La manivelle chapitre 1: une boîte à musique

5 mins

L’autre jour, je m’étais allongé tranquillement sous l’eucalyptus au milieu du jardin. En mâchonnant un brin d’herbe je rêvassais lorsque j’ai entendu ma mère m’appeler : « Marius, viens me voir s’il te plait ». D’un bond j’ai couru vers elle, j’adore ma mère. C’était pour me dire une chose terrible : l’atelier de mon grand père allait être bientôt mis en vente. J’ai demandé pourquoi mais ma mère m’a dit « on ne peut pas le garder, point final ». Alors j’ai demandé si je pourrais encore y aller une fois avant la vente, elle a dit « oui tu pourras y aller chercher un souvenir, si tout va bien ». Lorsque ma mère dit « si tout va bien » ça veut dire, pas de problème à l’école, à la maison, avec ma chambre etc… J’ai fait très attention à tout et aujourd’hui c’est le premier jour des vacances. Toutes mes affaires sont prêtes dans mon sac à dos. Pour aller chez mon grand père il faut prendre l’omnibus de cinq heures du matin qui passe par la ligne trente sept pas très loin de notre maison. Maman m’a fait mille recommandations, je lui ai dit « ne t’inquiète pas je ne vais pas au bout du monde ! » avant de l’embrasser et de monter dans l’omnibus. Je connais le chauffeur, il a une grosse moustache et la casquette réglementaire des chauffeurs d’omnibus, il lève son index gauche en signe de bienvenue. Il y a peu de monde dans le véhicule dont une jeune dame accompagnée d’un canard sauvage. Je choisi une place au centre près de la vitre. Pour le voyage j’ai pris la bande dessinée que j’ai commencé à écrire, j’aime bien dessiner. Le soleil se lève déjà, la lumière du matin éclaire le paysage qui défile à toute vitesse, il va faire beau je suis content maman m’a confié les clés.L’omnibus me dépose dans une petite ville de province tout près de la menuiserie. C’est un grand bâtiment de pierre restauré par mon grand père. Me voilà devant la porte, immense et peinte en blanc. Je glisse la clef dans la serrure, j’ouvre la porte qui grince un peu, j’entre. Le vieux plancher de chêne craque, ça sent bon le bois, j’avance à tâtons jusqu’à la fenêtre, j’ouvre les volets et la lumière vive du matin éclaire d’un coup toute la pièce. C’est l’endroit préféré de mon enfance, les machines sont là posées comme à l’affût de la moindre besogne. Il y a la scie circulaire, la dégauchisseuse et la raboteuse qui trône au milieu et tout autour tous les outils du menuisier. Celui que je préfère c’est la varlope à cause de son nom et de sa forme si singulière. Je fais le tour de la pièce cherchant attentivement ce que je pourrais bien emporter avec moi. Soudain sous l’établi, je vois une bâche bleue où dépasse une sorte de manivelle. Avec précaution je tire la bâche vers moi, elle cache une forme ressemblant à une boite. J’attrape le tout et je le pose avec précaution sur la table de ponçage. Sur le devant il y a une étiquette recouverte de poussière. Avec un chiffon je l’essuie et je lis stupéfait « Pour mon petit Marius, Papi ». La bâche cache un coffret en châtaignier. Je me souviens de mon grand père qui me disait «j’aime travailler le châtaignier car il ressemble au chêne mais il est plus tendre». La boite est peinte en jaune et chacune des faces rouges vif est entièrement décorée de motifs. Sur le devant, il y a une enfilade d’animaux de mer fantastiques : une sirène, un serpent de mer, un crabe, une méduse. Sur le coté droit, on peut voir une sorcière, un chat, un corbeau, un hibou, un balai et des lutins. Sur la face arrière ce sont les animaux de la forêt, un cheval, une licorne, un loup, un lièvre. Enfin sur le côté gauche, il y a une scène avec un château un prince et une princesse accompagnés de deux fées. Au milieu de cette face il y a une manivelle argentée. Le dessus de la boite est différent, il comprend une sorte de tableau de bord et deux couvercles. Avec précaution je soulève le plus petit couvercle, je me penche et je vois des fils et des tas de composants électroniques. Tout au fond de la boite, une antique batterie est débranchée.Sur le