Rêveillé (4/15) – WikiPen

Rêveillé (4/15)

4 mins

[4] Le lever de la lune

La confiance en soi et en les autres. Tout un art. Aussi dur que le taekwondo, demande autant d’entraînement que pour devenir joueur d’échecs professionnel, et requiert une patience de baby-sitter. Pile les domaines où j’excelle, tiens !

Comme vous l’aurez compris, apprendre la confiance a été une vraie torture pour moi. Ce n’est pas quelque chose de facile, mais quand la personne en qui on a le moins confiance, c’est soi-même, vous vous doutez que s’ouvrir aux autres n’est pas chose aisée !

Slamer devant Yasmine avait été ma première séance de “faire-confiance-aux-gens”. Et même si j’avais stressé toute l’après-midi en priant pour qu’elle garde pour elle tout ce qu’on s’était dit, j’ai trouvé que ça s’était plutôt bien passé. J’étais content de savoir que tout le monde n’était pas fou et endoctriné par les notes dans ce lycée.

Après les cours, je sortis de l’établissement pour ma balade quotidienne, cela me permettait de respirer avant de me retrouver écrasé sous le poids du travail. J’aimais beaucoup l’ambiance des rues en soirée.

Les lampadaires qui brillent faiblement alors que le soleil éclaire encore bien la ville, les vieux marcheurs avec leur chien qui font leur troisième balade de la journée pour acheter le pain du dîner, les coureurs, rouges et essoufflés, qui courent sur place devant les passages piétons, les boutiques qui commencent petit à petit à se fermer, les rues à se vider, les voitures et les bruits incessants de la circulation à s’éloigner, laissant de nouvelles odeurs remonter.

Celle des égouts dans certaines ruelles, celle du tabac devant les bars et les magasins, celle des restaurants qui commencent à cuisiner pour les clients du soir, mais aussi celle salée, et les embruns qui l’accompagnent, venant embrasser les places et les routes. Ce petit vent aux souffle léger qui rafraîchit l’air et qui te ferme les yeux pour mieux t’asperger.

Habituellement, pendant mes balades je marchais le long de la mer, mais cette fois-ci, je cherchai l’inspiration dans les fenêtres des immenses ruches entassées les unes sur les autres, dans ces odeurs, ces sons, ces images du monde urbain. Je ne m’intéressai pas aux grains de sable ni aux vagues qui petit à petit, atteignaient mes pieds sans que je n’ai à bouger. Je m’attardai sur les vies des autres humains, ceux qui travaillaient, ceux qui revenaient du travail, les jeunes, les moins jeunes, leurs habitudes, leurs vies, et en les croisant tous, un par un, je m’imaginais des scénarios sur leurs pensées et leurs buts.

J’aimais la nature, mais la chaleur d’un “bonsoir” avec un sourire ne se retrouve pas, même dans un rayon de soleil. On pourrait croire que je suis asocial, mais c’est faux. Je pourrais m’ouvrir aux autres, si les “autres” de mon lycée n’étaient pas ainsi.

Je revins alors vers l’école, jetant un dernier regard à ces rues qui se remplissaient à nouveau. C’était comme regarder des fourmis qui se précipitaient toutes au cinéma, ou dans les salles de spectacles. La ville morte revenait à la vie. Je montai les marches et rentrai dans l’établissement.

L’ambiance détendue et volatile de la ville me manqua tout de suite. Dans ce hall, j’avais l’impression de respirer de l’air en conserve, et je compris alors pourquoi les professeurs étaient aussi désagréables : vivre constamment dans un bain d’air comprimé, ça ne pouvait que faire du mal au moral.

Je montai dans ma chambre m’atteler à mes devoirs, et rêver dans le même temps de ma soirée sous les étoiles.

Parfois, je me demandais si les hommes n’étaient pas assez bêtes pour oublier ce qu’était la vraie beauté. Allongé sur le toit, mes paupières se faisant lourdes, je contemplai ce que moi, j’appelais “la vraie beauté”.

Le ballet des étoiles, le lever de la Lune, et tout leur spectacle devant ce grand rideau noir sans fin. Parfois, je me demandais si rêver, ce n’était pas aussi simple que de regarder les étoiles. Il fallait faire l’effort d’ouvrir sa fenêtre, et de regarder dehors le soir. Les rêves étaient comme les astres, qu’on ne pouvait pas voir si on ne se déplaçait pas. Une vie sans rêve est une vie avec la paresse de regarder le ciel.

Ce fut sur cette phrase que je me mis à écrire, encore et encore, jusqu’à ce que les mots me manquent pour décrire l’immensité du ciel. J’enchaînai les rimes et les syllabes, transformant mon admiration en poème.

 

                                    […]

Au-dessus de nous depuis la nuit des temps,

Tu éclairais déjà toutes les nuits d’antan,

Toujours aussi parfaite après tant d’années,

Tour après tour, les époques ne semblent pas passer.

Parfois, je rêve de danser avec toi,

Nos pas coordonnés, ta blancheur contre moi,

Mais tu m’aveugles, personne ne peut t’approcher,

Reine de l’esquive on n’peut que te viser.

Déesse dans ton monde, allégorie dans le nôtre

Tu attires nos songes, et nous en crées d’autres,

Le verbe rêver n’a pas de sens quand tu es là,

Car simplement te regarder c’est voyager vers toi.

Figure de la nuit, tu la rends belle et angoissante,

Figure de mes nuits, tu les éclaires, les rend vivantes.

Tu es le début et la fin des chapitres de notre histoire,

Tu guides les poètes et les fais sortir du noir.

                                    […]

 

J’utilisai mes dernières forces pour clamer mon ode à sa majesté reine des étoiles, et redescendre dans ma chambre, où je m’écroulai sur mon matelas, ne prenant pas la peine de me changer pour rendre visite à mes rêves.

_____________________

La chanson entière ici : https://reveille6.webnode.fr/l/chap-4-le-lever-de-la-lune/

 

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