Conte 4 : Le Vieille Dame et la Grochicha – 6eme partie

8 mins

Tandis qu’il devait se rendre là de plus en plus souvent à la demande de cette foutue Grochicha qui lui promit de mieux le payer, comme il ne pouvait en être autrement, ce jour finit par arriver.

C’était un jour comme tous les autres, la vieille avait gueulé pendant sa toilette, elle avait gueulé pendant qu’il l’habillait, la coiffait et qu’il l’emmenait prendre son petit déjeuner. Comme toujours, elle avait été là à guetter, à le dévisager encore, à l’envisager toujours. Elle avait été là à épier le moindre de ses faits, le moindre de ses gestes. Et tandis qu’il avait assis la vieille dame au soleil, le temps de lui épiler le menton, elle arriva.

Il sentit d’abord son parfum, entendit ses pas puis son souffle. Il sentit alors son regard sur lui, peser de tout son poids.

De son air grave, elle prétexta vouloir lui parler mais pas devant la môman pour ne pas l’inquiquiner. Il sut alors que le moment auquel il se préparait depuis plusieurs jours maintenant était arrivé. C’était là dans l’air de toute façon. Il aurait fallu être complètement aveugle pour ne pas le voir. Et s’il y avait bien quelque chose qu’il n’était pas c’était aveugle. Il ne l’était plus depuis bien longtemps. Malgré son jeune âge, il en avait trop vu et trop vécu pour encore l’être.

Laissant la vieille dame au soleil, elle l’emmena dans la cuisine. Pour la première fois, elle lui versa un café, qu’il ne but pas. Elle se laissa tomber sur l’une des chaises à ses côtés et commença son cinéma.

Elle se mit à se plaindre car la nuit avait été horrible. Elle avait vécu un véritable enfer. Calvaire ! Elle n’avait pas cessé de devoir se lever pour aider sa pauvre môman alors même que cette dernière l’avait insultée. Elle était si méchante avec elle alors qu’elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour elle, qu’elle faisait tout dans cette maison. Absolument tout.

Elle se mit alors à sangloter lorsqu’elle lui expliqua que sa pauvre môman n’avait aucune affection pour elle, qu’elle ne l’avait jamais voulue ni même désirée. Qu’elle, non plus, aujourd’hui, elle n’avait plus l’affection qu’elle avait eue pour sa môman d’avant. Cela lui faisait tellement du mal dans son cœur. Une petite larme commença à rouler sur sa grosse joue.

Puis, elle en vint à parler de son pôpa qui avait de drôles de penchants. Des penchants que sa môman avait toujours tentés de cacher pour éviter les « qu’en dit-on ». Les gens étaient si méchants. Et depuis qu’il était parti chez les anges du ciel, que son pôpa était tout là-haut – là-haut, lui qui était tout pour elle, elle s’était sacrifiée pour sa môman. Ne pas la laisser seule bien qu’elle eut quelques amants de passage, quelques aventures. Des petits copains qui ne la voyait pas, elle, qui ne la voyait jamais alors qu’elle était toute très gentille. Elle. Mais elle, elle n’avait jamais eu droit de faire sa vie à elle. Elle avait même dû arrêter ses études qu’à cause d’elle. Et aujourd’hui, elle était comme ça, ici, seule, tellement seule dans la solitude. Elle était obligée de s’occuper d’une femme qui n’était plus du tout sa môman comme qu’elle était avant. Elle n’était plus que qu’un monstre au regard de folle.

Il ne pouvait qu’acquiescer à sa détresse, faire mine de compatir à sa pauvre souffrance de pacotille dont il n’avait rien à foutre.

Alors elle se mit à pleurer. Et cette fois elle avait bien répété. Les larmes coulèrent. Lui ne broncha pas. Il ne lui prit pas la main, ne la toucha pas.

Alors elle s’excusa. Elle se leva de sa chaise, le pria encore de l’excuser. Elle ne savait pas ce qui lui était arrivé. Un coup du blues probablement. Il se leva à son tour et l’assura que rien de tout ça n’avait d’importance qu’il était aussi là pour ça. Il joua la carte de la compassion, encore. L’écoute faisait partie aussi de son métier.

Et alors que, soulagé, il allait rejoindre la vieille dame, elle lui dit :

– « Je voudrais qu’elle meurt.

Il ne faut pas dire ça. Je sais que ce sont des moments difficiles à passer mais…dites-vous que cela va s’arranger .

Heureusement que je vous aie.

Je ne serai pas toujours là, vous savez.

