Dix jours depuis chez moi. Dans la banlieue sud. Marcher pendant des heures, seul avec moi-même. Penser à elles. À lui. Se souvenir des bons moments, malgré tout. Pour ne pas sombrer, définitivement. Leur férocité comme unique gouvernail.
Éviter les nationales et les départementales. Marcher dans les sentiers. Se terrer au moindre bruit. La peur au ventre, les genoux en bandoulière, les bras en croix. Avancer à vue, sans calcul, sans retenue, sans me faire mal surtout.
Plus que quelques minutes. J’ose enfin respirer. Prendre de l’air en moi. Souffler un bon coup, même. Ma fatigue est immense. Sans nom. Mais je suis encore vivant. La meute ne m’a pas encore trouvé. Elle avance partout et nulle part. Prête à bondir.
Je suis là, en errance, seul. Volets fermés, lampes éteintes, alarme morte. Oreilles aux aguets, jambes pendues au cou, tête dans les étoiles, je sais que ma fin n’est plus que temps. Des lances s’approchent. Des fusils et des chiens de combat. Le silence en bout de course.
Un brouhaha infini brouille mes sens. Je suis recroquevillé dans une minuscule alcôve. Meurtri et terrifié, je n’esquisse pas le moindre geste. Mes doigts et mes orteils sont sidérés par leurs cris de haine et de vengeance. Ils n’ont plus que leur colère pour exister encore un peu.
La porte vient de céder. Explosés, les volets. Écartelées, les fenêtres. Dépecées, les armoires. Je les entends rôder autour de ma cachette. J’ai l’impression qu’ils me sentent, qu’ils me frôlent, qu’ils attendent leur heure pour me saigner.
Soudain, un cri retentit. Puissant et destructeur. Un cri ou un ordre, difficile à dire. L’effet est immédiat, cependant. Ils se bousculent comme des chiens pour sortir et me laisser en paix. Mes paupières et mes lèvres tremblent encore un peu. C’est fini, pour cette fois.