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Prologue : L’Ordinaire
Chapitre Ier
Les mots d’Ottilia glissaient en continu entre ses lèvres. Un murmure entêtant :
— Dans tes pas ils te suivent ; Sur leurs traces tu t’inclines ; Jusqu’à ce que le ciel s’ouvre et que…
— La terre te couvre, acheva Emmelie par-dessus son épaule.
Ottilia la foudroya du regard. Les jolis yeux azur de la Sabreuse s’écarquillèrent innocemment avant que son sourire dévoile une parfaite rangée de dents blanches.
— Quoi ?
— Sois sérieuse, Emie, tu sais l’importance du Premier poème.
— Que l’on récite seul ou à plusieurs, compléta sa camarade.
— Il ne fallait pas me déranger.
Emmelie poussa un petit cri quand Ottilia la mit au sol d’un savant croche-pied. À peine eut-elle tenté un nouveau mouvement que l’avant-bras d’Ottilia se fixa sur sa gorge. Emmelie hoqueta, le souffle coupé. Son air taquin se dissipa. À mesure que la peur déformait ses traits, son teint devint blême. Elle secoua la jambe avant de s’immobiliser : Ottilia pointait la lame de son poignard sur le sein de la jeune femme.
— Je n’avais pas envie que tu me suives, gronda Ottilia.
Emmelie inspira bruyamment :
— J’ai compris.
Libérée, la Sabreuse se releva, chancelante. Ottilia rangea son arme dans le fourreau autour de sa cuisse, l’œil toujours attentif. Le sourire d’Emmelie revenait et elle reprit un peu de couleurs. En revanche, sa malice s’était envolée.
— Tu souffles le chaud et le froid, se plaignit Emmelie. Je te croyais prête à prier avec moi, hier soir.
Ces derniers mots vibraient encore sensuellement aux oreilles d’Ottilia. Mais au lieu d’éveiller son désir, ils ne firent qu’accroître son agacement. Elle toisa sa camarade avec sévérité. Voilà donc ce qu’elle espérait : une nuit en sa compagnie. Hier, Ottilia avait coupé court à ses avances. Emmelie ne s’en offusquait pas et persistait.
Ottilia esquissa un pas en sa direction, la Sabreuse recula. Emmelie pouvait la convoiter autant qu’elle le souhaitait, le plus important étant qu’elle la craigne.
Si Ottilia admettait volontiers que la Sabreuse avait du charisme, elle connaissait aussi son versant égoïste.
Lors de sa première année au Domaine, Emmelie avait dissimulé le sabre de leur maître d’armes pour faire retomber sur Ottilia les accusations de vol. Lioran des Istres et Salsian avaient été aveuglés par le numéro d’Emmelie, mais l’Ordinaire avait perçu la faute.
Depuis, la jeune femme à la blondeur d’ivoire avait une paupière un peu gonflée qui lui couvrait l’œil gauche. Ce petit défaut que l’on pouvait juger séduisant n’était plus un avantage quand il s’agissait de combattre. Sur ce même côté, Emmelie manquait de précision et Ottilia connaissait ce point faible. Elle prenait souvent le dessus sur sa camarade. Des victoires fréquentes qui n’effaçaient pas entièrement ce mauvais souvenir.
Pour sa part, Ottilia avait fini par reconnaître sa fausse culpabilité dans le vol. Un pieux mensonge destiné à sauver Emmelie d’une humiliation devant Salsian. Qu’il soit bien ou mal intentionné, ce mensonge restait une faute que l’Ordinaire ne pardonnait pas. Il punissait peut-être moins sévèrement lorsque le péché s’accompagnait d’un Premier poème récité avec zèle, mais le couperet tombait quand même. En fin de compte, on ne l’y reprendrait plus : venir en aide à une amie ne lui avait apporté que des ennuis.
— Je descends à la nef pour l’entraînement ! décida Ottilia.
Sous les arcades, deux domestiques époussetaient les statues. Malgré leur flegme, il ne faisait aucun doute qu’elles avaient suivi l’intégralité de la scène. Pour Ottilia, cela n’avait pas la moindre importance. Elle enjamba le garde-fou.
Emmelie passa par le corridor extérieur dans l’espoir de la devancer. Si elles partageaient au moins quelque chose, ce devait être cet esprit de compétition. Une émulation qui frôlait souvent la rivalité.
Un froid glacial régnait dans la coursive. Ottilia ajusta son pourpoint doublé. Des bourrasques de neige s’engouffraient entre les colonnes. Les remous réguliers sur la façade attirèrent leur attention. La mer d’Auspice déposait sur les murs de puissantes vagues noires. De l’autre côté, commençait l’océan Sans-Fin aux teintes plus claires, mais dont l’étendue infinie effrayait les navigateurs. En ces temps rudes, l’eau dégageait aussi l’odeur d’une montagne de fer rouillé.
— Avoue que parfois tu es tentée de m’y jeter, plaisanta Emmelie.
— Ne jamais attenter à la vie de tes semblables, rappela Ottilia.
— Et si c’était possible, le ferais-tu ?
— Il faudrait vraiment que je sois désespérée.
— Des fois je me dis que tu me détestes assez pour braver les interdits.
Emmelie s’attendait peut-être à ce qu’Ottilia conteste fermement. Mais la Sabreuse garda le silence avant de se décider à partager le fond de sa pensée :
— Des fois je me dis que j’en jetterais plus d’un dans ces eaux noires, parodia Ottilia. Allez ! À la nef !
Elles dévalèrent les escaliers jusqu’à atteindre les souterrains du Domaine. En chemin, elles croisèrent des valets, des marchands et surtout deux mendiants qui avaient trouvé refuge sur les marches. Leur visage boursouflé était suspect en soi. Marque d’infamie ? Ou simple maladie contagieuse ? Emmelie et Ottilia les évitèrent délibérément.
Dans cette partie du Domaine, les habitants de Passéence pouvaient circuler librement. L’envergure de la bâtisse justifiait qu’une portion soit ouverte de la sorte. En revanche, la part réservée à l’impératrice et à ses courtisans était bien plus imposante et surveillée telle une forteresse.
D’un coup d’épaule, Emmelie repoussa la porte donnant sur la nef. Ottilia sauta les trois marches restantes avant de se joindre aux tumultes des combats. Une dizaine de Sabreurs enchaînaient des gestes techniques sous les conseils de leur maître : Salsian. Il salua Emmelie et aussitôt son regard s’attarda sur Ottilia.
— La pause a été courte, jugea-t-il.
— Courte, mais loin d’être paisible, rétorqua la jeune femme.
Emmelie était une empêcheuse de tourner en rond. La Sabreuse comptait sur ses charmes pour la convaincre d’entamer une relation avec elle. Ottilia était lasse de ses stratégies. Aucune chance qu’elle y parvienne ! Il n’y avait que la perspective d’un duel qui pouvait la transcender. Seul le cliquetis des armes excitait son cœur.
J’aimerais bien avoir une image pour la présentation de l’histoire mais je n’en trouve pas, alors si vous en trouvez une n’hésitez pas à me l’envoyer.
Ca avait bien commencé, ça continues bien. J’ai l’ilpression que tu commence à poser les premierres pierres de ton monde et tes personnages. On est pris de curiosité. Continuons !
Merci pour ton soutien Haldur.
Je ne sais pas si tu as vu mais j’ai dû récréer un compte.