C’est question de l’argent ?! Viens je vais te montrer ! Je l’ai de plein ! »

Sans qu’il ne puisse dire quelque chose, elle lui attrapa la main et l’entraîna avec elle. Il tenta de se soustraire à son étreinte. Mais elle serrait tellement fort, si fort qu’il eut l’impression que sa main était coincée dans une broyeuse. Il tenta de lui faire comprendre que sa mère était au soleil, qu’il ne pouvait pas la laisser sans surveillance. Rien n’y fit. Elle l’emmena avec lui.

Elle l’amena alors dans un vaste bureau sombre qui, à l’odeur de moisi, n’avait pas dû être aéré depuis plusieurs dizaines d’année. Là, elle fonça droit sur le mur de gauche et derrière un large miroir couvert de poussière grise, elle découvrit un coffre-fort. Elle l’ouvrit et en sortit des dizaines et des dizaines de liasses de billets de deux cent et de cinq cent euros qu’elle jeta sur le bureau aux côtés de titres au porteur les coupons encore attachés et de quelques lingots d’or. Elle jeta tout comme une folle exaltée. Lui ne broncha pas, ne s’approcha pas une seule seconde des titres, de l’argent ou d’elle.

– « Tu vois ! Tu vois ! J’ai le plein de l’argent, ça ne manque pas, ça ne manquera jamais, tu vois ! Tu peux tout avoir, je te donne tout, j’te donne tout, tout ce que tu veux, TOUT ! Tu vois ! TOUT ! ».

D’un coup, elle se rua sur lui, se plaqua contre lui, contre un mur.

– « Tu m’ plais, tu sais, tu m’ plais ! J’veux faire ma vie avec toi, aaaah tu m’ plais toi ! Aaaaah ! »

Elle enfonça sa main dans ses leggings et commença à se masturber tout en caressant son entre-jambe à lui.

Lui, il ne broncha. Un autre que lui aurait peut-être eu une bonne et grosse trique, peut-être qu’un autre que lui l’aurait soulevée malgré son poids pour la claquer contre ce bureau et lui donner aussitôt ce qu’elle voulait. Lui non. Il ne ressentit rien de tout ça. Il resta froid, de marbre. Elle ne lui faisait pas envie. Il n’avait aimé qu’une seule femme jusqu’ici, et une grosse truie comme elle, une grosse chienne en chaleur complètement débile comme elle, n’arriverait jamais à la cheville de cette jeune femme qu’il avait aimée et aimerait probablement toujours. Elle le répugnait. Tout en elle le répugnait. Et elle s’en rendit vite compte tandis que sa main s’agitait toujours entre ses jambes.

– « Aaah ! J’te plais pas ! Hein ?! J’te te plais pas, hein ! Aaah !  répétait-elle de plus en plus frénétiquement alors que son gros ventre se soulevait pris de soubresauts incontrôlables

Ecoutez, on va en rester là, je…

Toi, tu vas rester putain aaaaaaah ! Tu vas faire qu’est-ce que j’te dis ! Tu m’ plais j’te veux ! J’te veux ! Aaaaaah ! J’te paye t’es à moi ! A MOI ! Aaaaah ! 

D’un coup, elle sortit la main de ses leggings. Avant qu’il ne puisse réagir ou même le voir, elle lui envoya un coup de poing en pleine figure. Avec la rage, son poids, sa force n’en fut que décuplée. Il eut l’impression de recevoir un coup de marteau, de masse en plein visage. Sa tête en heurta le mur si violemment qu’il s’en affala assis sur le sol poussiéreux. Tout autour de lui devint alors flou. Il n’entendit plus qu’une voix déformée qui beuglait des choses qu’il ne comprenait pas. D’un coup, il sentit une intense douleur envahir son torse, son flan, ses côtes. Il se sentit alors comme secoué, comme s’il venait d’être renversé par un camion lancé à sa pleine puissance, comme s’il avait été happé par un train qui, maintenant, le trainait sur une voie ferrée dont chaque ballaste lui fracassait le corps. Entre ses mains, sous ses coups, il n’était plus qu’une vulgaire marionnette désarticulée et sans réaction.

D’un coup, la furie incontrôlable qui s’était emparée de la Grochicha, le laissa retomber sur le sol, voyant qu’il ne réagissait plus. Elle passa la frustration qu’elle avait contenue en elle durant toutes ces années sur le mobilier de ce bureau.

