– Je hais noël !
La tempête faisait rage, les flocons de neige aussi gros et durs que des cacahuètes enrobées lui percutaient avec force le visage.
Gaston n’avait pas arrêté de ronchonner depuis qu’il avait quitté le chalet …
– Un sapin …
Comme si le truc en plastoc de l’année dernière n’était pas bien assez … Mais nooon ! « Madame » a voulu invité son patron fraîchement largué par sa jeune maîtresse alors faut un « vrai » sapin pour lui en foutre plein la vue !
Elle veut quoi ? La place de la maîtresse la bobonne ? Il la voudra jamais ou alors juste une fois en vitesse sur un coin de bureau comme d’habitude mais il voudra jamais la sortir dans les lieux chics !
Il ne ronchonnait plus maintenant, il hurlait carrément, s’adressant aux grands sapins, à la neige, à la lune qui se foutait de lui, là-haut, et même à la terre entière.
Il savait depuis longtemps que « bobonne » se faisait sauter par son patron, ce n’était d’ailleurs plus un secret pour personne, mais au moins comme ça elle lui foutait la paix devant la TV avec ses bières, ses matchs de foot et parfois ses potes. Mais là c’était de trop ! Non seulement elle l’avait invité chez eux … chez « lui », mais en plus il lui fallait un « vrai » sapin, plein d’aiguilles, plein de sève et là, plein de neige.
Et lui, il se retrouvait, comme un con, sa hache sur l’épaule, à sillonner la forêt en pleine tempête à la recherche de son sapin « ni trop haut, ni trop petit, ni trop gros, ni trop gnagnagna ! »
Il donna un coup de pieds rageur dans le tronc le plus proche et … se prit un paquet de neige fraîche et froide sur la tête.
Le juron qu’il lâcha était intraduisible et surtout, intranscriptible en ce lieu mais il fit partir à tire d’ailes un groupe d’oiseaux effrayés.
Le froid l’avait calmé, juste un peu, il sortit sa plate de sa poche intérieure et but une bonne gorgée d’alcool frelaté, s’étrangla, cracha et se remit en marche.
– Et en plus, lui, il a droit à une dinde farcie … Ouais, comme elle quoi !
Il éclata d’un rire gras et bruyant imaginant bobonne couchée sur un grand plat, fourrée comme une dinde, les marrons lui sortant du nez et du persil lui sortant du …
Il rit de plus belle, s’étrangla de nouveau et but de nouveau une bonne gorgée de gnôle.
L’alcool faisait son effet, il commençait a voir les choses sous un autre angle. Un angle un peu tordu mais ce n’était pas vraiment plus mal. C’est alors qu’il le vit, là, au milieu d’une petite clairière, « LE » sapin tout comme elle voulait !
Un coup de hache, deux … enfin un peu plus quand même, et le sapin agonisait dans la neige. Et lui aussi failli agoniser pour le coup, quand une bande d’écureuils furieux lui sauta dessus, le mordant et le griffant jusqu’au sang. Hurlant et se débattant, il réussit à s’en débarrasser et chargea finalement le pauvre sapin sur son épaule et, traînant la hache derrière lui, entreprit de faire le chemin inverse vers le chalet, marquant la neige derrière lui de petites taches rouges …
Mais la nuit tombante et la neige ne lui facilitèrent pas le retour. Il tourna un peu, cherchant son chemin et aperçut enfin, en contrebas, le filet de fumée venant de chez lui ainsi que la douce odeur de dinde cuisant lentement dans la cuisine.
Mais entre les deux, il y avait le petit ruisseau …Oh pas bien large, il l’avait déjà passé d’un bond. Il lança sa hache de l’autre côté, puis le sapin et prit son élan mais la neige était trompeuse et c’est dans l’eau qu’il atterrit à pieds joints. Il pesta a nouveau et plus encore lorsque la rive enneigée le fit retomber dans l’eau glaciale.
Il réussit enfin à en sortir, ramassa rageusement sapin et hache, imaginant bien planter cette dernière dans le front de la « dinde » et accéléra le pas, glissa et dévala la pente sur les fesses … Il ferma les yeux priant que ça s’arrête et, ça s’arrêta. Il se retrouva alors en train d’enlacer, pas très tendrement, un énorme buisson de houx aux jolies baies rouges …
Le juron fit à nouveau trembler les oiseaux alentours, il se releva péniblement et, traînant le sapin derrière lui il s’avança, boitant, vers la porte d’entrée.
Le visage tout griffé et en sang, la parka en morceaux, trempé et gelé et le bonnet de Père Noël qu’il avait enfiler en sortant tout de travers, il lança le pauvre sapin au milieu du salon.
Et, pointant un doigt vers elle …
– Pas un mot ! Surtout ne dit pas un mot ou ton sapin tu vas te me le …
Et surtout, ne me dis pas joyeux noël !
Je vais prendre une douche.
Et il disparut dans la salle de bain, ronchonnant toujours autant et laissant derrière lui sur le sol tout propre, des traces indéfinissables …
Mince, il s’en sort vivant.
Oui il s’en sort quel bol !! Comme quoi certains Noël ne méritent pas d’être vécus !