck ! » hurla-t-elle en anglais de rue, furieuse d’être encore la dernière à savoir.

     La police de l’aérogare avait parlé d’une bombe dans les latrines, question de tendre un piège. « Y aurait pas ici un frère d’arme qui saurait quelque chose ? » demanda l’Italien. Les regards s’envolèrent sauf celui de Gerflynt qui verrouilla le sien sur Gauvin. La face de gaufre lui rendit la pareille. Ses lèvres minces, tirées sur une ligne horizontale, bougèrent à peine. La jeune femme sentit la caresse de l’ange noir, un vieil ami. Enzo poursuivit. « Faut que tu saches, je cherche un type d’ici, la mâchoire fracturée.

— Chui pas ton Indic, répondit le truand.

     L’homme se renversa sur sa chaise, ses mains placées en forme de cage.

— Monsieur Gauvin ! » enchaîna Gerflynt. « Des innocents auraient pu être tués. C’est… c’est… 

— Immoral, offrit Amanda.

— Pfftt ! La morale c’est ce qui reste quand t’es coincé au fond d’une ruelle sans ton couteau, » répondit la môme.

     Amanda souffla. « Ça ne doit pas être drôle tous les jours au couvent… 

— dishonorable ? bafouilla Gerflynt, les sourcils froncés.

— Elle veut dire “déshonorant”, ajouta Enzo. Son français est limité.

    Gauvin se redressa, l’air de mauvaise humeur.

— J’avais compris. J’vais quand même pas humilier ta bourgeoise devant ta maîtresse. »

     Amanda montra les dents et s’offrit une rasade. L’homme se pinça le nez. « T’as des ennemis ? » Gerflynt soupira. « Qui n’en a pas… 

— La bombinette… D’habitude, ça se met dans un colis, poste aérienne… 

— Tu en penses quoi ? demanda Falsetti.

— Clair que ceux qui ont fait le coup ne voulaient rien faire péter… juste mettre mademoiselle dans les emmerdes. Un coup de téléphone, l’avion revient, on trouve le truc dans les soutifs. Arrestation…

— Comment sais-tu où la bombe a été trouvée ? demanda l’Italien.

— Je suis comme toi Enzo, je ne sais rien… »

    Le silence, lourd. « Mais je te dirais que ta p’tite nonne fait jaser.

— Respect aux religieuses, murmura Gerflynt, l’air sombre.

— Que Dieu les bénisse, en effet. 

— …je ne laisserai personne les insulter.

— Faut pas prétendre à l’angelot. »

    Gerflynt semblait furieuse. Elle inspira et se retourna vers Falsetti. Le sens de cette expression lui échappait. Si son anglais était un patois du Lower East End redressé par les religieuses, son français provenait du registre des œuvres de Beauvoir et Camus. « False humility » lança Enzo. Trop tard pour le vieux truand. « Vous n’avez pas à m’apprendre la position de l’apôtre Paul sur la vertu faussement sincère. » Gerflynt resta figée, le visage de feu.

     Les choses commençaient plutôt mal. 

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