tableau de bord, je lis près du premier bouton : « Marche – Arrêt », près du second : « Go » et sous une petite fente : « Carte musicale ». Je suis drôlement surpris je ne m’attendais pas à une telle découverte. A tout hasard je tourne la manivelle mais rien ne se passe, je me gratte la tête, pensif.Soudain je pense au tiroir sur la face avant. Un bouton en porcelaine permet de l’ouvrir. Je force un peu et je découvre les cartes musicales bien rangées les unes à côté des autres. Sur la première il est écrit « Papi ». Je l’insère dans la fente du tableau de bord sans succès. Je me dis « tu es bête, il faut brancher la batterie, mais je doute que ça fonctionne encore ». J’essaie quand même et une fois cette délicate opération faite j’actionne le bouton marche, une petite lampe verte se met à clignoter j’appuie sur « Go » et je pousse la carte musicale en actionnant la manivelle. Une musique s’échappe alors du coffret. Le second couvercle du dessus s’ouvre et m’avale d’un coup. Me voilà transporté dans un tourbillon à l’intérieur de la boite, le rabot somme comme le trombone à coulisse, la scie comme le premier violon, les coups de marteaux sont ceux de la grosse caisse, toutes les notes se mêlent et s’entremêlent. Je descends à toute vitesse, je ferme les yeux. Lorsque je les ouvre à nouveau mon grand père est là dans son atelier. Il a les cheveux en bataille et ses grosses lunettes, je me jette dans ses bras. Il rigole en disant « Salut mon Riri ». La musique s’arrête, me voilà revenu devant la boite. Je prends une autre carte dans le tiroir, « Méla ». A nouveau le tourbillon et la musique, africaine cette fois ci au son des tambourins. Je suis dans une palmeraie, ma tante Méla est assise en tailleur « salut Marius tu as vu mes dessins sur ta boite ? » Je n’ai pas le temps de répondre le tourbillon m’emporte. Une autre carte encore et me voilà au milieu de la scène du prince et de la princesse qui se chamaillent car la manivelle les empêche d’être heureux, elle coupe leur conversation à chaque tour. Une clarinette intervient et les fait danser sur une musique du moyen âge, ses notes sont si belles que les amoureux se réconcilient. Me voilà maintenant dans la mer, la mélodie qui survient alors me laisse sans voix. Un orgue de barbarie laisse échapper de ses tubes le bruit des vagues rythmé par leur fracas sur les rochers. Au loin je distingue la sirène qui danse avec le serpent de mer. Sur le sable un vieux crabe court derrière un hippocampe. Je me trouve maintenant dans la forêt. J’entends au loin le son du cornet à piston. Je cours dans sa direction, je me retrouve nez à nez avec un jeune loup gris qui me dit «  Bonjour je m’appelle Denis et toi ? » Je n’ai pas l’habitude de parler avec un loup mais maman dit qu’il faut toujours être poli alors je réponds « Marius ». Denis me regarde bizarrement alors je prends mes jambes à mon coup et de son coté le loup aussi. C’est au tour de l’épinette des Vosges d’entrer en action, une sorcière fonce sur moi et m’emporte sur son balai en ricanant. Je me cramponne comme je peux à ses longs cheveux blancs, la musique de l’épinette chante une soyotte endiablée. Le balai de la sorcière s’emballe et dérape sur un nuage qui passait par là, je crie au secours avant l’atterrissage dans une meule de foin piquante. Lorsque je sors cette fois ci de la boite je lâche la manivelle et tout s’arrête. Dans le tiroir il y a des dizaines de cartes, mais il a aussi une enveloppe rose pale. Je la tourne et la retourne avant de l’ouvrir. C’est une lettre de mon grand père. Je regarde l’heure, il est tard, l’omnibus va bientôt passer, je ferme pour la dernière fois les volets de l’atelier puis la grande porte. Je serre contre moi la précieuse boite à musique, en montant dans l’omnibus. Le chauffeur me regarde en souriant . Pendant le voyage du retour j’ai fermé les yeux en pensant à toutes les aventures que j’allais pouvoir vivre avec ma boite à musique. A la maison maman m’a dit « alors tu l’as trouvée ? »

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