Bordeaux, un mardi soir du mois d’octobre. Il fait nuit, mais doux. Les rues sont agitées. J’avais promis à mes enfants que nous irions à la fête foraine de nuit pour voir toutes les lumières. J’ai choisi d’y aller en semaine pour éviter la foule. Gaël, le petit dernier de tout juste un an est très anxieux et demande beaucoup d’attention. Mon époux étant en mission à l’étranger, je voulais éviter autant que possible les sources de stress, la musique et les lumières de la fête foraine n’aidant pas.
Les yeux de Nathan sont remplis d’étoiles. Ils brillent comme s’il n’avait jamais rien vu d’aussi beau que ces lumières de toutes les couleurs qui tournent dans un ciel noir rempli d’étoiles. Je dois avouer que la scène me rempli de joie, moi aussi. Je retrouve la magie de mon enfance à travers les yeux de mon cadet.
Gaël est lui aussi envouté par les lumières ce soir. Contre tout attente, il semble apaisé dans sa poussette. Lorsque ses deux frères sont montés dans un manège, il ne les a pas quitté des yeux, cherchant à les attraper avec ses petites mains.
L’aîné quant à lui, du haut de ses huit ans, déclare n’être venu que pour la barbe à papa, les lumières n’étant plus de son âge. J’aime le voir grandir. Se prendre pour un adulte malgré son innocence. Il a toujours été un garçon très réfléchi. Dès la naissance de Nathan, il a pris son rôle de grand frère très à cœur et s’est toujours montré protecteur et rassurant pour ses frères. De temps en temps, lorsque son père pars en mission, j’ai l’impression qu’il essaye de le remplacer, oubliant son rôle d’enfant. Je me demande si ce n’est pas trop de responsabilités pour un enfant de son âge, même si je ne lui impose rien.
Je suis fière de mes enfants, je les aime plus que tout. Chaque moment passé près d’eux est une bénédiction. Au fond, même si c’est difficile de les élever en grande partie seule, je suis heureuse de le faire, de les avoir rien que pour moi et de ne rien manquer de leur exploits du quotidien.
Sur le trajet du retour, le bus est plein à craquer et Gaël me demande beaucoup plus d’attention. Si son attention se porte, ne serais-ce qu’un court instant, sur le monde autour de lui, je sais que ça l’angoissera. Alors je lui parle, tout le temps. Je joue avec lui. J’accapare son attention. Les deux grands sont habitués à prendre le bus, et comprennent que leur frère ait besoin d’être sollicité. Ils ne m’en veulent pas. Ils discutent entre eux un peu plus loin. Je garde un œil sur eux, de loin. Des travaux de voirie impactent la ligne de bus, nous ne descendons pas au même arrêt que d’habitude. Alors Romain, mon aîné, semble perdu, la nuit ne l’aide pas à se repérer. Il me demande régulièrement :
– C’est ici qu’on descend ?
– Non mon grand, pas tout de suite.
Quand vient le moment de descendre, je l’indique à Romain, qui laisse la foule descendre avant de prendre leur suite en tenant Nathan par la main. Puis je me fraie un chemin avec la poussette. Je n’ai pas le temps d’arriver à la porte du bus qu’elle se referme. Romain et Nathan sont descendus. Je suis toujours dans le bus avec Gaël. Le visage de Nathan a perdu son ébahissement des lumières. Il est maintenant inquiet, paniqué, terrorisé. Il fait nuit, nous descendons dans un quartier populaire, à la population douteuse. Il n’est pas tard, à peine 20h, mais je sens déjà l’odeur d’alcool provenant de certaines personnes du bus. Je ne dois pas paniquer. Je ne dois pas inquiéter mes enfants plus qu’ils ne le sont déjà. Romain pense la même chose, je le vois à son regard. Lui aussi panique, je le sais, mais il ne laisse rien paraître et tente de rassurer son frère. J’appuie sur le bouton d’ouverture des portes. Rien ne se passe. Je crie “Les portes s’il vous plait !” Mais le chauffeur redémarre. Ne pas paniquer. Des larmes se forment dans les yeux de Nathan. Gaël, qui a perdu mon attention, s’agite. Ne pas paniquer. Surtout pas. Le bus commence à prendre de la vitesse, et je vois mes enfants s’éloigner.
– S’il vous plait, mes enfants sont descendus !
Toujours aucune réponse du chauffeur. Des passagers me viennent en aide : “Ouvrez la porte !” crient plusieurs d’entre eux. “Elle a une poussette !” essayent de justifier d’autres. Mais rien y fait. Je ne vois plus mes enfants. Le bus s’est éloigné. Gaël panique. Pleure. Crie. Hurle. Devient rouge. Je panique.
” Mes enfants de 8 et 5 ans sont tous seuls dehors ! Ouvrez cette putain de porte je dois descendre ! “
Message du chauffeur : “Il est interdit de s’arrêter en dehors des arrêts prévus, veuillez attendre le suivant.”
L’agitation monte dans le bus. Gaël s’époumone. Je le prend dans mes bras. J’essaye de me calmer pour ne pas lui communiquer mon angoisse en plus de la sienne. Mais je ne peux de m’empêcher de penser à Nathan et à son regard tellement désemparé. A Romain qui doit prendre sur lui pour rassurer son frère alors qu’il devrait être lui aussi rassuré. Je pense à mon mari, qui aurait pu descendre avec eux s’il était là. Je suis perdue. Mes enfants. Mes pauvres enfants. Tous seuls, au milieu de gens pas forcément bien intentionnés. Je pleure. Un passager vient écarter tout les autres et enclenche le système d’urgence. Le bus s’arrête. J’ai envie de lui sauter au cou. Mais je n’en fait rien, je pense à mes enfants. Les portes ne s’ouvrent pas. L’ensemble des passagers demandent à ouvrir les portes. Moi je ne peux plus rien demander, je suis incapable de m’enlever de la tête le dernier regard des mes enfants. L’homme qui a appuyé sur le système d’urgence tente d’ouvrir les portes. Sans succès. Le chauffeur descend. Ouvre les portes et commence à crier, à s’énerver. Je ne l’écoute pas. Des passagers m’aident à descendre ma poussette, poussant le chauffeur. Je cours. Je cours comme j’ai jamais couru. La poussette ne me gène pas, ne me ralenti pas. Tout ce que je souhaite, c’est retrouver mes enfants et les serrer dans mes bras. Être sûre et certaines qu’ils vont bien. Qu’il ne leur est rien arriver. Les rassurer. Revoir leurs visages ébahis, plein d’étoiles, plein d’innocence. Nous sommes à 300m de l’arrêt de bus. Je vois mes enfants courir vers moi. Un soulagement s’empare de moi, si intense que je m’écroule par terre. Nathan pleure à chaudes larmes. Même Romain se laisse aller contre moi et laisse sortir ses émotions par des sanglots. D’abord faibles et timides, puis de plus en plus bruyants et sincères. Gaël commence à se calmer, il est épuisé, à bout de force, et comprend que ses frères sont de retour, que tout va bien.
Derrière moi j’entends l’homme qui m’a permis de retrouver mes enfants si rapidement se disputer avec le chauffeur. Merci à lui. Du plus profond de mon cœur merci.
Comme vous débutez, je vous conseillerais de vous centrer, d’abord, sur la gestion des temps du récit qui, je ne vous le cache pas, a largement entravé ma lecture. Mais c’est en remettant cent fois son ouvrage sur le métier que l’on progresse. Bon courage ! BENOIT.