Elle jeta contre les murs, sur le sol tout ce qui lui tombait sous la main. Des livres, des bibelots, des albums photos, brisa les cadres, arracha les cousins des vieux fauteuils en tissu, frappa les murs en hurlant sa haine. Elle se mit alors à arracher le papier du mur hurlant des insultes à sa mère, au monde entier. Elle s’en prit alors aux livres des bibliothèques autour d’elle, en arracha les pages, les jetant contre les tableaux au travers des fenêtres. Plus elle brisait de choses, plus elle jetait d’objets au sol plus sa colère, sa rage et sa hargne redoublaient d’intensité. Elle n’était plus qu’un monstre dont la violence semblait ne plus avoir de limites.

Tout autour de lui semblait voler comme dans un rêve au ralenti. Bien que la douleur soit intense et parcourait tout son corps, celui-ci lui hurlait de se lever, de s’enfuir loin, de se protéger. Alors il essaya de se lever. Mais ses jambes ne le supportèrent pas. Il s’écroula d’un coup sur le sol, lourd. Le bruit sourd attira la Grochicha qui revint à la charge. Elle attrapa un buste d’homme posé au coin de l’une des bibliothèques. D’un coup, brusque, elle l’en frappa. Heureusement pour lui, ce buste était en plâtre et rongé par l’humidité. Il se brisa en poussière blanche alors qu’il effleura à peine son épaule. Il feinta alors. Il se laissa tomber, comme assommé.

Elle le regarda, là, posé sur ce sol. Comme une enfant, elle se laissa tomber à genoux devant lui, le regarda encore. D’un coup, brusque, elle l’attrapa, le tira vers elle, le serra contre elle comme cette vulgaire poupée de chiffon qu’il était pour elle.

– « Ô mon beau prince charmant… » lui murmura-t-elle, sa grosse bouche collée contre son oreille ensanglantée « ô mon beau chevalier blanc, ici dans mon donjon tant de temps j’ai attendu ta venue, tant de temps j’ai patienté jusqu’à ton arrivée. Mais aujourd’hui je sais que ton amour ne me sera pas donnée, que ton amour ne viendra pas me délivrer. Alors ni pour toi ni pour moi un heureux à jamais ne nous sera donné ».

Brusque, brutale, elle se releva, laissant retomber sur le sol cette poupée de chiffon qu’elle avait fait de lui et se retourna. D’un coup folle, furieuse, elle s’en prit de nouveau au mobilier du bureau.

Profitant qu’elle lui tourne le dos, Damian se mit lentement, doucement, à ramper sur ce sol couvert d’objets brisés, une seule idée en tête : s’en sortir. Survivre pour sa fille, continuer à la protéger, la voir grandir. La revoir simplement. Alors que tout était flou autour de lui que son propre sang lui coulait dans les yeux, qu’il avait l’impression de ne plus sentir ses jambes, il rampa sur le sol. D’un coup, il sentit alors ce truc dur et aux coins arrondis lui entrer dans le ventre. Son téléphone. Au prix d’un effort incroyable, il laissa glisser sa main vers la poche de sa blouse et l’attrapa. Il n’avait pas beaucoup d’amis, pas grand monde à appeler. Sa lucidité déclinante ne lui aurait de toute façon pas permis de composer un numéro ou de rechercher un contact. Sans vraiment le savoir, sans vraiment le vouloir, il appuya sur la touche rappel. Le dernier à l’avoir appelé avait été le Père Paul.

Dans le presbytère, résonna alors la sonnerie d’un vieux bigophone, il décrocha :

– « Allô ? 

M…mon…père, mon père…

Allô, qui est-ce ! Je vous entends à peine…

– Mon…mon père…éd…aide…moi…

Je ne vous entends pas ! Allô ?! Mais qui est-ce ?!

De…Da…Da…mon p…mon père…elle…c’est…Da…Dam…

Damian c’est vous ? Est-ce que c’est vous ?!

el…elle va m…va…me… mon…père…mon père…

Damian qu’est-ce qui se passe ? Où êtes-vous ?  Ce fut alors que le sang du Père Paul se glaça lorsqu’il entendit ce mot que Damian hurla :

TUUUUUER !!!! ».

Alors qu’il rampait sur le sol, il sentit une main venir le harponner, le soulever comme s’il n’était rien et le jeter dans les escaliers sur les marches duquel il roula sentant chacune d’entre elles le frapper plus fort que la précédente. Enfin, il n’y eut plus de douleur. Au loin, une voix beuglait. Devant lui passa un voile noir, une ombre peut-être, énorme. Il entendit hurler et encore beugler. Puis, il n’y eut plus rien. Plus rien d’autre que le noir, le silence et le froid.

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