Au fond du couloir, dans cette petite salle aux fenêtres teintées d’un jaune sale, elle déchire le temps. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Hortense éventre les minutes, arrache les secondes. La jeune professeure est désormais une splendide meurtrière horlogère. La pendule accrochée au mur a rendu son dernier souffle. Dans le silence, la vie semble s’être arrêtée. La poussière vole sur les cartons à pleine déballés. Dans le fouilli, elle tombe sur un pantin en bois aux jambes articulées. C’est un élève, François elle se rappelle, qui lui en avait fait cadeau à la fin de sa première année dans ce collège. Il était resté sagement assis en attendant que la classe se vide, puis s’était approché du bureau avec son petit paquet dans la paume. Elle avait d’abord souri d’amusement, avant de s’effondrer devant son élève. Dans ses sanglots, un merci était sorti péniblement, puis un autre mot de politesse sans doute. François, probablement gêné de la voir soudain si émue, lui avait alors expliqué la raison de son cadeau. Gabriel, le nom de son pantin, était une représentation d’un historien qu’il avait rencontré lors d’une sortie scolaire la même année. Cet homme avait profondément marqué le jeune garçon, alors rêveur d’une carrière d’archéologue. En lui offrant, il souhaitait la remercier pour la rencontre. Gabriel, petit bonhomme aux mambres reliés par des épingles, devait ramener dans ses attaches les vestiges de la passion précoce d’un enfant. Hortense avait fini par se calmer et soigneusement rangé le trésor dans son emballage. François la regardait d’un air songeur. Ils sont restés là une bonne minute, puis Hortense a dit “bonnes vacances” et il a filé.
Hortense le repose dans le carton. Gabriel la regarde de ses yeux boutons noirs. Sa chemise rouge légèrement délavée descend sur son buste de bois. Quatre ans plus tard, il est toujours aussi beau à regarder, la finesse de ses cheveux de paille, les jambes taillées au couteau, maintenues au corps par une attache dorée. Son visage calme et posé, sa bouche fermée et son nez tordu par un coup de crayon maladroit. Il lui manque des oreilles. Mais qu’a-t-il besoin d’entendre ? Ne vaut-il pas mieux être sourd, plutôt que de subir le tic tac incessant d’un temps fini ? Car l’heure affichée n’est plus la sienne. Trois heures vingts. Au nom de qui ? Qui a dit qu’il était trois heures vingts ? Qui a enclanché la machine ? Et où est la pile du présent ? Hortense soupire. Un nuage gris s’envole de la table. Papiers et démarches s’aglutinent sur son bureau. Le soleil tape le calendrier. Sept juillet 2022. Un chiffre porte bonheur, de ce qu’on en dit. Elle s’asseoit sur une chaise et éclate de rire. Le doux bruit d’air dans la mousse de l’assise, les grincements timides des roulettes, Hortense n’a jamais su se poser délicatement, sur n’importe quelle surface d’ailleurs. Petite elle cassait les lits de paille soigneusement arrangé dans le jardin de sa grand-mère. Cette vulgaire habitude était sa seule maladresse. Mireille n’a jamais eu le courage du reproche et souriait de ce défaut certes peu élégant, mais témoin du restant de naturel chez la jeune enfant.
Hortense pense à l’Inde. Elle en rêve chaque nuit. Son bureau est rempli d’images d’un paysage qui paraitrait hostile, mais qui semble libre. Et c’est bien cela qu’elle vient chercher si loin.
La liberté.
J’ai été surpris de voir que Hortense vit à notre époque. Je voyais ce récit dans les années 30, mais ça ne me gêne pas de découvrir qu’il nous est contemporain. Ainsi, Hortense cherche la liberté. Oui, tout cela est cohérent. L’Inde apparaît comme un mirage qui lui apportera ce qu’elle veut. Reste à savoir ce qui, pour elle, entrave cette liberté.
La partie avec la marionnette donnée par un enfant est intéressante. Les petits observent et parlent à leur manière. Il s’agissait d’un don du cœur et je crois en relisant qu’Hortense l’a compris.
Le texte se termine par un moment d’exubérance. Souhaitons à Hortense qu’elle aille de l’avant. Mais au fait, est-ce que cette relation au manque de liberté sera solutionné par un déplacement géographique ? C’est ce que nous saurons plus tard dans ce récit. Pourquoi est-ce que je crains pour Hortense ?